IL NOUS FAUT MESURER ET FAIRE MESURER COMBIEN LE MOUVEMENT ANTI-PASS EST EN TRAIN DE SAPER L’ORDRE ETABLI
Les manifestations du samedi 9 octobre ont montré que le mouvement anti-pass, loin de s’essouffler, garde au contraire tout son souffle avec toujours un haut niveau de mobilisation bien qu’il en soit à sa 13e semaine. Les situations sont contrastées selon les villes et même si on en est pas de manière générale à la hauteur de juillet ou bien août, on notait toutefois ce samedi des villes où on comptait plus de manifestants que la semaine passée.
Par ailleurs, le caractère plus populaire, plus déterminé, plus révolté des manifestations qui était apparu le 2 octobre avec plus de Gilets Jaunes s’est maintenu ou amplifié en même temps que l’extrême droite continue son décrochage.
Il est à noter aussi que dans plusieurs villes ou régions, des Gilets Jaunes ont précédé les manifestations d’opérations escargots sur les autoroutes contre la hausse des prix de l’essence, du gaz et de l’électricité. Une tendance ?
Enfin en Guadeloupe, Martinique et Guyane, la mobilisation qui ressemble à une grève générale rampante a été marquée non pas par une mais deux fortes journées de mobilisation. D’abord le 7 octobre où cela a été massif avec une mobilisation coordonnée aux Antilles et en Guyane, ensuite le 9 octobre où il a été appelé à intensifier encore la mobilisation dés le 11 octobre au matin, jour où l’administration sanitaire a promis dans un style tout à fait colonial et ubuesque de suspendre les non vaccinés bien qu’ils soient très majoritaires parmi les agents hospitaliers ou de santé.
Quoi qu’il en soit des tendances en cours, de manière générale la persistance de cette mobilisation populaire foisonnante à un haut niveau et de plus en plus déterminée, à la veille des élections présidentielles, est en train de marquer la situation politique et sociale sans qu’on s’en rende toujours compte ou bien plus qu’on ne le croit souvent.
Il ne faut jamais oublier pour mesurer ce poids de la mobilisation actuelle sur la situation générale que cette mobilisation anti-pass en France, comme hier celle des Gilets Jaunes ou encore celle contre la réforme des retraites en 2019 mais aussi toute la conflictualité sociale quelle que soit sa forme qui n’a pas cessé depuis au moins 2016, s’intègre dans une vague de soulèvement sociaux qui embrasent quasi toute la planète. Tous, d’une manière ou d’une autre, exigent un plus grand contrôle des peuples sur la conduite des affaires politiques et sociales, avec jusque là un pic de mobilisation en 2018-2019 et 54 pays connaissant des soulèvements ces années-là.
Ces conflits ont été un instant atténués ou interrompus par le covid.
Mais aujourd’hui où l’épidémie semble s’émousser et pourrait aller vers sa fin au moins à certains endroits, la question qui en filigrane détermine toute la situation est de savoir si la vague de contestation sociale d’avant covid va reprendre, va se développer à un niveau encore plus élevé et plus politique qu’en 2018-2019 et si le mouvement anti-pass en est le premier pas.
Personne ne peut le savoir mais tout porte à le penser à la lumière des développements du mouvement social en particulier en Inde où il ne s’est pas arrêté, au Chili et au Brésil où il reprend, et surtout plus proche de notre univers occidental, dans bien des pays d’Europe ou d’occident notamment aux USA et en Italie, où le mouvement anti pass se mêle à une vague de grèves.
En tous cas, les milliardaires et le pouvoir craignent cette résurgence et toute leur politique est d’essayer de prévenir cette nouvelle bouffée de colère populaire qui pourrait les menacer.
Alors, si les bourgeois et le pouvoir se préparent, pourquoi ne le ferions nous pas aussi en donnant au moins à voir ce que notre camp est en train de réaliser et à travers cela notre force ascendante.DONNER A VOIR COMMENT LA DUREE DANS LES CONFLITS SOCIAUX EST LIEE A UNE CONSCIENCE MONTANTECe qui caractérise la situation conflictuelle dans la période c’est que la plupart des conflits durent. Ils durent parce que la situation matérielle devient cruciale pour beaucoup mais aussi et lié à cela, parce que même catégoriels, pour la survie immédiate, ils sont tous habités d’une conscience globale de la situation qui a bien compris qu’il s’agit d’un combat à mort entre le capitalisme et notre survie.
