par Elhia Pascal-Heilmann et photos Lewis Joly
L’odeur âcre des fumigènes lâchés dans la foule n’enlève en rien le sourire aux manifestants démasqués, réunis une nouvelle fois ce samedi dans Paris pour clamer leur opposition au pass sanitaire et au vaccin contre le Covid-19. Massée en fin de matinée autour du métro de la Porte Dorée, dans le XIIe arrondissement, la foule hétéroclite attend le départ du cortège, à peine perturbée par l’arrivée d’une dizaine de cars de CRS. Entre les pancartes à l’effigie du Parti communiste, les banderoles LGBT et les quelques rares étoiles jaunes, dont une barrée du sigle antisémite Qui, plusieurs centaines de jeunes sont venus se greffer au rassemblement, qui selon le ministère de l’Intérieur a rassemblé près de 14 000 personnes ce samedi dans la capitale. A l’aisance avec laquelle ils circulent entre les groupes et échangent avec les habitués du cortège, juchés en hauteur pour haranguer la foule, on devine que cela fait déjà plusieurs week-ends que certains ont troqué leurs sorties estivales pour la mobilisation du samedi. Car une semaine après la validation du pass sanitaire par le Conseil constitutionnel, la colère des jeunes manifestants venus en groupes est intacte, et se lit aux slogans griffonnés à la va-vite sur de grandes planches cartonnées.
A l’ombre d’un kiosque à journaux, Quentin (1), Léo (1) et Tanguy brandissent fièrement un panneau volontairement provocateur. Bien visible, à deux mètres au-dessus de la foule, on peut lire «enculés» inscrit en lettre noire par Quentin et Léo qui se défendent de toute homophobie auprès des passants qui les interpellent. La semaine dernière, la bande de copains et leurs pancartes avaient été exclues du cortège des Patriotes, porté par l’ex-RN Florian Philippot, qui s’est rassemblé de nouveau dans le XVe arrondissement de Paris en début d’après-midi.
14 août 2021
«C’est trop grave»
«Chacun y voit le message qu’il veut, peut-être que ça parle de nous, peut-être que ça parle d’eux», avance Léo, ex-étudiant en art de 25 ans. «Eux» ? Le gouvernement français, contre lequel ils dirigent tout leur ressentiment depuis plusieurs mois. «Je ne crois plus un mot de ce qu’ils disent, ils nous mènent en bateau et on devrait rester les bras croisés ?», interroge Quentin, doctorant en intelligence artificielle. Il manifeste pour son troisième samedi d’affilée. Déjà opposé à Emmanuel Macron lors de son élection en 2017, il avait hésité à aller protester contre la réforme des retraites avant de se raviser, mais cette fois «c’est trop grave». Après avoir rêvé à la vie d’avant, sans masques et sans restrictions, le jeune doctorant dit être «tombé de haut» avec le pass sanitaire. «On nous prive de nos libertés avec un QR code en un clin d’œil, quelle est la prochaine étape ?», se demande l’étudiant.
Dans le groupe, on a renoncé aux gestes barrières depuis longtemps et aucun n’est vacciné ou n’envisage de l’être. Tanguy attendait le vaccin français Sanofi mais a depuis renoncé, «ce serait céder à leur chantage» tranche l’étudiant en droit qui aspirait au professorat avant la décision du conseil constitutionnel. «Le pass a certainement un but, mais il n’est pas sanitaire», assure le vingtenaire qui fait ses propres recherches sur le vaccin, convaincu de sa «dangerosité».
Dans le cortège, rares sont ceux que la maladie inquiète, surtout chez les plus jeunes. Ce qui fait «froid dans le dos» à Charlotte (1) 24 ans, éducatrice de jeunes enfants, ce sont plutôt «les dirigeants français, le président et sa gestion de crise». «Ils s’assoient sur notre libre arbitre et notre avenir», soupire cette ancienne gilet jaune, qui a déjà prévu de fuir Paris, son travail et les restrictions pour un petit coin dans la Creuse. A ses côtés, Mathieu (1) se cherche aussi un futur où il pourra échapper à «Macron et ses punitions». Au chômage, il clame avoir été démis de ses fonctions de policier «pour ses opinions anti-Covid et son passé de gilet jaune». Il a depuis rejoint les rangs des Patriotes et se consacre à une formation d’ambulancier, mais craint d’être soumis à l’obligation vaccinale d’ici au 15 septembre. Drapeau d’un club de foot sur les épaules, il dénonce «une politique des incohérences et une dictature sanitaire» sous le regard approbateur de Thomas (1), alternant dans la gestion de crise de 24 ans qui dit encore «chercher les morts du Covid». Convaincu de l’existence d’un «complot gouvernemental», la troupe manifestait déjà en 2020 contre le port du masque et les confinements. Thomas le reconnaît, cette lutte contre le pass est presque «personnelle».
Défiance familiale
Personnel, le combat de Sarah (1), 16 ans, l’est moins. Accompagnée de sa mère, elle répète depuis le matin les slogans antivax «entendus à la maison». «La politique je m’en fiche, mais ma santé je n’en ai qu’une», explique la jeune Parisienne qui s’apprête à rentrer au lycée en septembre. Sa mère, Christine (1), 50 ans, quittera son travail dès l’obligation vaccinale et craint que sa fille ne doive «être vaccinée de force» pour poursuivre ses études. Plus loin, le long du boulevard Diderot où les manifestants viennent de s’engouffrer guidés par les CRS, Lorenzo, 16 ans, balance sans conviction les phrases soufflées par son père venu de Dieppe pour l’occasion. «Jamais je ne me ferai vacciner», lâche-t-il entre deux bouchées de sandwich.
Lorsque le cortège marque des arrêts, quelques gamins fraternisent et les fratries se chamaillent pour tenir les panneaux de leurs parents, comme Tony et sa sœur. Lui est venu car, du haut de ses 15 ans, il veut pouvoir «rêver d’un monde meilleur». Ni réellement antivax, ni franchement opposé au pass sanitaire, il jure que «si le gouvernement avait mieux géré la crise, on n’en serait pas là». Tout juste lycéen, il pense déjà à 2022 et aux élections qu’il suivra sans pouvoir voter. «Ce contexte ne me donne envie de faire confiance à personne», lâche-t-il, déjà désabusé.
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