libération.fr
par Léa Masseguin
Alors que plusieurs pays occidentaux prévoient déjà une troisième dose pour les personnes vulnérables, certains pays défavorisés tardent encore à débuter leur campagne de vaccination. L’Afrique, où moins de 2 % de l’ensemble des doses ont été administrées, paie le plus lourd tribut. A terme, les pays du Nord en subiront les conséquences, estime Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales.
Dans quelle mesure la pandémie de Covid-19 a-t-elle mis en lumière les inégalités entre les pays du Nord et du Sud ?
Peut-on parler d’un «égoïsme vaccinal» d’une poignée de pays riches au détriment des plus défavorisés ?
Les grands laboratoires se régalent et les Etats sont parties prenantes dans cette affaire. Si Pfizer réduit ses profits, les Etats-Unis aussi. Or Pfizer gagne des milliards sur le dos de ceux qui sont en train de mourir. Il faut casser ce monopole. Sinon, on ne progressera pas dans la vaccination des pays du Sud et le Nord en paiera, à terme, les conséquences. Les inégalités sont contraignantes : c’est parce que les Etats les plus pauvres ne sont pas capables de produire leurs propres vaccins qu’ils sont dépendants de l’humanité tout entière.
Comment l’Afrique peut-elle alors sortir de la dépendance vaccinale ?
La première nécessité est de couvrir l’ensemble du besoin vaccinal à l’échelle mondiale. Or les principaux laboratoires, quelle que soit leur puissance, n’ont pas les capacités de produire les 15 milliards de doses nécessaires pour que chaque humain reçoive les deux doses préconisées. Il faut ainsi donner les moyens de production à toutes les entreprises capables de produire des doses avant qu’elles ne les envoient à leur tour dans les pays les plus défavorisés, notamment africains, dont la plupart ne disposent pas des infrastructures nécessaires. Il faudrait vingt-cinq ou trente ans pour que l’Afrique soit capable de produire ses propres vaccins.
Ce système peut-il être régulé ?
Il faut arracher la propriété intellectuelle aux grands laboratoires pour que d’autres infrastructures puissent, elles aussi, produire des vaccins. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) doit toutefois rester très attentive dans l’accomplissement de cette nouvelle fonction normative, dans la régulation, sinon les choses se feront une nouvelle fois au détriment des plus faibles. Des doses de vaccins envoyées par l’Union européenne et qui arrivaient à date de péremption ont déjà été détruites dans certains pays africains…
Comment parvenir à l’équité vaccinale ?
Il faut une vraie gouvernance mondiale de la santé qui impose une modification dans le jeu de la production industrielle des vaccins. Tant que cette question sera traitée sur le mode de la préférence nationale, les inégalités vont croître. Des pays comme les Etats-Unis, la France ou Israël ont beaucoup plus de ressources pour combattre le virus que le Burundi ou la République centrafricaine. Il existe une gouvernance mondiale lorsqu’il s’agit des transports ou des télécommunications, alors pourquoi pas la santé ? L’OMS a trop peu de pouvoir et il est nécessaire de renforcer ses compétences. Il est louable de se faire vacciner, de porter des masques. Mais tant qu’il n’y aura pas de gouvernance mondiale de la santé, cette pandémie ne s’arrêtera pas.
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