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BOUM BOUM
Le soulèvement des gilets jaunes s’impose (enfin) au cinéma
« La seule chose qui survit à une époque, c’est la forme d’art qu’elle s’est créée. »
JLG, Le livre d’image
« On fait la révolution accroché l’un à l’autre. »
Lettre de Pierrot à Laurie
L’actualité file, les mauvaises nouvelles s’accumulent et les productions médiatiques suivent le tempo de l’urgence : on passe de la catastrophe écologique à la pandémie mondiale, de la guerre nucléaire aux élections, d’un spectacle à un autre. Les chiens de garde réservent le même traitement aux mouvements sociaux qui esquissent pourtant des éléments de réponse aux grands problèmes de notre temps.
Cinéma insurrectionnel
Comme toujours chez les dominants on essaye d’enterrer les insurrections et leurs traces. C’est pourquoi il faut absolument oublier ces gilets jaunes ingouvernables envahissant les champs Élysées ; ou au contraire, produire massivement des images sur eux sans montrer le bouleversement intime dont ils furent porteur.
Le cinéma à sa propre temporalité et son économie, il se trouve que trois ans après paraissent quelques films qui tentent de mettre en présence d’un tel soulèvement. La plupart n’y arrive pas mais boum boum nique le game en faisant briller à nouveau la puissance des gilets-jaunes dans les sombres temps.
Sur les gilets jaunes il y a beaucoup d’images. Il y a celles qui passent à côté par bêtise ou par interêt, celles qui passent au dessus par objectivité idéologique, celles qui continuent le maintien de l’ordre par d’autres moyens ; et enfin, celles qui rendent la vie, pendant quelques heures et dans l’intimité d’une salle obscure, au soulèvement populaire. Boum Boum est comme ça. Avec d’autres dans l’histoire du cinéma, il rend compte de ce que les milliers de révoltés vivent, c’est un film trempé dans le vivant.
En face des productions ennemis il y a bien un cinéma de l’époque qui se dessine, un cinéma contre le spectacle. Il y a les pok pok des matraques de 2016 dans L’époque et les boum boum des grenades de 2018. Au-delà de la délicate référence à Matthieu Bareyre par la reprise de quelques motifs, il y a bien quelque chose qui transparait, d’une pratique de « cinéma insurrectionnel » en commun : même génération, même présence dans les manifestations, même dispositif de tournage, même révolte, même tendresse pour les personnages, même nécessité de documenter ce que l’époque porte de plus beau et de plus fort.
LA VERITE DE L’ÉPOQUE EST AU COEUR DE L’ÉMEUTE
Dés les premières séquences le film s’installe dans le chaos des gilets jaunes sur les champs Élysées – l’époque est fracassante. Ce qui était une manifestation sauvage dans le film L’époque est devenue toute la manifestation, ce qui était une pratique située à l’extrême gauche s’est démocratisée. Boum boum commence là, dans le nuage de gaz lacrymo, les voitures de luxe brûlées, avec la force populaire capable d’une telle destruction. Le film surgit de l’émeute. Il y a aussi les premières paroles de la voix off dans les gaz : « j’espère reconnaître ton immense silhouette ». Voilà le film : être là, avec une caméra, vivre l’insurrection et être à la recherche de quelque chose ; et quelque chose qui n’est pas d’abord un film. Comme pour tous les autres manifestant.e.s, le point de départ de l’autrice est une présence et une nécessité.
Emeute dans l’imaginaire
Le film est une vraie cartographie de l’expérience en manif : il alterne entre des moments de tensions filmés en plans moyens où l’attention est saturée par le rapport de force – par ce qu’on voit et ce qu’on entend – et des scènes de discussions où les visages sont filmés en gros plan. Puis une voix off, comme une voix intérieure qui dit les doutes et les réflexions, les désirs et les peurs. Enfin, l’immense silhouette, Pierrot, « son binôme de manif », avec qui l’autrice partage tout et qui se retrouve au centre du film.
En plongeant dans ce soulèvement populaire, Laurie rencontre Pierrot et elle rencontre aussi l’émeute. L’émeute est une volonté de dépassement collectif par la force de ce qui est donné pour naturel par le pouvoir. C’est un trou dans l’organisation du sensible. C’est cette « révélation » sur l’arbitraire du pouvoir qui lie les corps manifestants entre eux et qui connectent les corps à leurs désirs. « Avant j’avais oublié mon corps » dit la voix off. Le film est fait de se tissu là : des inconnus fédérés autour d’un désir de l’autre, « je cherche ta silhouette », d’un désir des autres – l’autrice film avec une grande tendresse une dizaines de personnes – autour d’un désir de changement, d’une ouverture des possibles. Le tout entremêlé.