Il y a aujourd’hui en conséquence et en plus des mouvements à proprement parler, un phénomène massif de désobéissance sociale, sociétale et civique qui devient la règle.
On voit la partie émergée de cet iceberg par le refus des salariés d’aller au travail en mars 2020 pour protéger leur santé en utilisant massivement le droit de retrait, puis le refus des parents d’envoyer leurs enfants à l’école, le refus massif ensuite de participer aux scrutins électoraux, puis aujourd’hui celui de refuser l’obligation vaccinale et le pass…
Cette désobéissance de masse dans tous les domaines se nomme liberté ; liberté de penser, de croire ou ne pas croire, de dire ce que sont les hauts gradés, les personnalités, les importants, les experts et docteurs de télévision et autres parasites au service de l’ordre établi… Tous ceux qui se croient grands mais sont au service d’un petit… un petit apprenti dictateur vomi.
Nous avons connu jusque là une longue période où la « réussite » sociale individuelle était le but de la vie. Nous sommes en train de passer à une autre où la « politique » au meilleur sens de l’organisation de la vie en commun est en train de devenir l’objectif collectif de la vie. Ce n’est pas encore de l’auto-organisation mais ça en est le chemin nécessaire.
Cette méfiance/conscience générale qui habite tous les mouvements et qui est la source de leur durée est animée du sentiment, en plus ou en moins, que nous ne vivons plus vraiment en démocratie, que la justice est celle des riches, que la police est la milice du pouvoir, que la grande presse n’informe pas mais fait de la propagande, que le pouvoir économique non élu est au dessus du pouvoir politique élu, que les frontières ne nous protègent pas des crises climatiques et sanitaires mondiales, que l’expertise scientifique dans les mains des puissants est un outil politique avant de dire la « vérité », que les grands partis et directions syndicales sont des rouages du « système », que l’opposition gauche-droite n’a plus de sens et que s’y substitue une opposition haut et bas, que les élections dites représentatives ne nous représentent plus et qu’elles ne sont plus le débouché politique des mouvements sociaux mais que le mouvement social est devenu son propre débouché politique, bref,en résumé, que le capitalisme n’est pas le seul système possible.
C’est une très forte prise de conscience.DONNER A VOIR LE POIDS DU MOUVEMENT SOCIAL ACTUEL SUR LA SITUATION ET A TRAVERS CELA DONNER CONFIANCE EN NOTRE FORCE ASCENDANTEComme je l’ai déjà noté, le mouvement anti-pass a bloqué les prétentions du gouvernement à sanctionner les non vaccinés, puisque seulement 3 000 (ou 20 000) selon lui – même si c’est 3 000 ou 20 000 de trop – ont été suspendus sur 350 000 soignants non vaccinés. Il a bloqué aussi l’envie du grand patronat d’étendre le pass sanitaire à toutes les professions comme cela se fait par exemple en Italie ou aux USA, pour licencier plus facilement, par peur d’une généralisation de la colère.
Il a pesé encore sur la manifestation syndicale du 5 octobre et surtout ses suites et par là, a remis la question sociale au centre de l’actualité contre les questions de sécurité, d’immigration, etc….
Cette journée du 5 a été conçue au départ par les directions syndicales pour repousser au plus loin possible toute mobilisation contre les attaques de Macron déclenchées le 12 juillet et – accompagné de quelques calomnies sur le mouvement anti-pass – pour éloigner le mouvement ouvrier organisé de cette mobilisation anti-pass.
L’objectif de décourager les salariés a fonctionné puisque la mobilisation était loin d’être à la hauteur des enjeux. En même temps, on peut voir cette faible participation non pas comme une absence de volonté de mobilisation de la part des travailleurs, puisqu’il y a en même temps de fortes participations à de nombreux mouvements locaux ou catégoriels, mais plus comme un désaveu de la politique syndicale. Cependant, les directions syndicales avaient un double problème : qu’il n’y ait pas trop de monde pour ne pas avoir envie de continuer mais suffisamment quand même pour ne pas paraître ridicules par rapport aux manifestations anti-pass, ce qui les a amené à faire un petit effort de mobilisation ici ou là.
