Des marcheurs aux partisans de Zemmour en passant par les républicains et le RN, plus personne à droite ne semble vouloir prendre de recul sur les questions d’insécurité et d’immigration. Au contraire, la course à qui sera le plus virulent et le plus excessif sur ces questions fait rage. « Ensauvagement », « Grand Remplacement », volonté de créer un « Guantánamo à la française » : toute formule qui manque d’outrance risque désormais de se faire taxer, comme Marine Le Pen face à Gérald Darmanin, de « molle ». Car dans cette affaire, seules les postures comptent. Le réel est relégué au second rang.
Insécurité : deux sources possibles
Pourtant, des données précises existent pour mesurer l’insécurité en France. Elles proviennent de deux sources. D’un côté, on trouve le bilan statistique Insécurité et délinquance. Il se base sur les données réunies par les commissariats de gendarmerie et de police à partir des plaintes des victimes. Celles-ci sont traitées par le Service Statistique Ministériel de la Sécurité Intérieure (SSMSI) dans un rapport annuel. À noter que cette étude ne mesure pas « l’insécurité », terme vague et fourre-tout, mais la délinquance.
De l’autre, on dispose des données issues de l’enquête d’opinion Cadre de Vie et Sécurité (CVS), menée par l’INSEE auprès de 20 000 à 25 000 ménages. Là encore, ces données sont traitées par la SSMSI. La dernière en date a été réalisée en 2019 et porte sur l’année 2018. À cause de la crise sanitaire, l’enquête n’a pas pu avoir lieu en 2020.
Ces deux études ont bien évidemment leurs faiblesses : le bilan Insécurité et délinquance reste partiel, puisqu’il ne permet pas d’évaluer le nombre d’actes de délinquance qui ne donnent pas lieu à des plaintes. Quant à l’enquête CVS : « il s’agit de données d’enquêtes par sondage, donc les estimations doivent être interprétées en lien avec les intervalles de confiance dont les concepts sont discutés » – autrement dit, elles reposent sur des conventions statistiques débattues entre experts -, indique la SSMSI.
Pas d’explosion de l’insécurité
Mais dès que l’on entre dans la précision des chiffres, le constat d’une explosion de la délinquance dénoncé à droite ne tient plus. Si on se réfère aux chiffres des commissariats, différents types d’actes de délinquance sont en baisse. Il en va ainsi des homicides, actes qui passent rarement sous les radars des policiers ou des gendarmes, et dont la comptabilisation est considérée comme quasi exhaustive par la SSMSI. Leur réalité est bien plus nuancée que ce qu’avance la droite et l’extrême-droite.
Leur nombre oscille depuis 25 ans entre 1400 et 600 cas par an. Avec environ 850 faits annuels entre 2016 et 2020, les cinq dernières années ne sont pas particulièrement marquées par les homicides. Certes, on est au-delà des 682 et 675 homicides atteints en 2009 et 2010. Mais la tendance est globalement à la baisse, avec des chiffres récents bien en-deça des 1406 cas recensés en 1994.
D’autres faits sont également en baisse, comme les coups et blessures volontaires hors du cadre familial, ou encore les vols, qu’ils soient avec ou sans arme (voir tableau ci-dessous).
« Une agression toutes les 44 secondes »
Malgré tout, l’extrême droite n’est pas avare de chiffres pour faire à croire à une explosion de l’insécurité en France. « Une agression gratuite toutes les 44 secondes » aime à répéter Jordan Bardella. Il s’agit là de l’un des chiffres préférés du jeune président du RN, brandi à de nombreuses occasions télévisuelles. Et pour cause, l’affirmation n’est pas fausse.
En France en 2018, selon l’enquête Cadre de Vie et Sécurité (INSEE), 710 000 personnes âgées de plus de 14 ans (soit environ une toute les 44 secondes) déclarent avoir subi des violences hors cadre familial et sans avoir été volés par la suite. C’est ce que Jordan Bardella nomme « agression gratuite », bien que le terme ne soit pas utilisé par l’INSEE.
Présenté ainsi, ce chiffre donne une impression de masse qui n’a pas réellement lieu d’être. Lu autrement, on aurait tout aussi bien pu écrire qu’1,05 personne âgée de plus de 14 ans sur 100 a été victime de violence physique hors cadre familial en 2018. Ce qui apparaît comme nettement moins effrayant. De plus, il n’y a pas d’explosion de ce type de violences puisque leur nombre est relativement stable depuis 2006 – avec certes un point culminant en 2008 et un point bas en 2016.
