L’affaire Malik Oussekine, la tragédie qui a soulevé tout un pays 

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Dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, Malik Oussekine périt sous les coups de deux policiers, à Paris, alors que la ville est submergée par les manifestations étudiantes. Retour sur une tragédie érigée aujourd’hui comme un symbole des violences policières. 

POOL AVENTURIER/DUCLOS

Malik Oussekine était semble-t-il un jeune homme « sage et fragile ». Dans ses colonnes, Sud Ouest rapportait en 1986 les souvenirs des voisins de cet étudiant franco-algérien. Bien loin de la figure des « casseurs de fin de manif », il a pourtant été pris à partie par deux policiers dans la nuit du 5 au 6 décembre, alors même qu’ils tentaient de disperser les manifestants qui avaient envahi les rues de Paris cette nuit-là. Dans l’obscurité du Quartier Latin, un seul témoin a assisté à la scène. « Je rentrais chez moi. Au moment de refermer la porte après avoir composé le code, je vois le visage affolé d’un jeune homme. Je le fais passer et je veux refermer la porte », avait alors raconté Paul Bayzelon, un fonctionnaire du ministère des Finances, qui passait par là. « Deux policiers s’engouffrent dans le hall, se précipitent sur le type réfugié au fond et le frappent avec une violence incroyable. Il est tombé, ils ont continué à frapper à coups de matraque et de pieds dans le ventre et dans le dos. La victime se contentait de crier : “Je n’ai rien fait, je n’ai rien fait”. »

À ce moment-là, Malik Oussekine, alors étudiant inscrit à l’École supérieure des professions immobilières (EPSI), rentrait chez lui après avoir assisté à un concert de jazz. Le jeune homme se trouvait non loin d’une vaste manifestation qui sévissait encore dans la capitale malgré l’heure tardive. Des milliers d’étudiants s’étaient rassemblés dans les rues pour protester contre le projet de loi relatif aux libertés des universités, porté par le ministre délégué chargé de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, Alain Devaquet. La colère générale avait jailli en raison de la volonté d’introduire une sélection pour les étudiants désirant rejoindre les bancs des campus. L’idée en a poussé des milliers à manifester, quitte à rejoindre les casseurs lors des manifestations et combattre les forces de l’ordre.

Dans ce contexte, Malik Oussekine a été assimilé à l’un d’entre eux, alors qu’il était nullement impliqué dans la vague de contestations. À l’époque, pour faire face à la levée de boucliers, un peloton de policiers motorisés avait été remis en service par Robert Pandraud, alors ministre délégué à la Sécurité auprès du ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua. Plusieurs gardiens de la paix se déplaçaient donc en deux roues pour disperser les Français. Sur l’un des véhicules se trouvaient le brigadier-chef Jean Schmitt et Christophe Garcia, qui ont décidé de poursuivre l’étudiant de 22 ans et de le tabasser à mort.

« Plus jamais ça »

Les jours suivant le drame, il serait presque exact de dire que l’Hexagone s’est arrêté. Le peloton à nouveau formé par Robert Pandraud a immédiatement été dissous. Au même moment, Jacques Chirac renonçait au projet de loi d’Alain Devaquet qui, de son côté, a démissionné. Alors que la torpeur gagne le gouvernement, de nombreux citoyens, indignés d’apprendre les conditions dans lesquelles est décédé Malik Oussekine, battent le pavé. De multiples manifestations ont alors éclaté aux quatre coins de l’Hexagone et ont laissé apparaître ça et là le visage de l’étudiant de 22 ans, brandi avec émotion par de nombreux manifestants lors d’une impressionnante marche funèbre. Sa mort, tel un symbole, a motivé d’autant plus la jeunesse française à sortir dans les rues pour dénoncer les violences policières, en reprenant notamment l’appel qui ne veut « Plus jamais ça ». À Paris, on comptait près de 200 000 personnes dans les rues.

Marche à la mmoire de Malik Oussekine en dcembre 1986.
Marche à la mémoire de Malik Oussekine, en décembre 1986. BERNARD BISSON

En dépit de l’émoi, les circonstances de la mort de l’étudiant ont aussi été remise en question. Une enquête a d’abord révélé que Malik Oussekine souffrait d’une insuffisance rénale, avant que ne soit confirmé la responsabilité des coups portés par les deux policiers ce soir-là, qui ont provoqué une crise cardiaque chez la victime. Entre-temps, Robert Pandraud avait eu le temps de laisser s’échapper quelques mots qui ne sont pas passés inaperçus. « Si j’avais un fils sous dialyse, je l’empêcherais de faire le con dans la nuit […] Ce n’était pas le héros des étudiants français qu’on a dit », avait-il déclaré dans les colonnes du Monde, avant de se rétracter. Ces propos avaient provoqué l’indignation des Français. Plus récemment, Jean-Christophe Buisson, directeur adjoint du Figaro Magazine, avait affirmé en août 2019 sur RTL que Malik Oussekine n’avait pas perdu la vie à la suite des agissements des forces de police, mais « avec son problème d’insuline ». Le lendemain, il s’excusait, assurant que « la justice a rendu son verdict dans cette affaire ». Ce fut en effet le cas en 1990 lorsque Jean Schmitt et Christophe Garcia ont été condamnés à deux et cinq ans de prison avec sursis pour « coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner ».

Année après année, la mémoire de Malik Oussekine n’a cessé d’être honorée chaque journée marquant l’anniversaire de sa mort. Si les faits ont permis d’insuffler un esprit de contestation chez bon nombre d’étudiants français, ils ont aussi inspiré les cinéastes. Le 6 décembre 2021, trente-cinq ans après le drame, Disney+ a annoncé la sortie en 2022 de la série Oussekine, qui compte retracer les éléments de cette affaire devenue un emblème dans les pages de la justice française. Le mois précédent, Rachid Bouchareb (Omar m’a tuerFrance) était repéré dans les rues de Bordeaux lors du tournage de Nos Frangins, sa prochaine œuvre, directement inspirée de la mort de Malik Oussekine. Lors des funérailles de l’étudiant, organisées au Père-Lachaise, seuls sa mère et ses frères et sœurs étaient présents, par souci d’intimité. Il n’aura pas fallu longtemps avant que la population ne se rende à son tour sur sa tombe pour la fleurir et y déposer quelques mots. Sur l’une des banderoles, on pouvait lire : « Ils pourront couper toutes les fleurs, ils n’empêcheront pas la venue du printemps. »

Obsèques de Malik Oussekine le 20 dcembre 1986 à Paris.
Obsèques de Malik Oussekine, le 20 décembre 1986, à Paris.
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