En voyant le film nous pouvons sentir que l’autrice est bouleversée par cette lutte. A ce moment sa caméra, puis petit à petit Pierrot, sont les seuls témoin de son émotion. Dans ces manifestations elle vit une expérience innommable de soulèvement de l’ordre des choses. Et elle entend bien le montrer. Lorsque nous vivons un tel déplacement du monde-tel-qu’il-est, nous avons besoin de partager sa potentialité avec celles et ceux qui ne sont pas là, avec nos proches – devenus soudainement lointains. Le film pourrait avoir ce but là, dire : « oui, c’est possible » et espérer être entendu. L’autrice veut transmettre cette vérité issue de l’émeute qui est déjà une vision : ce monde n’est pas éternellement figé, sa destruction est possible, l’émeute en est la preuve, puisque nous la vivons.
Sauf que l’émeute n’est qu’un flash, une faille dans la machine à créer le spectacle d’un monde plat, unique et inchangeable. Hors d’elle, il est difficile de croire à ces autres mondes, ces visions, qu’entrevoient les manifestants.e.s. Il n’ y a que l’expérience – difficilement partageable. Une fois le mouvement terminé, l’ordre des choses se réinstalle : le scepticisme gagne à nouveau et la naturalité du pouvoir retrouve sa légitimité. Boum boum, en donnant à voir un imaginaire de l’émeute, sabote le retour à la « réalité » des dominants, où l’incroyance est la norme et la foi en la révolte suspecte. L’existence de ce film est une émeute dans l’imaginaire. Comme au sortir d’un rêve très concret et collectif, l’autrice veut transmettre l’expérience de son insurrection a son publique et elle pourrait bien y parvenir. Elle montre avec une grande générosité introspective une vérité intime et collective de révolte dans toute sa densité – en s’adressant aussi à celles et ceux qui ne l’on pas vécu.
Violences sans spectacle
L’émeute est une affaire de violence, de différentes violences que les médias s’appliquent à confondre. Il y a la violence structurelle à l’origine de la révolte, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations. Puis il y a la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. Enfin, il y a la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première.
Dans boum boum, la superposition des violences fait la substance du film mais n’est jamais spectaculaire. L’autrice ne cherche pas à faire sensation, choquer ou marquer de force le spectateur. L’adhésion à la violence révolutionnaire – ou le dégout pour la répression, ou la compréhension de la souffrance d’autrui – passent par autre chose. Plus généreusement, elle cherche à partager son expérience de la violence par ses sensations à elle. C’est par l’intime, le récit en voix off, par la puissance des images et des discours qu’elle raconte ce qui soulève le coeur pendant les gilets-jaunes.
La question des violences institutionnelles est laissée aux personnes concernées, leurs paroles et leurs mots la raconte. C’est un des points de départ du film : « d’où vient ta colère ? » Evidemment elle ne vient pas seulement du prix de l’essence, quelqu’un dit : « j’en est rien à foutre, j’ai même pas de voiture. » A cette question, il y a autant de réponses que de manifestant.e.s ; tous ceux rencontrés dans le film ont beaucoup de chose à dire à ce propos : une a eu son frère tué par la police, une ne supporte plus la destruction des services publics, un autre travaille pour un salaire de misère qui ne lui permet pas de vivre dignement etc. Toutes ces violences subies sont particulières mais toutes sont reliées.
Au début du film une séquence pose quelques bases : deux vieux riches qui habitent le quartier des Champs-Élysées discutent avec Pierrot, dans leurs postures, leurs habits, leurs visages : toute la violence de la bourgeoisie – son mépris, son arrogance. S’ils sont riches disent-ils c’est qu’ils le méritent. Pierrot et quelques passant.e.s leur donnent une bonne leçon de politique. Pierrot assume être utopiste, « seuls les pauvres sont utopistes » – puisqu’ils n’ont rien, ils veulent tout. Les gilets-jaunes présents, dans leur grande générosité, en viennent même à proposer aux deux bourgeois de les rejoindre ; illustration directe de la force utopiste des dominés, solidaires jusqu’avec leurs ennemis. Dans cette première discussion, face à deux incarnations de la classe dominante, on comprend aisément la violence révolutionnaire dans laquelle baigne par la suite le film.
La fureur révolutionnaire quant à elle s’impose dans l’image : elle se montre sans pudeur. Explosive. On brûle, on casse, on dépave. Cette puissance est celle des corps révoltés qui se mettent en mouvement, ensemble. Tous ces gestes – les gilets-jaunes caillassent les gendarmes sous l’arc de triomphe – déplacent les corps, les jettent les uns contre les autres – repoussés par une charge, on se presse. L’émeute c’est quand la police est mise en échec, que les corps ne sont plus à leur place. Mais la rage des corps combattants n’est pas illustrée par le seul climax de l’affrontement : ici on traine des grilles en métal, là on déboulonne patiemment une barrière en plexiglas pour construire des barricades. La violence révolutionnaire n’est pas cruelle, elle n’est que le désir d’abattre les obstacles qui obstruent l’horizon, elle est volonté de libération de tous et don de soi.