Ainsi, l’objectif de décourager les militants d’une mobilisation d’ensemble a moins marché.
Ces derniers étaient en effet assez nombreux dans ces manifestations pour qu’un nombre non négligeable d’entre eux en sorte encouragé par rapport au pire qu’ils pressentaient. Les militants de certains secteurs étaient d’autant plus encouragés qu’il y avait dans ces manifestations une présence non négligeable de cortèges d’entreprises en lutte avec des salariés qui n’avaient jamais manifesté jusque là et pas mal d’entreprises qui sans participer aux manifestations avaient choisi cette date pour faite grève sur des problèmes particuliers.
A la RATP pour ne prendre que cet exemple, le mouvement a été plutôt bien suivi dans certains dépôts. Du coup les syndicats ont appelé à une suite rapide plus radicale dans leurs secteur. Rappelons-nous combien déjà la RATP avait été un intermédiaire entre le mouvement des Gilets Jaunes et les secteurs ouvriers organisés avec le mouvement que les agents de la RATP ont déclenché fin 2019 contre la réforme des retraites.
Or cet « encouragement » initie une conscience que le découragement fait taire. Ainsi, une leçon de cette période de mouvement anti-pass et de la grève du 5 octobre à laquelle les directions syndicales n’ont aucune envie de donner une suite, c’est qu’il n’y a plus grand monde chez les militants pour penser que les directions syndicales puissent rompre avec leur politique de dialogue social comme avec leurs journées d’action sans suite et sans plan.
Aussi, parce que les directions syndicales ne donneront pas de suite au 5 octobre et parce que dans le même temps le mouvement anti-pass va continuer les 16, 23, 30 octobre et au delà en exerçant toute sa pression pour tirer vers la rue, l’encouragement du 5 octobre aura servi de point d’appui aux militants les plus combatifs pour prendre plus d’autonomie afin d’aller plus loin.
Le plus important est donc qu’enfin les militants syndicalistes sont descendus dans la rue et que suffisamment d’entre eux aient envie de remettre ça d’une manière ou d’une autre.
A partir de là, la situation a brutalement changé. Une sorte de halo politico-social général s’est formé qui associe maintenant plus ou moins consciemment dans les esprits de tous, les luttes syndicales et économiques et la lutte anti-pass, comme un tout, marchant toutes dans le même sens, toutes contre le pouvoir, toutes dans la rue, tendant à faire oublier alors tout d’un coup toute la propagande sur la prétendue fascisation des masses et en particulier de celles qui défilent contre le pass.
Ainsi, on a pu remarquer que ce samedi 9 octobre, en retour du 5, que bien des cortèges « syndicaux » dans les manifestations anti-pass étaient plus fournis, phénomène qu’il faut associer aux opérations escargots des Gilets Jaunes contre les hausses des prix ce 9 également et au mouvement anti-pass qui a rejoint la marche des fiertés à Toulouse toujours ce 9, ce qui construit un tout, une tendance et donne forme à une conscience.
On peut d’autant plus mesurer cette conscience et cette tendance et la possibilité d’un mouvement d’ampleur, à la remontée des grèves aux USA et en Italie (qui associent pour ce dernier pays, luttes anti-pass et luttes contre les licenciements), les deux pays occidentaux qui avec la France ont connu une montée sociale dans la période récente dans des circonstances semblables. Et tout cela sans oublier dans la situation les chômeurs dont on peut se demander comment ils vont réagir dans ce contexte « tendanciel » lorsqu’ils auront à la fin du mois des allocations fortement diminuées.
On peut alors mesurer l’inquiétude des directions syndicales face à cette situation qui pourrait les déborder à la multiplication des journées d’action dispersées qu’elles annoncent pour l’après 5 octobre afin d’essayer de faire barrage. Toutes ne dépendent pas d’elles mais toutes baignent dans l’absence de suite d’ensemble au 5 octobre. Il y ainsi le 6/10 le médico-social ; le 7/10 les sages-femmes et la MSA (Mutualité Sociale Agricole) ; le 12/10 les médecins urgentistes et le SAMU ; le 13/10 les bibliothèques et établissements culturels ; le 15/10 les pompiers et la santé ; le 19/10 les AESH, l’Énergie et la sûreté des aéroports ; le 29/10 la SNCF… et d’autres encore en novembre, au cas où… Mais lorsqu’un mouvement est enclenché, il se sert le plus souvent de ces fractionnements pour faire de chacun d’eux un point d’appui pour aller plus loin, comme le 5 octobre.
