Patates contre béton : une ZAD au cœur de la Provence
À Pertuis, quatre-vingt-six hectares de terres risquent d’être sacrifiés pour étendre une zone d’activités économiques – ZAE. Un projet industriel et commercial qui entrainera la bétonisation de terres fertiles pouvant être nourricières. Depuis novembre 2021, une zone à défendre s’organise pour empêcher l’étalement urbain imposé par la Métropole Aix-Marseille-Provence, la préfecture du Vaucluse et la municipalité de Pertuis. À travers le témoignage de Philomène et Romuald, deux habitant·es de la ZAD, voici une immersion dans ce lieu de vie, de résistance, et plus globalement dans l’histoire de cette lutte pour la démocratie et le vivant.
Un projet industriel impose la bétonisation de terres fertiles.
Romuald est un voisin de la commune de Pertuis. Il dit avoir « de l’affection pour ces terres menacées et pour les humain·es qui vivent ici ». C’est le hasard des rencontres qui l’a poussé à s’investir dans la protection des terres de Pertuis. Son souhait est que le projet soit abandonné.
Philomène, elle, vient de la lutte « antinuk » du territoire meusien ciblé par l’industrie nucléaire en vue de l’enfouissement de déchets radioactifs. Elle retrouve à Pertuis, un même enjeu puisqu’il est prévu d’installer le programme de fusion nucléaire Iter sur les terres convoitées par l’agrandissement de la ZAE (Zones d’Activité Economique).
Pour Romuald, « ce projet est typique de ce qu’on appelle les GPII – les Grands Projets Inutiles et Imposés : conflits d’intérêt, clientélisme, artificialisation des terres, destruction de l’environnement, violence des expropriations, non considération des avis des riverain·es ». Philomène complète : « la protection de ces terres contre un projet industriel est une lutte noble car elle rassemble tous les éléments importants à combattre aujourd’hui : l’industrie, la finance, le capitalisme, le pseudo système démocratique de Pertuis où le maire, Roger Pellenc, est juge et partie ».
Romuald développe sur ce conflit d’intérêt : « Le maire de Pertuis, Roger Pellenc, possède de nombreuses actions dans deux entreprises qui visent leur installation sur plus d’un tiers des terres prévues pour l’extension de la ZAE ». Romuald détaille l’historique : « Dans le rapport à la métropole de 2010, Pellenc expose sa vision d’un projet industriel pharaonique budgétisé à 15 millions d’euros, avec un complément de 5 millions pour réaliser des digues sur la zone inondable ».
En effet, Pertuis est longée par la Durance, affluant du Rhône. Depuis des milliers d’années, les crues de la Durance enrichissent les terres de Pertuis. Il existe aujourd’hui de nombreuses problématiques d’inondation qui ne pourraient être résolues avec du béton et des digues artificielles malgré tout submersibles en cas d’évènements exceptionnels – d’autant plus dans le contexte de dérèglement climatique.
Romuald rappelle le chiffre ahurissant de 2000 hectares de terres menacées dans le Vaucluse par des projets similaires et soulève l’absurdité du schéma de cohérence territoriale : « Le SCOT a un volet environnemental de non bétonisation et un volet développement économique qui incite à étendre les activités commerciales ». Philomène ajoute : « La ZAE existante est déjà immense pour la commune de Pertuis et pourtant pas entièrement exploitée, alors pourquoi l’étendre plutôt que de la densifier ? Il y a réellement un enjeu financier plutôt qu’une logique d’aménagement démocratique ».
Romuald précise que ce n’est pas qu’une question environnementale : « Des familles sont menacées d’expropriation à cause du projet d’extension de la ZAE».
Inquiètes pour leur futur, ces familles ont créé l’association Terre Vive Pertuis en 2019 pour réaliser des recours contre la déclaration d’utilité publique (DUP) accordée en 2020. Malheureusement, les recours n’ont pas permis à ce stade la suspension du projet.
C’EST L’ARGUMENT DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET DE L’EMPLOI, BOUCLIER D’UN CAPITALISME ÉCOCIDAIRE, QUI A SERVI DE JUSTIFICATION POUR LA DUP AU DÉTRIMENT DE LA VIE DES FAMILLES CONCERNÉES ET DES ÉCOSYSTÈMES NATURELS.
Pour Philomène, ce qui est d’utilité publique, ce sont « des biens communs comme l’hôpital et l’école ». Elle interroge : « De quels emplois on parle ? Pourquoi le développement économique n’appuierait pas la paysannerie plutôt que l’industrie ? Ce sont les meilleures terres agricoles que l’on puisse avoir, or les gens n’ont pas l’argent pour pouvoir s’installer ici. Alors pourquoi ces terres ne seraient pas soutenues par la collectivité pour être mises à disposition à bas prix pour de la paysannerie ? ».
