Le 25 juillet de cette année, un ingénieur de la SNCF est mort au travail dans des circonstances atroces : il a été enseveli vivant suite à un éboulement sur un chantier. Un quotidien de province a publié cette information dans sa rubrique « faits divers » en ne s’attachant quant au contenu de l’article qu’aux conséquences impactant les voyageurs et le trafic des trains (1). Un grand site d’information nationale a titré de façon lapidaire « Accident de chantier mortel à Massy : le trafic SNCF a repris, annonce le ministre délégué aux Transports Jean-Baptiste Djebbari », là aussi le traitement de cette information pourtant tragique reste axé sur l’impact de l’accident sur la circulation des trains (2). Un autre grand hebdomadaire français (3) a présenté les faits de façon similaire : en se contentant de disserter sur l’altération du trafic ferroviaire. Ces analogies sont troublantes et montrent bien comment sont traités médiatiquement les accidents du travail, comme des faits divers isolés, compris indépendamment les uns des autres, faits divers narrés avec une inhumanité sidérante : la victime est reléguée à l’arrière-plan derrière les inconvénients pour les voyageurs et les retards de train. Le pire est sans doute la réaction, telle qu’elle a été rapportée par ces mêmes organes de presse, du ministre délégué au Transport (3) qui a été d’annoncer la reprise du trafic sans un mot pour la victime et ses proches, avec un manque de considération total pour ces derniers, le cynisme froid de nos dirigeants laisse sans voix.
Il est avéré que l’exigence du patronat envers les salariés d’effectuer des heures supplémentaires et d’accroître sans cesse leur productivité engendre du stress, du harcèlement, des accidents de travail voire des suicides, or les récentes « réformes » du code du travail ont eu pour conséquences d’accentuer la pression patronale sur les salariés. En 2008, Gérard Filoche attirait déjà l’attention du public sur les réformes en cours à l’époque du droit du travail, une loi de 2004 a autorisé une « recodification » du code du travail, ce texte, qui est le produit de 130 d’histoire des rapports de force sociaux est le produit des luttes des salariés, c’est ce texte qui met l’employeur dans l’obligation de rémunérer l’acte productif mais aussi tout ce qui le rend possible (repos, congés payés, formation..). Le code du travail comprend l’ensemble des lois qui encadrent les rapports entre patrons et salariés et fixe le prix de la force de travail, il constitue à la fois un droit collectif et personnel pour tous les salariés du secteur privés. Le patronat lutte en permanence pour l’affaiblir et dans cette guerre sociale, le MEDEF tente d’imposer sa novlangue (par exemple parler de charges plutôt que de cotisations). Pour mieux occulter sa violence contre ceux qu’il emploie, le MEDEF use de son influence pour attaquer le code du travail au détriment des salariés et les modifications opérées par le gouvernement lors de cette « recodification » l’ont été dans l’intérêt du MEDEF. La « recodification » impacte la durée du travail ; autrefois placée dans la partie concernant les conditions de travail, elle est désormais située dans la partie dédiée au salaire, ce qui dénote un changement politique : la durée du travail n’est plus analysée en termes de santé, mais de coût. Le contrôle de la durée du travail a aussi été rendu plus difficile par la recodification, alors que 90% des plaintes déposée à l’inspection du travail concernent des heures supplémentaires non payées. Autre changement majeur, la « recodification » va à l’encontre du regroupement progressif des différentes branches du salariat, une ordonnance du 12 mars 2007 a renvoyé certaines catégories de salariés vers d’autres codes, cette séparation des branches de salariés aura pour conséquence que les droits des salariés ne vont plus évoluer de la même manière selon les types d’activité.
Les conditions de travail ont aussi été impactées, le patron étant considéré comme étant sur le même plan que le salarié, ils sont maintenant envisagés comme des « collaborateurs », ce qui ne prend pas en compte le rapport de force, de subordination inhérent au lien entre employeur et employé.
