Communiqué officiel de l’équipe de France de football

Au déluge de bombes sur l’Ukraine a répondu une avalanche de boycotts économiques et sportifs de la Russie. Alors que l’industrie du sport a permis à bien des dictatures de s’offrir une vitrine et une réputation, sa toxicité est désormais questionnée. Vivons-nous la fin de l’âge d’or du « sportwashing » ? Peut-être, à en croire ce communiqué écrit par l’équipe de France qui annonce qu’elle ne participera pas à la Coupe du monde de football 2022 au Qatar !

Paris, 31 mars 2022

Nous, membres de l’équipe de France de football, champions du monde en titre, annonçons que nous ne participerons pas à la Coupe du monde de football 2022 au Qatar. Cette décision a été prise par l’ensemble du staff (technique et médical) ainsi que par les joueurs, sans consultation de la fédération française de football (FFF) qui ne l’aurait pas acceptée. À moins de 250 jours du coup d’envoi de la compétition, ce communiqué est certes tardif, mais il est irrévocable et unanime. Nous désirions, malgré tout, jouer nos deux matchs amicaux à la maison par respect pour les fans, avant de rendre notre décision publique. Nous prions celles et ceux, qui nous ont soutenus durant l’ensemble de nos échéances, de bien vouloir nous en excuser. Ce choix peut paraître surprenant, mais nous le savons juste. Nombreuses sont les personnes qui doivent s’interroger sur les raisons qui nous ont poussé à une telle résolution. Nous-mêmes, avons longuement réfléchi. Nous avons finalement saisi la situation en une question centrale : de quoi cette coupe du monde est-elle le nom ? La réponse est sans appel. Cet événement est un désastre à tout point de vue.

Cette coupe du monde est le nom d’une entreprise de corruption nommée FIFA : le Qatar a obtenu l’organisation de cette compétition dans des conditions particulièrement étranges. On peut parler d’affaires de corruption1. et non plus de simples soupçons. Le Qatar finance le terrorisme d’une main2 et obtient l’organisation de la coupe du monde de l’autre ; deux activités visiblement complémentaires. S’il revient à chacun d’entre nous de prendre nos responsabilités dans nos clubs respectifs, nous ne pouvons pas tolérer de tels agissements sous le maillot bleu. Le Qatar se sert du sport comme d’une vitrine3. Le pays a compris qu’il s’agissait d’un enjeu géopolitique majeur. Cela lui permet de peser dans les échanges internationaux et de se donner une bonne image auprès de l’opinion publique. L’année passée, soixante-trois évènements sportifs se sont déroulés au Qatar, ainsi que six championnats internationaux4.

Elle est le nom d’un massacre des plus pauvres : au moins 6 500 travailleurs sont morts durant la construction des stades censés accueillir la compétition5. Ceux qui sont encore en vie doivent endurer des conditions de travail abominables sur les chantiers. Au Qatar, la situation des travailleurs étrangers est catastrophique. Leurs papiers sont confisqués par leurs employeurs6 et ils sont entassés dans des camps pour y « loger »7. De grandes entreprises françaises du bâtiment (Vinci et Bouygues par exemple) participent à cette ignominie, dont l’intensité s’est renforcée à la veille du plus grand événement sportif de l’année8.  En aucun cas, nous ne pouvons accepter d’être associés à leur barbarie. Nous espérons que notre acte permettra qu’au prochain débat télévisé sur l’immigration, la question posée ne soit plus « la France doit-elle accueillir la misère du monde ? » ; mais plutôt, « qui répand la misère ? »

Elle est le nom d’un désastre écologique : il y a quelques mois déjà, le plus gros iceberg de l’histoire s’est décroché en Antarctique9. Une catastrophe récente parmi tant d’autres. Et nous serions censés aller jouer dans des stades climatisés en plein désert ? Depuis deux ans, nous traversons une pandémie qui nous a, littéralement, éloignés les uns et les unes des autres. Mais cette épidémie ne tombe pas du ciel. Elle est le résultat du saccage des espaces de vie des animaux sauvages. Cela fait plus d’un an que nous jouons dans des stades vides ou presque. Nous continuons d’assurer le spectacle à l’intérieur, pendant que le chaos le plus total règne à l’extérieur. Cela n’a aucun sens. Nous ne cessons d’être avertis, les conditions de la vie humaine sur la Terre sont plus que jamais incertaines. Or, cette Coupe du monde au Qatar ne fait qu’accélérer notre propre destruction. Là encore, même si le Qatar est le pays qui rejette le plus de CO2 par habitant10, ce n’est pas spécifique à cette compétition. L’ensemble des évènements sportifs internationaux a un coût écologique désastreux. Nous sommes bien placés pour le savoir.

Elle est le nom d’un système capitaliste destructeur : nous devons poser le mot qui est la cause profonde de ces phénomènes, le capitalisme. Il ne s’agit pas d’autre chose. Ce système bénéficie aux plus riches qui ont tout intérêt à y faire adhérer le plus grand nombre. Que nous le voulions ou non, le sport en fait la promotion. En tant que joueurs, nous sommes au cœur de cette machine à produire un rêve sur-mesure pour le capitalisme : omniprésence de la publicité et centralité du fric qui fait du ballon rond l’esclave de l’argent. L’énormité de nos salaires nous met à l’abri du besoin pour des siècles, mais n’étouffe pas en nous le malaise croissant devant les atrocités produites par ce système. Façonner son lot d’horreurs, c’est ce qu’il fait de mieux. Précisément, les élites n’ont que faire du sort de la « main d’œuvre » pourtant à l’origine de leur richesse. Qu’importe que des ouvriers népalais, indiens, sri lankais ou pakistanais meurent sur les chantiers. Une fois les arènes bâties, le sang aura disparu et nous foulerons les pelouses comme si de rien n’était. Le travail forcé des Ouïgours, des enfants, ou de migrants esclavagisés, n’est pas une dérive de ce système, c’est la norme.

Elle est le nom de la destruction de nos corps : nous étions des gamins attirés par le ballon rond. Nous voulions jouer au football. Aujourd’hui presque plus personne ne joue. Tout le monde fait du sport, et cela n’a rien à voir. Le sport est une machine à humilier des enfants, à rendre fou des athlètes, à briser nos corps sous le poids des records. La performance est au sport ce que le profit est au capitalisme, son essence. Le sport ne connaît donc aucune limite. Des millions d’adolescents et d’adolescentes s’entraînent du matin au soir pour espérer un jour atteindre le sommet, souvent pour échapper à leurs conditions sociales. Une poignée y parviendra, au prix de sacrifices quasi inhumains. Les millions d’autres auront le corps brisé et l’esprit harassé. Que vaut une société qui maltraite un si grand nombre de personnes au nom de l’exploit ? Nous voulons recommencer à jouer ensemble.

Nous vivons une époque décisive. Chacun et chacune d’entre nous doit trouver la place que nous voulons y occuper. Nous avons fait notre choix. Écrire « human rights » sur nos maillots11, ou mettre un genou à terre face aux oppressions ne suffit plus. Ces gestes sont peut-être forts symboliquement, mais ils sont facilement récupérables par les puissants qui en profitent pour redorer leur blason.

Nous n’irons pas à cette Coupe du monde. Nous espérons que notre acte provoquera des émules dans d’autres équipes, ainsi que chez les supporters.

L’équipe de France de football12


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