D’où vient vraiment cette photo virale de « mineurs après une journée de travail dans les années 1920 en Belgique » ?
Par Laura Dubois et Ambroise Carton (RTBF Info)
Une image représentant des « mineurs après une journée de travail dans les années 1920 en Belgique » a connu un grand succès sur Twitter ces derniers jours. Partagée par @historydefined, un compte qui propose d' »apprendre des choses bizarres sur l’histoire« , elle a récolté plus de 23.000 likes et suscité plus de 3000 partages sur le réseau social. La photo a bien été prise en Belgique au début du 20e siècle, mais elle a parfois été sortie de son contexte et fait l’objet d’interprétations multiples. Faky, la plate-forme de fact-checking de la RTBF, vous propose de remonter aux origines de cette image virale.
Faky : la plateforme de fact checking de la RTBF
Dans les commentaires sous le tweet original, chacun y va de son commentaire. « Je n’aurais jamais imaginé que la cage était comme ça« , remarque un internaute. « Voilà à quoi ressemblait les conditions de travail avant les syndicats« , lance un autre.
En faisant une recherche inversée sur plusieurs moteurs (un travail facilité par InVid, une extension pour navigateurs internet qui permet d’analyser rapidement des images), nous voyons que le cliché circule depuis plusieurs années déjà. La première apparition remonte à janvier 2013 sur le réseau Reddit avec cette légende « des mineurs de charbon belges dans un ascenseur, vers 1900« .
Depuis, la photo fait régulièrement surface sur Reddit (en août 2016 où la référence à la Belgique a disparu) le plus souvent sur le canal r/HistoryPorn dont les utilisateurs apprécient ce genre d’images insolites.
Certains affirment qu’il s’agit de mineurs irlandais, comme dans cette galerie d’image publiée sur Imgur en 2017. Cette affirmation erronée a fait l’objet d’un fact checking par un magazine américain en 2017, sans que l’origine de l’image ne soit identifiée pour autant.
D’autres supposent qu’il s’agit de mineurs italiens, même si ceux-ci sont principalement arrivés en Belgique après la Seconde Guerre mondiale.
A l’origine, une carte postale
Contacté par la RTBF, Olivier Guyaux, chargé de la numérisation des patrimoines culturels et fondateur de la TinyGallery à Bruxelles, fait cette hypothèse : l’image provient peut-être au départ d’une carte postale.
En affinant la recherche sur cette base, nous arrivons sur le site internet delcampe.net, spécialisé dans la vente d’objets anciens. Une carte postale avec la photo en question y a été vendue pour quelques euros. C’est là que la légende originale apparait, alors qu’elle était coupée dans les versions qui circulent en ligne : « Le Charbonnage : Cage chargée de personnel remontant du fond (800 mètres). »
« Voici au verso de la présente, une cage remontant des mineurs. Un bonjour de notre part à tous chez vous ainsi qu’à Monsieur le Curé et amitiés à Victor et Rosa. Je suppose que ta chère Maman n’est plus grippée« , peut-on lire sur cette carte adressée à un certain Albert Poncelet Henrot. Mais le plus intéressant, c’est la date qui figure au bas du message : 1925, de quoi « borner » le cliché sur une ligne du temps. Nous visons donc le premier quart du 20e siècle.
Les éditions Nels
Autre indice, un logo et un nom d’éditeur : « Ed. Nels, Bruxelles ». Bienvenue dans le monde des passionnés de carte postale où le moindre indice est précieusement inventorié… Le travail des éditions Nels, spécialisé dans le domaine au début du 20e siècle, est largement documenté sur un site internet à découvrir en cliquant ici. Créées en 1898 à Bruxelles par deux frères, Edouard et Paul Nels, tous deux photographes, les éditions du même nom ont publié des photos du patrimoine de la Belgique d’alors une spécialité. Patrimoine local, paysages, rues, souvenirs du passé colonial de la Belgique au Congo… rien ne leur échappe.
La production des éditions Nels s’étend principalement sur les années 1898-1913 avec des premières séries numérotées éditées à partir de 1901. De fil en aiguille, nous découvrons que l’image qui nous intéresse fait partie d’une série intitulée « La Belgique au travail » composée de 22 images. On y trouve des scènes telles que « groupe d’ouvriers attendant le moment de la descente dans la mine » ou « machinistes aux fers pendant la translation du personnel« .
En regardant de plus près les images de la série, on voit que le photographe a pris au moins trois clichés – dont un est en vente sur ebay – au même endroit.
