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Par fjarraud , le vendredi 03 septembre 2021.
Bonne nouvelle, l’Ecole va bien se retrouver au centre du débat de la présidentielle. Mauvaise nouvelle : E Macron va faire campagne sur un programme ultra libéral pour l’école publique. Présentant le 2 septembre son plan pour le Grand Marseille, le président de la République a annoncé un statut dérogatoire spécial pour 50 écoles marseillaises dès la rentrée 2022. Dans ces écoles, les directeurs choisiront les enseignants et disposeront d’une large autonomie pour adapter les horaires, les rythmes scolaires avec la participation « d’acteurs extrascolaires ». Cette « école du futur » reprend le vieux projet libéral d’une école privatisée. On pouvait penser que le gouvernement stopperait ses réformes d’ici les élections. Il fait le choix inverse, d’aller plus loin dans la libéralisation de l’Ecole. Et probablement d’inscrire cette contre révolution libérale dans le programme d’E Macron aux présidentielles.
Les directeurs embaucheront les enseignants
On s’attendait à un plan d’investissement dans les écoles marseillaises. C’est ce que l’Elysée avait annoncé. Et le chiffre du milliard circulait pour rénover les 174 écoles marseillaises laissées à l’état de ruine par la municipalité précédente. On verra qu’il y a bien un plan à ce sujet. Mais il reste flou sur le concret et précis sur le politique car il vise surtout à lier la nouvelle municipalité de gauche à un projet libéral.
Ce qui est précis c’est la volonté de casser les règles de fonctionnement des écoles publiques pour les aligner sur celles des écoles privées. Et là dessus le président de la République veut aller très vite et très loin.
» On doit pouvoir aller plus loin… En fait, donner plus de liberté en même temps qu’on donne plus de moyens. Il faut qu’on ait des directeurs d’école à qui on permet d’avoir un peu plus d’encadrement. Il faut que ces directeurs d’école ils puissent choisir l’équipe pédagogique… On doit permettre peut-être d’avoir des aides en plus des enseignants en plus, d’être doté de moyens, d’adapter les rythmes scolaires pour les enfants, de penser le temps sportif différemment grâce aux infrastructures qu’on veut aussi mettre en place, de penser le temps culturel à côté de l’école différemment et de permettre de le faire, et en quelque sorte d’avoir une équipe qui n’est pas simplement faite d’enseignants mais de pouvoir d’abord choisir les enseignants qui y sont, être sûr qu’ils sont pleinement motivés, qu’ils adhèrent au projet, ce qui est je crois normal parce que c’est dur, et de pouvoir aussi y associer des acteurs extrascolaires qui partagent l’objectif », explique E Macron. » Il nous faut aussi tisser ce moment entre l’école primaire et le collège… il faut qu’on puisse avoir des enseignants qui seront référents, qui vont les accompagner et penser cette période qui va du CM1 à la 5ème. Toutes ces innovations, on en rêve ».
Une généralisation possible
Dans ces 50 écoles, » on pourra donc adapter, repenser les projets d’apprentissage, les rythmes scolaires, les récréations, la durée des cours, les façons d’enseigner, et qu’on puisse commencer dès la rentrée 2022-2023. Et évaluer ensuite ces résultats et, s’ils sont concluants, les généraliser. Et on fera cette même innovation dans plusieurs autres quartiers de la République. »
La fin du statut de fonctionnaire
Il faut bien comprendre ce qui se joue dans cette expérimentation. Si elle est généralisée c’est la fin du mouvement des enseignants et à travers lui du lien entre concours et poste. Autrement dit c’est la fin du statut de fonctionnaire pour les enseignants. Les écoles fonctionneront comme les écoles privées sous contrat avec des enseignants passant un concours et devant ensuite trouver un établissement qui les accepte. C’est donc une privatisation de l’école publique.
Cela répond il aux besoins ?