La répression, sous la forme de la brutalité policière, à une place très particulière dans le film : on ne trouve pas cette détestable fascination pour la police que l’on peut voir dans d’autres productions. Ici la police est quasiment absente du champ, la caméra est résolument dans la manifestation, à l’intérieur. Donc pas de fétichisation comme chez Dufresne, pas de reproduction de sa toute-puissance en image. Puisque l’autrice et ses interlocuteurs vivent cette brutalité, le film est anti-flic par nécessité et par défense. L’autrice est elle-même gazée et terrorisée en live, la caméra continue de tourner, l’objectif vers le sol, on entend sa difficulté à respirer. C’est par expérience que la police est tenu à distance dans le film comme dans la rue.
Blessures
Pourtant la police est bien là, elle sature le hors-champ : le film ne ment pas sur sa force et sur tout ce qu’elle empêche ou produit de souffrances. Simplement il y a un geste très différent de celui qui est fait d’habitude : on ne montre pas sa force, le film ne se fait pas la chambre d’échos de l’image policière. Montrer son inhumanité passe par d’autres biais : On voit une personne blessée au sol, il se trouve que c’est quelqu’un que nous avons rencontré plus tôt dans le film, que nous avons entendu parler, avec qui nous avons été en relation. L’identification empathique fonctionne : on est touché par le fait que cette personne, si semblable à nous-même, est victime d’un tir de flashball à la tête. C’est ce lien qui permet réellement de se sentir concerné par cette blessure ; comme dans la manifestation, c’est ce qu’on partage qui nous rend si sensible aux autres.
Tout en parlant d’autre chose, d’amour par exemple, le film montre avec clairvoyance l’amplitude de la brutalité policière lors du mouvement des gilets jaunes. On pourrait aller plus loin et dire que c’est même parce qu’il parle d’autre chose, et d’amour justement, qu’on accepte de voir la gravité de cette violence en face. Dans le film – encore une fois, comme en manif – c’est ce qui se passe de fou entre les gens, qui permet d’affronter cette terrible réalité qu’est la répression policière. C’est pour ça que le film est généreux. En donnant à voir ce qu’il y a de radicalement humain et joyeux dans la révolte le film permet aux spectateurs de se révolter à leur tour contre la répression qui l’empêche et de supporter les différentes couches de violences exposées.
Un jeune homme le visage en sang, est assis contre une barrière ; dans l’arrière plan, un blindé de la gendarmerie et l’affreux monument « de triomphe ». Ce film montre sans fard l’inhumanité de la répression policière (historique) qui cherche à terroriser les manifestant.e.s. Plusieurs personnes sont là pour s’occuper de lui, on lui lave la figure, on le soigne, on l’encourage. Le film montre l’incroyable solidarité entre ceux qui se battent, entre ceux qui luttent dans la rue ou dans la vie – pour s’en sortir. Ainsi la révolte n’est pas résumé à des jets de bouteilles ou des bris de vitrines, c’est avant tout un ballet de mains qui soignent, de petits gestes qui rassurent. En face de la brutalité de la police et de son monde, le film donne à voir une humanité bienveillante, du soin et de l’entraide. Ce dont le film veut témoigner c’est que ce qui permet aux manifestants, et par extension aux spectateurs, de supporter l’extrême violence de la répression politique, c’est une tendresse radicale.
Ailleurs, une image inédite témoigne de la brutalité des keufs : une blessure qui ne se referme pas. Beaucoup d’entre nous ont pu voir ces diaporamas montrant des blessures lors des manifestations : visages tuméfiés, traces de flashball ou de coups, éclats de grenade etc. Mais ces images fixes, bien que choquantes, sont sans vie, la souffrance est figée, lointaine, irréelle.
Ici, c’est Pierrot qui est blessé à la jambe par une balle en caoutchouc. L’autrice, de part leur intimité, documente le fait qu’une telle blessure n’est pas seulement un impact mais que ce sont aussi des peaux meurtries qui ne se referment pas facilement, c’est une souffrance qui dure, qui marque durablement le corps. En apportant ce témoignage, l’autrice voudrait participer à combler l’impuissance du cinéma à montrer la vie des mutilés par la police.
Contre le spectacle, le film propose une présence et une durée, en somme du cinéma. Il se place au centre de l’époque, dans l’émeute, au plus profond de l’expérience gilet-jaune, il surgit même de là, de cette violence, cette intensité partagée, de ce déplacement des désirs et des possibles qu’il trouve au cœur du soulèvement : boum boum. Depuis ce point de vue l’autrice témoigne de ce qu’elle rencontre : une colère justifiée face aux exploitations, l’extrême brutalité de la répression policière, la tendresse et la joie radicale qui permettent le soulèvement. Là le film réussit un premier pari, celui de mettre en présence d’une vérité de l’époque : l’émeute comme renversement de perspective.
