Supplique à mon ami qui préfère ne pas se faire vacciner

Tribune dans Libération

Le jeu de la défiance à l’égard de la vaccination est un risque inconsidéré, estime le physicien François Arleo. Que Pasteur l’emporte face à Darwin !

par François Arleo, physicien au CNRS

publié le 4 août 2021

Je suis vacciné contre le Covid, tu ne souhaites pas l’être. Aussi, tu me vois venir : encore un texte pour culpabiliser les rétifs. J’espère que ça ne sera pas le cas, c’est inefficace et tu n’es pas coupable de la pandémie. En revanche, j’aimerais te faire partager mon opinion sur le sujet.Avant de parler de ton intérêt personnel, je dois forcément évoquer l’intérêt collectif à te faire vacciner. Depuis que nous sommes tous devenus épidémiologistes en herbe, tu sais qu’il existe un seuil de personnes immunisées au-delà duquel le virus arrête de se propager. Je t’épargne la formule exacte mais tu vois l’idée : s’il n’existe qu’une petite fraction de la population qui puisse l’accueillir et le transmettre, le virus à couronne s’épuisera avant de trouver de nouveaux hôtes. Avec la contagiosité du variant delta, il faut que neuf personnes sur dix soient vaccinées. Le corollaire est immédiat. Si plus d’une sur dix ne l’est pas, le virus trouvera toujours plus de cibles, déclenchant la dynamique exponentielle et sa litanie de termes morbides : vague, saturation, morts, confinement.

C’est sur ces vagues successives que la mort en bikini, insolente, se plaît à surfer en toutes saisons. Sur ces vagues scélérates dont l’amplitude croit au gré des mutations virales. Avant, on voyageait avec les variants – Angleterre, Afrique du Sud, Brésil, Inde –, maintenant on essaie de se souvenir de ses cours de grec : alpha, beta… Les variants du Covid, l’aubaine des hellénistes et le cauchemar des biologistes ! Face à nous se dresse la théorie de l’évolution : pour une fois, Darwin joue dans le camp d’en face. La seule solution est de le prendre de court en jouant la carte de l’éradication par une vaccination massive. Que Pasteur l’emporte face à Darwin. Le problème est que vous êtes plusieurs à vouloir cette dixième place, peut-être trois sur dix à ne pas vouloir être immunisés. Si tu prends la place, les deux autres doivent se faire vacciner et réciproquement. Idées pour résoudre ce dilemme : la courte paille, les chaises musicales ou, plus pragmatique, des incitations de toutes sortes comme des tickets de loterie pour assister à un concert de Francis Lalanne. Ou changer d’avis en comprenant que c’est un bien petit pas pour ton épaule endolorie mais un bond de géant pour se débarrasser du Covid.

Combien d’effets secondaires graves ? Si peu

Si ces arguments ne portent pas, si tu ne souhaites pas te vacciner pour la communauté (je sais, ça fait un peu hippie sur le retour mais c’est pourtant bien de ça qu’il s’agit), fais-le au moins pour toi. Je suis surpris de ta peur face aux vaccins, qui n’a d’égale que ton insouciance face au Covid qui est pourtant tout sauf une petite grippe (6 à 8 millions de morts selon l’OMS). Peut-être imagines-tu – grand optimiste ! – que tu ne tomberas jamais malade ce qui, si l’épidémie perdure, paraît peu probable. Plus réalistement, à la grande loterie du Covid, je te souhaite de tirer la carte asymptomatique. Ne te crois pas pour autant protégé par ton âge : de plus jeunes que toi ne s’en sont pas sortis. Et quand bien même la mort aurait quelques scrupules – ce qui n’est pourtant pas son genre – tu prendras soin d’éviter les symptômes parfois très lourds du Covid long. Sortons la calculette. Probabilité que tu aies le Covid d’ici un an ? Disons 10 %. Je réduis à 5 % pour le risque de développer une forme symptomatique.

A cette probabilité, j’ajoute celle de développer des symptômes sur le long terme, de l’ordre de 20 %. Tu as donc 1 chance sur 100 de développer un Covid long dans l’année qui vient. Peut-être un peu plus, un peu moins, mais cette estimation paraît réaliste. Tu sembles prêt à courir ce risque : après tout, 1 sur 100, c’est très improbable. Admettons. Là où j’ai plus de mal à te suivre, c’est sur ta soudaine inquiétude face au vaccin. Au moment où je t’écris, quatre milliards de doses ont été injectées. Pour combien d’effets secondaires graves ? Si peu. Le cas le plus critique reste l’apparition de thromboses cérébrales, avec une fréquence d’environ 1 cas mortel pour… 1 million de personnes vaccinées, soit à peine plus que dans la population générale. En gros, la probabilité d’être victime d’un crash aérien. Pour résumer, tu crains un danger totalement improbable mais tu ignores un risque tangible. Un peu comme si la victime d’une grave insuffisance cardiaque refusait de monter dans l’ambulance le conduisant aux urgences, de peur d’avoir en chemin un accident de la circulation qui lui serait fatal. Protège tes arrières, mec !

Chapeau aux chercheurs visionnaires

J’anticipe ta critique : et si les effets secondaires graves se manifestaient longtemps après ? Aucune maladie rare ne s’est manifestée plus de deux mois après une vaccination. Avec autant de doses injectées et une pharmacovigilance plus à l’affût que jamais, de graves répercussions à long terme paraissent exclues. Et si j’en crois les biologistes, le message envoyé aux cellules codé à l’acide ribonucléique, a le bon goût de s’autodétruire en quelques heures : je ne peux m’empêcher d’admirer la beauté du procédé des vaccins ARNm, sans parler de leur efficacité insolente.

C’est d’ailleurs là-dessus que je termine ma bafouille. A défaut peut-être d’avoir pu te convaincre, je veux tirer un grand coup de chapeau aux chercheurs visionnaires qui, depuis deux décennies, travaillent sur la possibilité de vaccins ARNm. Un grand merci aux états qui ont investi massivement dans la recherche, sans garantie de succès. Une profonde reconnaissance envers les soignants qui se battent contre le Covid et les autres maladies. Voilà à quoi je pensais, ému, en sortant de chez ce médecin de Guérande où je recevais ma seconde dose. L’esprit soulagé – à titre personnel – et les poumons gonflés d’un bon air iodé.

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