Accidents du travail: Des morts et des blessés invisibles

ACCIDENTS DU TRAVAIL :
DES MORTS ET DES BLESSÉS INVISIBLES

À VOIR – Émission ARRÊT SUR IMAGES
Émission d’ARRÊT SUR IMAGES du 27 octobre 2021
L’invisibilité des accidents du travail dans les médias
« Un gamin qui meurt au fond d’un silo, personne n’en parle« 
Un livreur Uber circulant à scooter meurt percuté par un conducteur qui a pris la fuite, lundi 25 octobre à Lille, rapporte « La Voix du Nord ». La même journée, c’est un intérimaire de 18 ans qui décède dans un abattoir à Lanfains, dans les Côtes-d’Armor : il s’est retrouvé coincé sous une cuve contenant des centaines de kilos de poulets, selon « Ouest France ». Samedi 23 octobre, un ouvrier de 28 ans meurt sur le chantier d’un immeuble en construction à Pleurtuit, en Ille-et-Vilaine : la dalle en béton d’un balcon s’est effondrée sur lui, selon France Bleu Armorique. En l’espace de trois jours seulement, ces travailleurs sont morts dans l’exercice de leur activité professionnelle. Mais il y a de grandes chances que vous n’en ayez pas entendu parler. Les accidents du travail sont ignorés dans les médias, ou alors abordés en quelques lignes, souvent dans la seule presse locale. Pourquoi une telle invisibilité ? Pour y répondre, trois invités : Philippe Poutou, porte-parole du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), ancien ouvrier chez Ford à Blanquefort, candidat NPA à l’élection présidentielle de 2022 ; Véronique Daubas-Letourneux, sociologue du travail, enseignante à l’École des Hautes études en santé publique et spécialiste des questions de santé au travail ; et Éric Louis, ancien cordiste, cofondateur de l’association Cordistes en colère, cordistes solidaires, fondée à la suite de la mort d’un de ses collègues, Quentin Zaraoui-Bruat, en juin 2017, enseveli dans un silo de céréales.
À LIRE – Le livre de Véronique Daubas-Letourneux
Interview de l’autrice sur Médiapart,
par Dan Israël, le 27/10/2021

«Le sujet des accidents
du travail est invisibilisé»

Alors que quatorze décès surviennent chaque semaine rien que dans le privé, la chercheuse Véronique Daubas-Letourneux interroge l’absence de données complètes sur les accidents du travail en France.
Le lundi 25 octobre, un intérimaire est mort dans un abattoir de Lanfains, dans les Côtes d’Armor, écrasé sous 500 kilos de volaille. Il avait 18 ans. Trois semaines plus tôt, c’est Harouna Samaté, un apprenti de 17 ans, tout juste engagé dans un CAP plomberie, qui a perdu la vie après une chute sur un chantier de BTP où il travaillait, à Villefranche-de-Lonchat (Dordogne).

Un observateur distrait qui se fierait à l’écho médiatique – presque inexistant – de tels drames conclurait facilement que mourir au travail est très rare en France. Il se tromperait lourdement.

Chaque semaine, dans le seul secteur privé, qui couvre environ 85 % de la population, on dénombre en moyenne pas moins de quatorze accidents du travail mortels. Et plus de 12 500 accidents nécessitant au moins un jour d’arrêt. Tous les huit jours, plus de 650 personnes subissent des blessures dont ils garderont des séquelles.

Ces accidents sont passés presque totalement sous silence, mis à part des initiatives personnelles, comme le décompte effectué par le professeur d’histoire-géographie Matthieu Lépine, et de rares articles de presse (par exemple sur Mediapart, ici ou ).

La sociologue Véronique Daubas-Letourneux, enseignante-chercheuse à l’École des hautes études en santé publique, questionne les ressorts de cette invisibilité dans un livre passionnant pubié en septembre dernier, Accidents du travail – Des morts et des blessés invisibles (Bayard).

Tout son mérite est d’aller au-delà des chiffres et de scruter ce que révèlent ces événements : inégalités, rapports d’exploitation, travail qui s’intensifie en continu… « Les accidents du travail sont dus au travail », résume la chercheuse dans une formule limpide.

Mediapart : Comment expliquer que les accidents du travail restent largement invisibles, dans le débat public mais aussi dans les statistiques ?

Véronique Daubas-Letourneux : La première chose est qu’on est dans le champ de la santé au travail, lui-même marqué par une certaine discrétion, très bien mise en évidence dans un ouvrage d’Emmanuel Henry, Ignorance scientifique et inaction publique (Presses de Sciences Po, 2017). Il montre que la santé au travail est marquée par une culture de la négociation, partagée entre l’enjeu économique et celui de la protection de la santé des travailleurs.

Mais il est également vrai que dans la recherche, notamment en sociologie, les accidents du travail restent une catégorie peu interrogée. Cela n’est pas considéré comme un sujet d’intérêt, ce qui renvoie sans doute à toute une hiérarchisation, comme la médecine du travail est moins cotée que la radiologie, par exemple.

Vous pointez également le rôle des travailleurs eux-mêmes. C’est-à-dire ?

L’autre point, c’est en effet la capacité de mobilisation des catégories de populations concernées. Et sur les accidents du travail, on n’a pas un groupe identifié, mobilisé, comme cela a pu se voir autour du phénomène de l’amiante où des associations se sont créées. Il y a tout un ensemble d’éléments qui contribuent au fait qu’on ne parle pas des accidents du travail, que le sujet est invisibilisé, et surtout non politisé.
[…]

 

LIRE l’intégralité de l’interview ici : https://cordistesencolere.noblogs.org

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