L’AMOUR ET LA RÉVOLTE
Nous l’avons dit, le film s’ouvre dans un décor de banques calcinées où l’autrice « cherche une silhouette ». Pour l’autrice, le soulèvement des gilets-jaunes se connecte à son désir pour un autre, Pierrot, son binôme avec qui elle commence le film. Une fois réunis, ils vont aller ensemble à la rencontre d’autres manifestant.e.s. Le film va se construire autour de ces deux faces de l’amour : amour de l’autre, amour des autres ; de ces deux temporalités : moments collectifs et moments intimes et de ces deux matériaux : images et sons diégétiques, lettres et textos lus a posteriori.
Un autre régime de l’attention
Là dans la chaleur de la révolte, prenant la rue ensemble et repoussant pour un instant les forces de l’ordre, le désir de l’autre et le désir des autres – d’autres monde – s’entremêlent. C’est là que réside « l’amour camaraderie ». L’amour – l’amour d’un autre, avec qui l’on met tout en commun – est déjà une expérience ibi et nunc du communisme – même si elle est tronquée par le sexisme, mutilée par l’individualisme, limitée par l’institution du couple. Mais ici, dans l’émeute, cette expérience se déploie et gagne en puissance, elle se connecte avec cette autre expérience d’amour qui est celle de la camaraderie dans la lutte, lorsque l’on prend le risque de résister ensemble, de mettre nos corps et nos vies en danger.
Dans le film, ces deux expériences d’amour se mélangent. L’autrice cherche une silhouette et cherche des camarades, l’attention qu’elle porte à l’être aimé va avec l’attention qu’elle porte à celles et ceux qui affrontent l’ennemi avec elle. Son regard, par le biais de la caméra, se tourne de la même manière vers Pierrot blessé à la jambe et vers des gilets jaunes blessés à la tête. Lorsqu’arrive une charge, Pierrot préviens la réalisatrice et la personne filmée – dans un même geste. Sous la répression, l’attention privilégiée et le dévouement qu’ailleurs on peut réserver à l’être aimé s’étend aux autres manifestant.e.s : nous sommes des yeux et des épaules pour les autres. La manifestation libre permet une communion des corps, une expérience sensorielle et sensuelle, qui peut rendre indistinct la frontière entre l’intime et le collectif et qui fait exploser le couple comme entité fermée sur elle-même, comme enfermement bourgeois, comme régime de retenue du désir des autres. L’attention se multiplie dans la lutte.
Le couple comme pivot
Cependant le couple persiste : l’attrait pour une individualité, Pierrot, la particularité de sa personne et la spécificité du désir qu’elle à pour lui. Mais s’il persiste c’est sous une forme plus émancipée, illuminée par l’amour des autres, porté vers eux. Dans la révolte, le couple est un pivot. Elle filme, il pose des questions, et face aux danger ils veillent l’un sur l’autre et ensemble sur les autres. L’amour qu’ils se portent irradie les personnes filmés : des gilets-jaunes viennent à la caméra pour parler, Pierrot et Laurie engagent des discussions. Le couple, par sa vérité intime, est le pivot de l’échange, de la confrontation aux autres, du dialogue ; garant de l’ouverture aux autres plutôt que traditionnelle frontière du désir.
Le couple comme machine de transformation est alors un instrument de lutte, outillé d’une caméra il devient redoutable : il permet un tel film. Le couple créateur est ouvert au dialogue dans la manifestation et devient médiation de la puissance des multiplicités. Dans le film les dialogues se superposent et s’enrichissent : dialogue entre les amants, entre Laurie et elle-même, entre Pierrot et lui-même, entre eux et d’autres gilets-jaunes, entre des gilets-jaunes.
Dans cet amour révolté et dialectique, la pensée trouve un mouvement qui est celui du soulèvement : ce qui est figé s’en va, les catégories pré-établies meurent. Il y a une circulation désirante des idées et des corps. Sans promettre un happy end, le film montre que c’est cela la révolte et que c’est peut-être cela l’amour véritable. L’amour étant comme tout le reste, à réinventer, l’autrice espère surmonter ces insécurités et vivre l’amour libre dans la manifestation libre.