Tous les chemins mènent à Mariemont
Le site cartophilie.be localise la série à Charleroi. Direction donc le bois du Cazier… où notre cliché fait l’objet d’un agrandissement accroché au mur, comme en témoigne un blog. « La photo a été prise aux charbonnages de Mariemont-Bascoup fin 19ème – début 20ème. Avant la 1ère guerre mondiale, d’après notre spécialiste« , nous répond Isabelle Saussez, responsable communication au bois du Cazier.
Le Charbonnage de Mariemont-Bascoup est né de la fusion entre les Sociétés de Mariemont et de Bascoup, en 1913. « Devenue la S.A. des Charbonnages de Mariemont-Bascoup, cette société jouit d’une excellente réputation. Dotée d’un brillant corps d’ingénieurs, elle alterne innovations et perfectionnements avec par exemple l’électrification, la warocquère destinée au transport des mineurs ainsi que le traînage mécanique des berlines (…)« , peut-on lire sur un site consacré patrimoine industriel, en particulier celui des mines.
C’est aussi l’analyse d’Isabelle Sirjacobs, directrice et responsable scientifique du Saicom (Sauvegarde des Archives Industrielles du Couchant de Mons) : « Cette image apparaît dans un livre intitulé ‘Charbonnage dans le Centre’ et publié en 1996 par le Cercle d’Histoire Henri Guillemin« , ajoute-t-elle.
Un chapitre de ce livre est en effet consacré aux Charbonnages de Mariemont. Dans celui-ci, la photographie des « mineurs après une journée de travail dans les années 1920 » sert d’illustration aux textes qui retracent leur histoire.
En bas de l’image représentée dans le livre soumis par Isabelle Sirjacobs, une mention est écrite, différente de celle inscrite sur la carte postale trouvée sur le site de collectionneurs (voir ci-avant) : « Agence Générale des Charbons et cokes. Directeur : Isidore Coton, La Louvière (Belgique). »
Selon Isabelle Sirjacobs, la photographie a été prise afin de faire la promotion d’une société qui vendait du charbon et qui était dirigée à l’époque par un certain Isidore Coton.
J’ai retrouvé l’image
Alors qu’on peut désormais affirmer qu’il s’agit bien du charbonnage de Mariemont-Bascoup, près de Morlanwelz, le nom de Raoul Warocqué revient plusieurs fois au cours des recherches.
Cette piste est d’abord évoquée par Olivier Guyaux qui a poursuivi ses recherches en parallèle des nôtres : « J’ai retrouvé l’image. Elle est issue des albums de Raoul Warocqué (album 29.621 au musée de Mariemont). Il s’agit des albums personnels du propriétaire du charbonnage de Mariemont. »
Ensuite, ce même nom apparaît dans le livre transmis par Isabelle Sirjacobs, au sein même du chapitre où figure la carte postale : « Le dernier descendant des maîtres, Raoul Warocqué, personnage intéressant à de nombreux titres, s’éteint en 1917, laissant à notre région un héritage fabuleux. »
Raoul Warocqué, homme d’affaires engagé en politique, était aussi collectionneur, amateur d’antiquités et d’archéologie. Son immense collection appartient désormais au Musée de Mariemont, érigé autour des pièces de la « collection Warocqué« . Ces derniers éléments permettent de dater le cliché avant 1917, année de décès de Raoul Warocqué, propriétaire de la collection dans laquelle figure le cliché.
« Il s’agit bien d’une carte postale dont nous possédons un exemplaire dans un des albums photo de Raoul Warocqué« , confirme Delphine Gering, bibliothécaire du musée.
Dernier rebondissement : une semaine après la publication de cet article, nous avons reçu une réponse de la part des auteurs du site internet cartes-postales-nels.com. « Le type de dos et de typographie (époque 2 période 7) des cartes de cette série Charbonnage montrent qu’elles ont été éditées entre 1905 et 1913« , précise Claude Mirandola, auteur d’un ouvrage sur les frères Nels paru en 2013.
Certains éléments manquent encore à l’équation, comme l’auteur de la photo. Des photographes tels que Nestor Stekke et Oswald Werder, originaires de La Louvière, on travaillé pour Nels. « Ils collaboraient avec Edouard Nels au tout début de la firme, entre 1898 et 1900« , complète encore Claude Mirandola. Mais rien ne permet d’affirmer qu’ils ont pris la photo dont nous parlons.
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