La « recodification » a remplacé « l’inspection du travail » par une « autorité administrative » et est en accord avec la volonté du MEDEF de supprimer les prud’hommes qui peuvent être depuis cette réforme créés ou supprimés sans consultation préalable. L’inspection du travail est devenue « l’autorité administrative compétente », certaines responsabilités de l’inspecteur de terrain peuvent être transférées au directeur départemental nommé par le pouvoir central. Par voie de conséquence, l’inspection du travail relèvera donc de l’administration du travail et donc de la politique du gouvernement alors que son rôle est « d’alerter le gouvernement sur le sort qui est fait aux salariés ». (4)
La loi travail conçue par Myriam El Khomri, puis les ordonnances d’Emmanuel Macron adoptées en 2016-2017, ont eu pour conséquence de faire baisser les recours des salariés aux prud’hommes, et simultanément, les ruptures conventionnelles individuelles ont été croissant, se substituant aux requêtes des salariés auprès des prud’hommes, le coût de la rupture du contrat de travail étant reporté vers Pôle Emploi. La création des ruptures conventionnelles collectives n’a fait qu’accélérer cette tendance. Les délais dits « de prescription », c’est-à-dire la durée pendant laquelle le salarié peut agir et formuler un recours, ont été raccourcis. Le caractère oral des débats prud’hommaux qui permettait aux salariés ne maîtrisant pas suffisamment l’écrit de se défendre plus facilement a été remis en cause en première instance et supprimé en appel. Les barèmes d’indemnisation de la justice prud’hommale ont été abaissés et le nouveau barème est inscrit dans les ordonnances Macron : il dessaisit le juge qui ne dispose plus dorénavant de la marge de manœuvre nécessaire pour indemniser le salarié en fonction du préjudice subi. En cas de licenciement sans cause réelle, avant ces ordonnances l’indemnisation ne pouvait être inférieure à six mois de salaire, et le juge pouvait indemniser le salarié au-delà de ce montant. A présent, le salarié licencié sans raison valable ne peut recevoir qu’entre 3 mois au minimum, et 3 mois et demi de salaire au maximum en guise d’indemnisation. Certains conseils de prud’hommes, ont décidé de ne pas utiliser ce barème pour indemniser les salariés, en s’appuyant notamment sur les lois sociales européennes, qui peuvent s’imposer en droit français. Le gouvernement a alors réagi en demandant à tous les procureurs généraux des cours d’appel de recenser les décisions rendues sur la question de la non-conformité du barème et le cas échéant, de rappeler en cour d’appel lorsqu’elles seront saisies que le Conseil Constitutionnel et le Conseil d’état n’ont pas invalidé ce barème. Le gouvernement semble par ces injonctions vouloir inciter les magistrats des cours d’appel à ne pas confirmer les jugements en première instance des prud’hommes. Les données sociales jusqu’ici transmises aux comités d’entreprise ne seront disponibles que dans la base informatisée de données économiques et sociales, sans qu’elles soient classées, ce qui complexifie l’accès à l’information. Les inspecteurs du travail pour leur part subissent régulièrement des pressions et autres atteintes, quand ils ne sont pas attaqués en justice. En outre, la loi sur le secret des affaires rend l’exercice de la preuve plus difficile : les documents pouvant servir de preuve en justice étant déclarés confidentiels par l’entreprise, donc impossible à produire devant le tribunal. Ce train de réformes du droit du travail et de la justice, loin de développer l’emploi aggrave la précarisation et accroît l’éloignement des classes populaires des juges (5).
En 2003, un rapport de l’Organisation Internationale du Travail dévoilait que chaque année, plus de 2 millions de salariés mouraient au travail de par le monde et ces chiffres sont en deçà de la réalité… La CNAM estimait à 780 le nombre de morts au travail chaque année, autrefois appelée « impôt du sang » (6), cette mortalité au travail est plus que jamais d’actualité. Le nombre de salariés morts au travail reste stable avec, pour l’année 2019, 733 victimes. La mortalité au travail n’a rien d’un fait divers, c’est un fait social, il est à noter que les facteurs déclenchant d’accidents de travail sont bien identifiés, entre autres : le manque de formation, les cadences trop rapides et la baisse des effectifs des contrôleurs du travail. Les ouvriers du BTP sont les plus représentés parmi les accidentés du travail, suivis par les chauffeurs routiers. Trop souvent appréhendés comme une fatalité, comme un « risque du métier », l’analyse des accidents du travail ne se fait pas en lien avec les facteurs organisationnels ou la précarité. Or, les dernières réformes du code du travail n’ont fait que dégrader les conditions de travail et renforcer la précarité. De plus les victimes doivent souvent après l’accident mener un combat judiciaire qui peut être un réel parcours du combattant d’une durée de plusieurs années, cela implique une enquête de l’inspection du travail et une autre en parallèle de la police, mais malgré tout, les peines infligées aux employeurs restent dérisoires (7).
Les accidents du travail ne sont pas des faits divers et ne doivent pas être traités comme tels, ils ne sont pas non plus une fatalité, ils sont la conséquence de mauvaises conditions de travail, de la précarité, de la casse du code du travail et de la fragilisation des instances juridiques de protection des salariés. Les dernières réformes du code du travail n’ont pas fait que précariser un peu plus les travailleurs, elles ont fait des morts, des blessés, elle ont fait augmenter « l’impôt du sang » que les patrons font payer aux salariés sous forme d’accidents de travail quand ils laissent sciemment les conditions de travail se dégrader ou augmentent la pression au rendement au mépris des règles de sécurité.
Christine
Bibliographie
(1) https://www.courrier-picard.fr/id216269/article/2021-07-25/un-accident-sur-un chantier-sncf-fait-un-mort-et-paralyse-le-trafic-au-sud-de
(3) https://www.lepoint.fr/societe/un-mort-sur-un-chantier-a-massy-le-trafic-sncf reprend-peu-a-peu-a-montparnasse-25-07-2021-2436794_23.php
(4) https://www.monde-diplomatique.fr/2008/03/FILOCHE/15663
(5) https://www.monde-diplomatique.fr/2019/05/MEYNAUD/59867
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