Sexe, désir et liberté
Entre deux manifs, dans un moment intime, il y a un autre regard par le biais de la caméra, qui est ouvertement l’expression d’un désir sexuel – qui peut d’ailleurs être surprenant car c’est un regard de femme. Tout au long du film, la tension sexuelle est palpable et l’autrice parle ouvertement de sexe dans ses lettres. Le film montre bien l’aspect libidinal de la révolte, mais pas dans un sens réactionnaire comme on en l’habitude depuis 50 ans. Cette réapparition du trio « sexe, révolte et liberté » à de quoi surprendre. D’abord parce qu’il arrive après quarante ans de contre révolution dans les discours, émerge dans un contexte d’asphyxie du débat sur ces questions dans les milieux radicaux, qu’il est ici exprimé depuis une expérience et un regard de femme et s’affirme au sein d’une révolte populaire qui fait très peu référence aux années 70.
Nous rencontrons le sexe dans la continuité de ce désir de l’autre et des autres : l’attention porté à son binôme, à ses blessures, à son corps peut devenir une envie de baise. Le désir et la violence voisinent, les pulsions de vie et de mort se côtoient. La révolte est pensée par un gilet-jaune comme une explosion orgasmique. L’autrice filme certains manifestants avec sensualité et la voix off dit : « je vais peut être rencontrer un nouvel amant » etc. Dans le moment de la révolte, tout semble possible : une présence aux autres qui va jusqu’au partage collectif de la sensualité, l’émeute jusqu’à l’orgie, une présence à l’autre jusqu’à une sexualité partagée et libre etc. Lors d’une des rares paroles de l’autrice dans le son diégétique où Pierrot lui demande si elle à peur, elle dit ne pas avoir peur car elle se sent mue par autre chose que la peur, par le désir justement.
Quelques plans montrent une sensualité réelle entre l’autrice et Pierrot mais ils restent dans une continuité avec tous les gestes de tendresse entre les manifestant.e.s. Il y a une sensualité partagée de l’émeute et du soin, des mains qui caressent, qui attrapent, qui poussent, qui tirent. Des corps qui dansent, qui crachent, qui vivent. L’envie de sexe côtoie le pansement de la blessure ; dans les lettres, l’autrice dit qu’elle se caresse dans la souffrance de la séparation. Le désir se construit avec le manque, l’amour se vit dans la douleur, c’est une blessure qui ne se referme pas. Nous plongeons avec eux dans le vortex d’un désir infini, d’un amour fou, il écrit : « On fait la révolution accrochés l’un à l’autre ».
Cette puissance du désir monte dans le film comme un orgasme, avec des allers-retours, entre les affrontements et les moments de calme, dans le montage, dans la rue, dans l’intime, en publique. Le désir se multiplie, passe sur différent visages, par différentes mains, se tisse patiemment entre les manifestant.e.s, entre les amants ; le désir monte, s’affirme, la sensation de liberté est immense, les Champs-Élysées sont à nous, l’amour libre possible. Il monte jusqu’au climax du mouvement, jusqu’à la jouissance, jusqu’à une scène paradigmatique, une vision romantique folle : une musique d’amour, des policiers à cheval qui dansent dans la nuit, le corps de l’amant, des feux d’artifices en surimpression. Mais déjà, il y a une distance, on sent le regard rétrospectif, et par son excès, la scène se teinte d’ironie. L’émotion de ce moment est complexe : sensation de liberté maximale et installation du doute. La chute se fait sentir au moment où l’on atteint le sommet.
Mise à nue
Pour en arriver à ressentir une telle liberté, il faut une mise en danger, il faut un saut. Celui de se mettre à nue devant l’autre, d’offrir sa vulnérabilité, de remettre en question ses certitudes – voilà l’amour. Un geste courageux que l’autrice rejoue en faisant ce film qui la met à nue devant son public. Et la révolte n’est pas autre chose : jeter son corps face à la police, s’offrir aux autres, mettre sa pensée en mouvement.
Dans les moments de confrontation en binôme à la rue, Laurie et Pierrot se trouvent face aux autres dans leur multiplicité, face à des discours surprenants, des personnes étrangères. Ils sont transformés par ces rencontres avec d’autres. Mais les moments d’après manif, d’embrassades furtives au café, d’intimité, ne sont pas un repos car, se rencontrant eux aussi, ils sont dans une confrontation à l’autre dans sa singularité.
Ils sont au café et Laurie pose des question à Pierrot, le confronte à ses idées jusqu’à ce qu’il s’empare de la caméra à son tour et retourne le procédé. La caméra, comme le couple, est un miroir. Ce double entretien filmé donne une idée de ce qu’est un binôme amoureux où l’autre est une confrontation permanente à soi-même à travers lui. Les moments d’intimité filmés sont des moments de vulnérabilités, où l’un est l’autre s’exposent en tant qu’être désirant, pleins de contradictions et de doutes, pris dans le mouvement de la transformation de soi.
