2 décembre 2021 – Augustin Langlade
Petite commune du Vaucluse, Pertuis est le théâtre d’une lutte acharnée pour le vivant. Depuis plus de trois ans, des centaines de personnes s’y opposent à l’extension d’une zone d’activités économiques, qui menace d’artificialiser 86 hectares de terres agricoles très fertiles. Le 24 novembre, des militants ont investi une maison en passe d’être démolie, pour y créer un lieu de résistance ouvert au public, base de futures mobilisations.
Baignée des eaux de la Durance, affluent du Rhône, la plaine où se trouvent les hectares promis au béton se compose de terres alluvionnaires très fertiles, traversées en leur milieu par une longue bande de bâtiments industriels : la zone d’activités économiques (ZAE) de Pertuis.
S’étalant au sud de la commune, presque jusqu’à la rivière, ces surfaces bétonnées couvrent 90 hectares et accueillent des dizaines d’entreprises et de commerces. C’est sur les terres agricoles qui se situent de part et d’autre de la ZAE actuelle que doit rogner la future extension, destinée à alléger la pression foncière pesant sur les autres zones commerciales de la région.
Longtemps resté à l’état d’ébauche, ce projet d’étalement urbain a connu une accélération récente, sous l’impulsion conjointe de la Métropole Aix-Marseille-Provence, son porteur, de la municipalité de Pertuis et de la préfecture de Vaucluse.
De 2009 à 2016, plusieurs aménagements réglementaires sont venus classer les terrains convoités en « secteur stratégique à rayonnement métropolitain » ; cette procédure a ensuite permis à l’Établissement public foncier PACA, agissant pour le compte de la Métropole, de demander une déclaration d’utilité publique (DUP) à la préfecture.
Accordée le 25 juin 2020, la DUP a ouvert la voie à la constitution d’une réserve foncière. Au nom de « l’intérêt général », les terrains et les habitations des 86 hectares peuvent désormais être acquis par l’établissement foncier, bien décidé à faire usage de son droit d’expropriation.
« Plus de patates, moins de béton »
Quoi qu’en disent les conclusions de l’enquête publique, favorables à la DUP, le projet d’extension de la ZAE subit, depuis quatre ans, une opposition aussi massive que structurée de la part de la population, qui refuse de sacrifier des terres fertiles et possiblement nourricières à la « croissance ».
Lettre ouverte adressée au maire, pétition, reportages, vidéos, marches festives, l’année 2019 a été marquée par un nombre considérable d’actions en tous genres, organisées sous la bannière d’un collectif, Terres Vives Pertuis, auquel se sont agrégées de multiples entités.
Au départ informel, le collectif a dû se transformer, l’année dernière, en véritable association pour pouvoir attaquer en justice la DUP.
Déposé le 3 juillet 2020, ce recours administratif, encore instruit par le tribunal, est soutenu par des organisations telles que SOS Durance Vivante, la Confédération paysanne et France Nature Environnement.
Pour joindre le geste à la parole, les diverses entités contestant l’extension de la ZAE ont lancé, en avril 2021, un grand événement festif et populaire. Au cours de cette journée baptisée « Plus de patates, moins de béton », près de 600 personnes sont venues semer des pommes de terre sur des parcelles prêtées par leurs propriétaires.
Entretenues tous les mois et récoltées début août, les pommes de terre ont ensuite été distribuées à des réseaux de solidarité de Marseille (notamment au restaurant L’Après M) et de Briançon, dans les Hautes-Alpes, à des associations effectuant des maraudes régulières pour les personnes exilées.
Création d’une « zone à protéger »
Maillage inextricable, les 86 hectares disputés appartiennent à deux ou trois cents propriétaires terriens, qui louent leurs parcelles à une poignée d’agriculteurs. Faute de moyens humains, ceux-ci se bornent à y cultiver des céréales, des semences et du fourrage, une production qui fait dire à certains que la plaine n’a pas de grande importance agricole pour la collectivité.
Et pourtant, répond l’association Terres Vives, les capacités de ces terres, dotées d’un système d’irrigation gravitaire remontant au XIXe siècle, pourraient être exceptionnelles, si une véritable politique maraîchère se substituait, soudain, à la redoutable machine à urbaniser.
Mais malgré le franc succès des mobilisations populaires, la Métropole comme la municipalité sont restées sourdes à ces revendications. Des procédures d’expulsion ont été engagées ; et à la fin du mois d’octobre, la mairie a annoncé que les maisons déjà rachetées allaient bientôt être démolies.
Confrontées à une nouvelle accélération du projet d’extension, plusieurs dizaines de personnes ont décidé, le 24 novembre, d’occuper l’une des maisons vouées à démolition.
Depuis une semaine, vingt personnes se relaient ainsi jour et nuit dans cette ZAP (pour « zone à protéger »), que les occupants comptent métamorphoser en lieu de transition.
Sans bannière, mais mus par des convictions communes, les « zapistes » de Pertuis affirment que l’occupation représente l’unique manière d’inverser un rapport de force inéquitable, puisque la Métropole a la loi derrière elle.
« C’était indispensable d’empêcher la moindre démolition, témoigne Cath, l’une des occupantes qui a suivi la lutte depuis ses débuts. Nous voulons non seulement que le projet soit abandonné, mais aussi que les gens disposent d’un lieu pour se retrouver, pour se réapproprier le territoire. C’est pour cela que nous sommes allés jusqu’à l’occupation. »
Les militants écologistes, dont certains sont venus de loin pour prendre part à la lutte, nous ont expliqué qu’ils comptaient se servir de la ZAP pour « fédérer l’opposition », « créer des liens » et « proposer des projets alternatifs » par lesquels « le monde actuel ne [serait] pas reproduit, avec ses inégalités de richesses et ses dominations ».
« Pour le moment, confie Karl, un autre occupant, nous en sommes encore aux balbutiements, aux discussions. Mais nous savons d’ores et déjà que notre lutte doit devenir un symbole des Soulèvements de la Terre : pour la sauvegarde des espaces agricoles, pour la relocalisation de l’alimentation, pour la biodiversité. »
Le samedi 27 novembre, une seconde plantation a été organisée sur trois parcelles voisines de la maison, d’un hectare et demi au total. Il s’agissait cette fois-ci de fèves, de blé et d’engrais vert destiné aux cultures du printemps. Cette nouvelle journée de mobilisation a été l’occasion, pour les occupants, d’ouvrir leur maison au public, venu nombreux.
« L’occupation a été faite proprement, ajoute Cath, dans le sens où nous avons suivi toutes les procédures nécessaires pour que ce soit la justice qui décide de procéder, ou non, à l’expulsion. Pendant ce temps, nous allons créer une grosse mobilisation, afin que le rapport de force ait changé lorsque le jour de l’expulsion sera venu. »
Karl estime quant à lui que les débats locaux ne doivent pas faire oublier le véritable objet de la lutte.
« Ici, nous nous opposons certes à l’extension de la ZAE, mais nous luttons surtout contre la croissance infinie et la métropolisation, contre cette vision faisant de la campagne un simple réservoir de terrains pour industriels, ou de villégiature pour métropolitains. »
Poster un Commentaire