Cette libéralisation de la gestion des écoles va t-elle répondre aux besoins des élèves des quartiers défavorisés de Marseille ? Des directeurs qui choisissent, et donc licencient aussi, leurs enseignants cela existe dans les pays les plus fidèles au Nouveau Management Public. Le pays qui est allé le plus loin sur cette voie c’est la Suède. Dans ce pays (voir cet article et celui ci ), les directeurs d’école ont obtenu une large liberté pour l’embauche et le licenciement des enseignants et aussi en matière d’autonomie pédagogique. Le resultat s’est lu dans Pisa 2015. Non seulement le pays doit faire face à une hausse rapide des démissions de directeurs d’école, mais les écoles ne trouvent plus d’enseignants. Il a fallu abaisser le niveau de leur recrutement. Au final le niveau des élèves s’est effondré à un tel point que même l’OCDE a conseillé une re-étatisation partielle des écoles. Pour revenir en France il n’est pas inutile de rappeler que les écoles privées sous contrat ont déjà autant de mal à trouver des enseignants et des directeurs que les écoles suédoises. Par suite on y trouve un pourcentage de contractuels beaucoup plus important que dans les écoles publiques.
Un vieux projet
Ce projet est il innovant ? Rien de neuf dans ce projet. X Darcos en avait lancé l’idée il y a plus de 15 ans.JM Blanquer s’en est fait le chantre dans ses livres (L’école de la vie en 2014, L’école de demain en 2016). Il l’avait annoncé dans Le Nouvel Observateur en août 2017 alors qu’il était déjà ministre. On le retrouve dans le projet Cap 22 dévoilé en 2018. C’est ce projet qui clairement refait surface. En 2017, JM Blanquer n’avait pas osé aller plus loin. En 2018 il avait reculé sur le statut de directeur dans la loi Ecole de la confiance sous la pression des enseignants. Ensuite il a beaucoup hésité à relancer une question qui a mis en danger les députés LREM et même ceux de droite. A quelques mois de l’élection présidentielle, E Macron et JM Blanquer sautent le pas. Ils lancent une première réalisation qui aura lieu à la rentrée 2022, si le nouveau gouvernement ne s’y oppose pas. Ce lancement annonce que la proposition entrera dans le programme du candidat Macron et que l’Ecole sera un objet d’affrontement dans ces élections.
Ce projet est totalement séparé du projet de rénovation des écoles. Il ne va pas nécessiter de moyens financiers importants et pourra être mis en place par de simples textes réglementaires ou une adaptation de la loi Rilhac qui va revenir au Parlement dès septembre.
La rénovation des écoles , un piège politique ?
Qu’en est il de la rénovation des écoles ? D’après E Macron 174 écoles doivent être reconstruites, soit à peu près la moitié des écoles de la ville. Le président s’est engagé sur la rénovation de 15 écoles au minimum. « On doit aller plus loin » dit-il sans fixer de nombre ou de montant. « Il faut qu’on y voit plus clair sur le nombre d’écoles qu’on veut y mettre ».
Par contre E Macron est très clair sur les conditions politiques de l’aide de l’Etat. Paris va aider Marseille à condition de prendre le controle de la rénovation, une compétence municipale. « On va créer une société ad hoc dont M. le maire aura la présidence. Elle sera sous le pilotage de l’Etat ». Cette société sera crée d’ici la fin de l’année 2021. E Macron met une condition politique supplémentaire : « Vous avez un problème avec vos personnels municipaux… Trop de grèves, trop d’absentéisme… M le maire j’attends que vous réformiez ».
On voit bien le piège politique où le président enferme la nouvelle municipalité de gauche. La ville devient le laboratoire du projet éducatif libéral. Le maire perd le controle de la rénovation au risque d’être accusé de parisianisme. Et pour avoir une aide qui reste à définir il doit casser les syndicats municipaux.
Le Snuipp catastrophé
Il reste encore quelques mesures qui concernent l’école. Pour davantage de sécurité dans les écoles, E Macron annonce des caméras, un dispositif dont l’inefficacité a été évaluée scientifiquement. Il annonce aussi la création de 10 micro collèges et 10 micro lycées pour décrocheurs. Pour d’autres jeunes, E Macron a des « solutions » : l’entreprenariat (sans rire) ou le service militaire adapté.
Ces annonces ont fait réagir le Snuipp Fsu, premier syndicat du premier degré. « E Macron est dans le contournement des règles », nous dit Guislaine David, co secrétaire générale du Snuipp Fsu. « S’il le fait à Marseille, il le fera ailleurs ». Elle note qu’à aucun moment il n’a été question de cela dans les groupes de travail syndicats – ministère. « Il y a un passage en force ». Pour elle ces mesures ne vont pas aider les écoles. « Ce dont les écoles ont besoin ce sont des équipes renforcées et c’est ce qui manque. Les collègues des Bouches du Rhône sont catastrophées. Elles attendaient des moyens supplémentaires ».
François Jarraud
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