Laurie, jusqu’ici cachée derrière sa caméra, apparaît en train de vouloir séduire, de garder la face etc. ces moments peuvent être gênant pour le spectateur mais ils sont précieux pour le film : ils témoignent de ce qu’est aussi l’amour : aimer et se faire aimer. Ailleurs, plus inconsciemment, des plans en contre-plongée, des tentatives de mise au point montrent l’interêt de l’autrice pour l’image de Pierrot, trahissent son admiration pour lui, son envie de lui, son obsession ; et par là, trahissent la part de fantasme, d’illusion que contient le sentiment amoureux. Cette part de l’histoire d’amour est complètement assumée dans le film et heureusement ! D’abord parce qu’elle est honnête avec ce que l’amour contient de mascarade et qu’elle expose le fait que ce que nous voyons est clairement une version univoque de l’histoire d’amour – la version de Pierrot restant absente et celle de l’autrice écrasante.
Rater mieux
Evidement, une telle exposition à l’inconnu est une exposition à la souffrance, pas d’amour et de révolte sans blessures, sans massacres, sans bouleversements. Dans les images et les sons directs : la révolte, les dialogues désirants, la mise à nue, la rencontre avec Pierrot, les sauts et les soulèvements. Dans la voix off, une vision retrospective d’après la défaite, d’après la rupture. La voix lit les lettres entre l’autrice et Pierrot, elle revient sur son soulèvement, sur un mouvement social qui s’est terminé, sur son histoire d’amour, sur les moments de liberté, la façon dont tout cela s’est construit, imbriqué, libéré. Puis, elle revient sur ses doutes, sur la douleur, sur l’échec, sur la fin.
Car finalement, le mouvement échoue : il est réprimé, les manifestant.e.s écrasés sous la brutalité et les armes de guerre, il s’essouffle, ne parvient pas à se réinventer, se fige, fétichise, stagne. Plus d’érotisme, la douleur l’emporte sur le désir. L’amour avec Pierrot bat de l’aile : il disparaît, est moins présent, il recommence à passer du temps avec l’autre femme qu’il aime, Laurie n’a pas envie d’autres personnes, l’amour libre devient une souffrance.
Mais cette voix est au présent, comme si elle revivait les images en même temps qu’elle les pensait à nouveau. Pour vivre à nouveau la révolte et l’amour, dans un présent qui ne veut pas finir. Ce travail rétrospectif n’est pas un révisionnisme : on ne revient pas sur la liberté éprouvée comme s’il s’agissait d’une illusion qu’il faudrait dénoncer. La liberté vécue est préservé comme telle et surtout comme possibilité. L’échec est intégré à la révolte, il en devient même la condition : on ne se révolte qu’à condition de prendre le risque d’échouer. Se révolter c’est rater, rater mieux. Pas de paradis communiste, pas de promesse d’un monde merveilleux d’après la révolution, simplement un érotisme de la liberté, l’émeute comme expérience directe du communisme, l’amour-camaraderie comme une tentative belle et entière, la révolte comme praxis de la liberté.
L’autrice revient a posteriori sur ce qu’elle à vécu dans ce mouvement et dans cet amour mais sans ressentiments, sublimé par le travail poétique, avec des bouts d’amour préservés, avec la clarté de l’insurrection, avec la volonté de revivre et l’amour et la révolte. Ce film est bien une histoire de cœur : boum boum. Une histoire qui lie dans un même temps l’amour de l’autrice pour Pierrot et son amour pour les personnes rencontrées, son désir pour lui et pour un autre monde. L’entremêlement est tel qu’on ne saurait dire si le film parle de son histoire d’amour perso ou sur le mouvement des gilets-jaunes. Tant mieux. Le film réussit un deuxième pari, peut-être le plus ambitieux et le plus dangereux : mêler une histoire d’amour et un récit de révolte.
FIGURES DES GILETS-JAUNES, APPARITION D’UN PEUPLE
L’émeute est un rythme, alternance de tensions et de calme, d’avancées et de retraites, d’emportement et de répression. L’émeute est un muscle, comme le cœur. Le film suit ce rythme. La caméra est prise dans cette foule soulevée, qui essaie d’avancer, court quand le danger se rapproche, regarde en coin les lignes policières, qui s’enfuit, qui se retrouve. Le film rend compte de cette suite d’évènements et de violences qui égrènent la manifestation, qui attirent les regards. Entre ces répétitions il y a d’autres moments, où les gens discutent et se reposent.
Des paroles en acte
Sur les champs-Élysées occupés par les gilets-jaunes, deux personnages se rencontrent, poussés l’un vers l’autre par le flux de la manifestation. Laurie est là pour filmer. Un vieil homme à barbe blanche et un jeune homme à la peau noir parlent ensemble. Comme on dit, ils refont le monde ; ils essaient d’imaginer, tout en gardant un œil sur le lieu des affrontements, comment la vie pourrait être meilleure. Leur pensée est en mouvement et suit le mouvement de leurs corps.
