Le lundi 25 octobre, un intérimaire est mort dans un abattoir de Lanfains, dans les Côtes d’Armor, écrasé sous 500 kilos de volaille. Il avait 18 ans. Trois semaines plus tôt, c’est Harouna Samaté, un apprenti de 17 ans, tout juste engagé dans un CAP plomberie, qui a perdu la vie après une chute sur un chantier de BTP où il travaillait, à Villefranche-de-Lonchat (Dordogne).
Un observateur distrait qui se fierait à l’écho médiatique – presque inexistant – de tels drames conclurait facilement que mourir au travail est très rare en France. Il se tromperait lourdement.
Chaque semaine, dans le seul secteur privé, qui couvre environ 85 % de la population, on dénombre en moyenne pas moins de quatorze accidents du travail mortels. Et plus de 12 500 accidents nécessitant au moins un jour d’arrêt. Tous les huit jours, plus de 650 personnes subissent des blessures dont ils garderont des séquelles.
Ces accidents sont passés presque totalement sous silence, mis à part des initiatives personnelles, comme le décompte effectué par le professeur d’histoire-géographie Matthieu Lépine, et de rares articles de presse (par exemple sur Mediapart, ici ou là).
La sociologue Véronique Daubas-Letourneux, enseignante-chercheuse à l’École des hautes études en santé publique, questionne les ressorts de cette invisibilité dans un livre passionnant pubié en septembre dernier, Accidents du travail – Des morts et des blessés invisibles (Bayard).
Tout son mérite est d’aller au-delà des chiffres et de scruter ce que révèlent ces événements : inégalités, rapports d’exploitation, travail qui s’intensifie en continu… « Les accidents du travail sont dus au travail », résume la chercheuse dans une formule limpide.
Mediapart : Comment expliquer que les accidents du travail restent largement invisibles, dans le débat public mais aussi dans les statistiques ?
Véronique Daubas-Letourneux : La première chose est qu’on est dans le champ de la santé au travail, lui-même marqué par une certaine discrétion, très bien mise en évidence dans un ouvrage d’Emmanuel Henry, Ignorance scientifique et inaction publique (Presses de Sciences Po, 2017). Il montre que la santé au travail est marquée par une culture de la négociation, partagée entre l’enjeu économique et celui de la protection de la santé des travailleurs.
Mais il est également vrai que dans la recherche, notamment en sociologie, les accidents du travail restent une catégorie peu interrogée. Cela n’est pas considéré comme un sujet d’intérêt, ce qui renvoie sans doute à toute une hiérarchisation, comme la médecine du travail est moins cotée que la radiologie, par exemple.
Vous pointez également le rôle des travailleurs eux-mêmes. C’est-à-dire ?
L’autre point, c’est en effet la capacité de mobilisation des catégories de populations concernées. Et sur les accidents du travail, on n’a pas un groupe identifié, mobilisé, comme cela a pu se voir autour du phénomène de l’amiante où des associations se sont créées. Il y a tout un ensemble d’éléments qui contribuent au fait qu’on ne parle pas des accidents du travail, que le sujet est invisibilisé, et surtout non politisé.
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