Le principal acquis global du mouvement anti-pass – et c’est déjà une victoire politique importante- est donc qu’il a redonné à la rue son rôle central pour battre Macron aujourd’hui et pas dans les élections dans 6 mois mais aussi pour battre en même temps Le Pen, Zemmour, Bertrand, Pécresse ou encore Philippe qui ont tous horreur de la rue.
Cette nouvelle situation qui s’amorce détourne ainsi les militants syndicaux et politiques de base de l’attraction électorale vers laquelle leurs organisations les poussait et vers laquelle ils ne s’engageaient qu’à contre-cœur, n’y voyant qu’une impasse et un piège. Il n’y a plus que le petit cercle militant restreint qui se bat pour son champion pour être encore attiré par la question électorale, ses différents candidats, l’abstention ou non.
Cette mobilisation en remettant donc la rue et la question sociale au centre de la situation, nous débarrasse de toutes les puanteurs que véhiculent les élections à commencer par celle de la sécurité et du racisme que les partis de l’ordre et leurs médias nous distillent à longueur de journée. La perspective de la rue rend non seulement la perspective électorale obsolète mais encore plus visible l’usure de ses champions, le couple Macron/Le Pen. Or il y a risque pour les riches que cette usure renforce un rejet populaire des deux déjà bien amorcé et en conséquence délégitimerait l’ensemble des élections présidentielles. Cela est très problématique pour la bourgeoisie car l’élection présidentielle – bien plus que les autres élections – est le noyau de la réitération périodique de la fabrication du consentement populaire à l’exploitation et l’oppression.
Cette délégitimation des élections présidentielles qui s’amorce aujourd’hui dans la lutte pour battre Macron maintenant dans la rue pourrait s’exprimer demain de très nombreuses manières dans le scrutin suivant les résultats de cette lutte. Une victoire ou une défaite auraient des conséquences très différentes. De manière générale, et pour donner quelques exemples de l’infinie variété de possibilités, le mouvement social n’ayant pas vraiment de candidat à lui, il pourrait s’exprimer par une abstention massive. Mais le scrutin pourrait au contraire connaître une participation record suivant l’enjeu perçu dans ces élections comme par exemple aux USA où les électeurs n’ont pas tant voté pour Biden ou pour Trump mais pour ou contre le mouvement social Black Lives Matter, qui précédait le scrutin, le plus grand qu’ait jamais connu le pays. Il pourrait y avoir aussi l’émergence surprise au dernier moment d’un candidat non prévu – comme on l’a vu en Tunisie – et pourquoi pas de gauche – comme on l’a vu au Pérou, ou encore une mobilisation de la rue durant les élections contestant tous les candidats de l’ordre établi comme on le voit en Inde. Bien imprudent serait donc celui qui prétendrait savoir aujourd’hui ce qui va se passer dans 6 mois.
Et c’est bien ce qui inquiète la bourgeoisie. Face au mouvement de rue qui dure et prend de plus en plus d’espace, pouvant avoir des développements inconnus demain, elle se prépare à cette incertitude comme à l’obsolescence de la tromperie électorale et à l’usure du tandem Macron/Le Pen. Les milieux bourgeois cherchent des solutions. C’est pourquoi ils se construisent la possibilité d’un duo Philippe/Zemmour aux présidentielles pour renouveler l’attrait de la tromperie ou d’un Philippe gagnant les législatives pour contrôler le président….
Leur objectif est de remettre les élections et donc la sécurité et l’immigration au centre de la situation alors qu’ils y échouent depuis trois mois face à la mobilisation anti-pass qui a relégué élections et racisme bien loin des esprits en mettant pour sa part la question sociale et la rue au centre de l’actualité et des solutions aux problèmes de la période : un grand succès du mouvement anti-pass.
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