Les gaz contraignent à se déplacer, la foule recule. Mais passé le nuage et les pleurs, la pensée reprend. La caméra est toujours là, l’autrice à tenue bon, les échanges sont enregistrés. Les idées sont belles et le geste performatif : dire la pensée en mouvement en étant soi-même en mouvement. Ces paroles sont précieuses car elles sont animées par la puissance et portées par la révolte. Il y a une insurrection dans les paroles qui est reliée à celles dans les corps.
Le tournage et le montage se déroulent selon le rythme de ces aléas, la cadence de l’émeute, où se côtoient des mouvements de masse, le surgissement des visages, des entretiens sur le vif. Le film, suivant les mouvements du soulèvement est lui-même émouvant, en émeute. Les paroles sont comme les gens et les manifs – en actes.
Boum boum se fait en marchant. Au-delà de la fin des gilets-jaunes, de la fin des manifestations, le film raccorde, les visages, les paroles, les gens. Il perpétue la révolte comme réunion, comme bataille contre la séparation, il continue la fabrication d’un peuple. Il relie – avec ce geste qui toujours accompagne les forces révolutionnaires – geste d’imbriquer la théorie et la pratique – les corps et les pensées des gilets-jaunes. Cette liaison a une forme, un prolongement esthétique : on voit les traces de ce geste dans les raccords, dans les tremblements, les hésitations de cadrage, les flous, les portées hasardeux, dans tout ce qui tremble – d’émotion et de courage.
Des rencontres
Dans ce vas et viens ressortent quelques figures remarquables qui portent individuellement la force collective des gilets-jaunes. Comme dans l’expérience de l’émeute, ces figures apparaissent et disparaissent dans le flot des évènements dangereux. Ce sont des rencontres. Ce qu’ils et elles ont à dire est inestimable. Il ne s’agit pas de programmes idéologiques, de discours politique, il s’agit de pensées pris dans un mouvement de transformation et de déplacement autant individuel que collectif qui transfigure le réel.
Cette force là rend inopérantes les catégories sociologico-médiatiques, les frontières entre les cases sociales – dans lesquelles il faudrait faire rentrer les gens. Tout discute. Le vieux mystique blanc et le jeune homme noir, des anarchistes avec un royaliste, l’autrice de documentaire avec l’employé d’usine. Les idées sont disséquées, mises à l’épreuve, mises à distance ; il est permis de débattre et donc d’être touché par les autres, il est permis de se comprendre et de comprendre le monde ensemble. L’émeute, le film, le peuple, sont les lieux d’une fin provisoire des séparations habituellement imposées par les structures de dominations.
Au contact des autres tout s’entrechoque, s’altère, se trouve. Tout ce déconstruit et se fabrique différemment. Deux jeunes hommes se rencontrent à une manifestation, des semaines après l’autrice les retrouve à nouveau collés l’un à l’autre. La rencontre véritable c’est l’amitié possible. La caméra ne cherche pas des profils mais des visages, l’autrice ne cherchent pas des sujets mais des camarades.
Un peuple, le communisme
Ni Laurie ni Pierrot ne dirige les discussions, le film permet des dialogues car l’autrice, comme Pierrot sont pris dans le dépassement d’eux-même en se confrontant à la force populaire. Dans tous les intervenant.e.s face caméra, il n’y a que des personnes quelconque, moyens, normaux. Il n’ y a pas de victimes, de héros ou de martyrs.
Dans le film nous voyons la pensée gilet-jaune se faire au contact de la réalité capitaliste et de sa brutalité. Le film ne prend pas de haut, il n’ y a pas la place pour le surplomb intellectuel. L’autrice ce demande avec les gilets-jaune – et peut-être malgré son expérience de la politique – « pourquoi les policiers ne peuvent pas rejoindre le mouvement ? » L’idée disparaît devant la confrontation aux flics et les conclusions à en tirer et pas devant un discours idéologique – pour qu’ils puissent nous rejoindre dit Pierrot, « il faudrait qu’un policier fasse pendant un an la vaisselle chez chaque manifestant ».
L’autrice est fidèle à ce qui traverse le mouvement, parce qu’elle est honnête avec ce qui la traverse elle en y participant. Elle ne cherche pas à expliquer ce que vivent les gens en se situant en dehors d’eux. Elle filme des femmes gilets-jaunes qui suivent une trajectoire de radicalisation politique : en ayant expérimenté la rage de voir la froideur de la police, elles se demandent si le peuple ne va pas basculer dans la lutte armée pour se faire entendre puisque seule la violence permet d’obtenir l’écoute des dominants. A l’épreuve de l’Etat et des autres, par le communisme, elles se transforment.