Romuald illustre l’hypocrisie du projet : « Des agriculteur·ices qui bénéficient de terres fertiles avec un réseau d’irrigation hérité du dix-neuvième siècle vont être déplacé·es à cause de l’extension de la ZAE sur des forêts et des friches riches en biodiversité qu’il faudrait plutôt laisser à l’état naturel. C’est aberrant et scandaleux. »
Au-delà du ressort juridique, des mobilisations citoyennes ont eu lieu. Romuald se remémore les manifestations festives, les pétitions ainsi que les plantations de patates sur les terres menacées d’artificialisation.
La démarche, dit-il, est de se réapproprier les terres. Un symbole fort pour la ville de Pertuis où les pommes de terre sont renommées. Mais le projet suit toujours son cours. Des maisons ont pu être rachetées par un établissement public foncier d’État pour les fins du projet. Romuald dénonce le clientélisme de ces rachats où des disparités de prix très importantes ont été constatées. Désormais, des permis de démolir ont été publiés. Romuald présume que c’est à cet endroit que le maire envisage de développer ses activités économiques puisque les maisons à démolir jouxtent des entrepôts lui appartenant.
La Zone à Patates de Pertuis : un lieu de résistance qui expérimente des utopies.
Face au mépris démocratique de la part des politiques et des services de l’État, les opposant·es décident d’une nouvelle stratégie pour protéger les terres. Fin novembre 2021 sonne le début d’une occupation des maisons menacées de démolition.
LE SLOGAN « PLUS DE PATATES, MOINS DE BÉTON » RÉSONNE.
C’est la naissance de la zone à patates de Pertuis, la ZAP, en clin d’œil aux plantations effectuées lors des mobilisation précédentes. Une appellation sans ambiguïté qui rappelle ce qu’il s’y joue : on se trouve sur une Zone à Protéger et à défendre.
En avril 2022, plus de 4 mois après sa création, la ZAP bat son plein. Au milieu des tags politiques et des barricades, se dressent un four à pain et des constructions en terre-paille revêtues de mosaïque et de lumineux goulots de bouteilles. Au-dessus du poulailler, une cabane dans les arbres offre à découvrir un espace aérien. Les brochures de l’info-kiosque invitent à déconstruire les rapports de pouvoir dont notre société est imprégnée. Le matin, chacun·e prend à tour de rôle la mission de réveiller les habitant·es de la ZAP, souvent dans la douceur d’un chant accompagné de notes de guitare.
Certain·es sont déjà debout depuis six heures du matin pour assurer la vigie, une opération de surveillance des lieux pour éviter des attaques extérieures. Après le petit-déjeuner et un éveil corporel, les transmissions d’informations fusent. Un temps collectif nécessaire pour rythmer la suite de la journée où chacun·e vaque à ses occupations : apiculture, semis, soudure, vaisselle, confection de cookies, communication, récup’ alimentaire.
Le lieu de vie et de résistance s’organise au quotidien et brasse des militant·es issu·es de diverses luttes : jeunes du milieu squat, habitant·es de Pertuis, gilets jaunes, militant·es écolo, zadistes expérimenté·es, paysan·nes de la Confédération. Ce petit monde se retrouve dans des valeurs d’autogestion, écologistes, féministes, antifascistes.
Philomène précise cette convergence entre les humain·es qui se trouvent sur la ZAP : « Ce ne sont pas que des personnes habituées à vivre dans les lieux autogérés. Des lieux qui, de par leurs nombreux codes sociaux à intégrer, ne sont pas des lieux toujours inclusifs pour des personnes qui n’y naviguent pas régulièrement ».
Depuis le début de la ZAP, les militant·es proposent régulièrement des évènements conviviaux, familiaux, culturels comme des concerts, des formations à l’autodéfense, des plantations, des tractages au marché de Pertuis. L’objectif est de sensibiliser autant que de tisser des liens. Romuald raconte qu’il y a énormément de passages sur la ZAP.
Philomène évoque alors l’impact de ce roulement qui se retrouve dans beaucoup de lieux militants : « L’impossibilité de pérenniser un mode de fonctionnement amène une lassitude pour les personnes qui sont ici car tout est remis en question en permanence. C’est dur de garder de la patience et de l’écoute sur des sujets qui ont déjà été débattus maintes fois ».