Immigration et délinquance
Mais le RN ne se contente pas d’outrance, il manie aussi les mensonges, notamment pour justifier un lien entre délinquance et immigration. « 95 % de la délinquance de rue est le fait de personnes immigrées ou issues de l’immigration », affirme Marine Le Pen sur CNEWS face à Laurence Ferrari le 29 octobre 2021.
On a là un des mensonges les plus éhonté du RN. Tout d’abord parce que le terme de « délinquance de rue » ne recoupe, là encore, aucune des catégories utilisées par les organismes qui mesurent l’insécurité en France. Mais également parce que, la France n’autorisant pas les statistiques ethniques, il n’est pas non plus possible d’obtenir de données à propos des personnes « issues de l’immigration »… et donc françaises.
D’où Marine Le Pen tient-elle une telle information ? Elle se réfère en réalité à un chiffre donné par l’essayiste Xavier Raufer. Celui-ci se base, comme il l’explique à Libération, sur son analyse personnelle des « patronymes à consonance étrangère non-européenne » listés dans un document interne de la préfecture de police parisienne qu’il se serait procuré. Une méthode discutable à bien des égards, invérifiable, et qui porte seulement sur un échantillon de la délinquance parisienne. Au passage, Xavier Raufer est le pseudonyme utilisé par Christian de Bongain, un ancien cadre des groupuscules d’extrême droite aujourd’hui disparus Occident et Ordre Nouveau.
L’extrême droite manie de nombreux autres chiffres pour tenter de prouver le lien entre immigration et délinquance. Elle est d’ailleurs suivie dans ses analyse par les ténors des Républicains, au premier rang desquels Valérie Pécresse. Sa récente déclaration : « l’immigration aujourd’hui a un lien avec (…) la montée de la violence et de la délinquance », a été longuement contredite par les Vérificateurs de LCI.
Les violences sexuelles et intra-familiales : un angle mort
Championnes des discours sur l’insécurité, l’extrême droite et la droite extrême ont pourtant plusieurs angles morts en la matière. Parmi eux : les violences sexuelles et les coups et blessures au sein du foyer. Ils sont pourtant en nette augmentation ces dernières années. Les viols et les tentatives de viols ont ainsi bondi de 75% entre 2016 et 2020, selon le bilan Insécurité et délinquance de 2020. Sur la période, les plaintes annuelles sont passé de 14 100 à 24 800. Ces chiffres apparaissent même sous-estimés lorsqu’on regarde l’enquête CVS (INSEE). Celle-ci dénombre 77 000 victimes de viol et 112 000 victimes de viol ou de tentative par an, en moyenne, sur la période 2011-2018. Dans l’écrasante majorité, les victimes sont des femmes (84%).
La SSMSI précise que cette augmentation est en partie due à la récente libération de la parole des femmes au sujet des violences sexuelles, qui a fait fortement augmenter le nombre de plainte, même si un peu moins d’une victime de violences sexuelles sur six (moyenne sur la période 2016-2018) aurait déposé plainte, toujours selon la SSMSI.
Les coups et blessures volontaires ont également beaucoup augmenté, passant de 213 200 faits constatés en 2016 à 260 500 en 2020 soit une augmentation d’environ 22% sur la période (voir tableau ci-dessous). Attention toutefois : en la matière, l’augmentation des violence intra familiales (+40%) pèsent beaucoup plus lourd que celles des violences hors foyer(+8%).
Or, que ce soit pour les violences sexuelles ou pour les coups et blessures volontaires, la particularité de ces violences est bien d’avoir lieu à l’intérieur même du foyer. Les viols sont ainsi, dans leur grande majorité, commis par un conjoint ou un membre de l’entourage. Ainsi, 43% des victimes de viol ou de tentative de viol déclarent avoir été agressées par leur conjoint ou ex-conjoint ; et 32% par une autre personne connue personnellement. Seules 26% ne connaissaient par leur violeur, ou de vue seulement (enquête CVS).
Pourquoi un tel silence de l’extrême droite et de la droite extrême en la matière ? Sans doute parce que les solutions quelles brandissent habituellement (expulsions d’étrangers, surenchère sécuritaire) ne sauraient y répondre. Et qu’elle n’ose ouvrir les yeux sur une de leurs causes évidentes : le patriarcat.
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