Romuald nuance : « Cela complique la constance de l’organisation, et en même temps, c’est ce qui fait la richesse du lieu, d’être en mouvement. C’est plaisant de constater que des gens ayant des pratiques militantes différentes peuvent coopérer dans ce contexte de résistance. Le souhait est que ce soit un lieu de luttes plurielles, de soutien envers d’autres luttes locales. Par exemple, sur la ZAP, il y a eu des rencontres avec des zapatistes du Chiapas, des militant·es kurdes, des gilets jaunes de Pertuis, la Confédération Paysanne, les soignantes de Pertuis suspendues de leur fonctions faute de passe sanitaire ».
Une complexité de ces zones à défendre est l’équilibre à trouver entre lieu de vie et lieu d’urgence. Philomène confirme : « C’est difficile de penser « l’après » alors nous agissons maintenant. Sur la zone, il y a désormais un verger, un champ de patates et de blé, un potager. Nous avons réhabilité les canaux d’irrigations et nous avons même des troupeaux de moutons et de brebis qui viennent faire leur transhumance ».
Philomène est lucide : « On sait que tout ce que l’on construit ici matériellement va disparaître…
…PAR CONTRE, L’INVISIBLE NE SERA JAMAIS DÉTRUIT.
C’est-à-dire l’affect, les savoirs transmis par les lectures, le jardinage, la cuisine, l’apprentissage sur soi-même. Même si nous risquons de perdre ces maisons, la lutte ne s’arrêtera pas avec l’expulsion. Nous avons l’envie de continuer à vivre ensemble, d’aller voir les lieux de vie de toutes les personnes qui sont venues jusqu’ici. Au contraire, par la vie commune ici, la lutte s’est fortifiée pour durer. Nous aimerions lancer un appel à mobilisation pour réfléchir et décider ensemble du futur de ce lieu ».
Un beau pied de nez au capitalisme individualiste où la puissance de l’argent dépasse le caractère sensible des relations humaines. Ici, les zapatatistes, comme iels se font appeler, rêvent de terres cultivées selon des pratiques paysannes et dans un but nourricier, de circuits courts et solidaires, d’autonomie alimentaire, d’interactions harmonieuses entre humain·es et autres espèces vivantes.
La dimension du soin est présente dans l’organisation de la ZAP. Philomène raconte qu’il y a eu des défaillances sur cet aspect au début de l’occupation : « Désormais, on essaie d’être vigilant·es. Il y a les « grandes oreilles » qui sont des personnes qui peuvent être à l’écoute à tout moment. Il est essentiel dans ce lieu évolutif d’avoir des espaces de calme, de résolution de conflits et une vigilance quant à l’équilibre sur les tâches ménagères puisque le système patriarcal est bien ancré dans les habitus. La beauté et le confort peuvent en faire un lieu-ressource. Malgré tout, il faut reconnaitre être démuni·es sur certains sujets ».
Malgré l’effervescence d’utopies, la vie n’est pas toute rose sur la ZAP. Romuald raconte la pression pernicieuse portée par le maire : « Alors qu’il est un représentant démocratique, en plus du conflit d’intérêt flagrant du projet d’extension de la ZAE, le maire a déjà réalisé deux attaques illégales en demandant à une entreprise de travaux publics de démolir partiellement les bâtis que l’on occupe à la pelleteuse aux premières heures de la journée ». Romuald décrit un maire affichant un mépris régulier envers les personnes marginales : « Il est connu pour mettre régulièrement des coups de pression aux manifestant·es anti-passe, aux gitan·nes, aux squatteur·euses alors que chaque individu·e a le droit d’exprimer sa voix, il ne devrait pas y avoir des citoyen·nes de seconde zone ».
La ZAP étant menacée d’expulsion depuis la fin de la trêve hivernale, les habitant·es organisent l’autodéfense et lancent des appels à soutien matériel, physique et médiatique.
C’est aussi l’occasion pour Philomène de retracer ses quelques mois passés sur la ZAP : « J’ai des milliards de souvenirs. J’ai l’impression d’y avoir vécu deux ans. Ce salon, ça a été une cuisine, une bibliothèque, un dortoir ».
Un véritable travail d’introspection s’est opéré en elle dans son immersion à la ZAP : « Ici, tu lâches prise sur plein de choses sans forcément tout conscientiser. Il y a un travail de mimétisme où l’on intègre le fonctionnement des autres notamment sur des valeurs de solidarité, d’écoute, d’inclusion, de détermination. Il y a l’effet miroir qui permet l’amélioration de soi. Politiquement, on s’affine ainsi que dans son rapport à soi, au collectif, à ses limites. Ces lieux permettent aussi d’accepter l’idée que tout ne peut pas se résoudre immédiatement ».
Un témoignage de sagesse et d’apprentissage de vie depuis une zone à défendre parmi tant d’autres dont notre société pourrait largement s’inspirer.
Soutenir la ZAP en la suivant sur les réseaux, en la rejoignant via ses divers événements ou en participant à sa cagnotte solidaire.
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