Pierrot se transforme aussi face aux gilets-jaunes et elle s’intéresse particulièrement à sa métamorphose car elle vit parfois la même chose. Elle filme et suit sa compréhension du mouvement et de ce qu’il déplace politiquement en lui – et par là en elle. Pierrot est un militant autonome qui a participé à de nombreux mouvements sociaux, c’est ainsi qu’il se retrouve dans ces manifs, parce qu’il souhaite la révolution. La rencontre des gens différents de lui, de son milieu, de ses habitudes et qui s’emparent avec force de la question révolutionnaire, le bouleverse.
Tout au long du film nous le voyons se transformer au contact de la révolte et des discussions. Ses idées s’affirment et/ou se transforment au fur et à mesure des rencontres. Certaines de ces rencontres confortent ces positions d’origine : les gilets-jaunes refusent tout leader, ils ne croient plus aux partis et à la politique parlementaire, la distinction droite/gauche et les anciennes démarcations de la conflictualité ne sont plus valables etc. D’autres au contraire agissent comme une révélation : au moment où existe une force contestataire, les « anarchistes sont en vacances ». Il comprend et explique que les gilets-jaunes, en s’affirmant comme peuple, reprennent la rue à la police, la parole aux médias et « la révolution à l’extrême gauche » ; que si la gauche en temps de séparation fait office de spécialiste de la révolution, elle n’est pas révolutionnaire pour autant.
Son déplacement est tangible : culturellement antifasciste, boulversé par les évènements, il arrive a dialoguer avec un royaliste et reconnaître certains points d’accord. Ce qu’il y a dans la rue contre Macron c’est un peuple en mouvement, ce qui est beaucoup dangereux pour lui et ses amis que des organisations politiques identifiées. Ce peuple en mouvement déplace tout le monde et met en branle ceux qu’il rencontre. C’est bien le geste d’être ensemble, de se battre, de débattre, qui fabrique une conscience révolutionnaire et non pas les idées préalables – le film se place dans le camp de la révolution contre l’idéalisme et la pureté du milieu militant et des spécialistes de la révolution.
Le film n’essaie pas de montrer qui sont les gilets-jaunes, ce qui était la lubie de tous les journalistes depuis l’apparition de ce mouvement informe. Il ne s’agit pas non plus, dans sa version militante, d’expliquer ce mouvement impure qui à surpris les révolutionnaires professionnels. Le film ne cherche ni à comprendre ni a expliquer les gilets-jaunes, il témoigne d’une expérience des gilets-jaunes et essaie de la partager. C’est pourquoi ce film à de quoi surprendre à son tour, à l’image du mouvement, il fait un pas de côté énorme avec toute la tradition médiatique, sociologique, militante du cinéma documentaire. Il est lui aussi surgissement, apparition, saut, dépassement. Ici le film réussi un troisième pari : être fidèle au soulèvement populaire, donner à voir de quel bois il se chauffe, montrer la vie qui coule dans ses veines, boum boum : fidélité à l’évènement, au mouvement réel du prolétariat.
CONCLUSIONS
Ce film est une réussite car les trois paris de l’autrice sont gagnés : le film, donne à voir une vérité partagée de l’époque : l’expérience affective et politique d’un soulèvement populaire ingouvernable et informe qui bouleverse toutes les réalités et ouvre l’horizon des possibles. Il lie dans un même geste le mouvement vers l’autre et vers les autres, l’amour d’une personne et d’un autre monde, montre la puissance désirante du soulèvement populaire. Enfin, il reste fidèle à l’évènement que fut le mouvement des gilets-jaunes et à sa substance.
Ce film, par ce qu’il réussit ses paris audacieux est un petit événement pour le cinéma. C’est un film porté par son époque, qui mérite une attention particulière pour les franchissements qu’il réalise : d’abord la possibilité pour des cinéastes d’être au plus près des mouvements sociaux et du peuple grâce à un mode opératoire de cinéma insurrectionnel. Ensuite, contre toute morale, pour le regard affirmé d’une femme sur le désir révolté, sur l’amour libre et la révolution. Enfin pour sa capacité, contre toute la tradition du cinéma de gauche, à mettre en présence du prolétariat et de sa force au-delà même de la défaite, de la déception et de l’amertume.
Ce film est un film organique du mouvement de révolte populaire. Ce n’est pas un film sur les gilets-jaunes comme il en existe plusieurs, c’est un film gilet-jaune qui à réussi, au prix de quelques sacrifices et de lissages, à se hissé l’air de rien, au cinéma. Réjouissons nous.
SORTIE NATIONALE MERCREDI 15 JUIN :
Paris – L’Espace Saint-Michel (avec rencontres débats)
Paris – Le Luminor
Bagnolet – Cin’Hoche
Brest – les Studios
Carcassonne – CGR Colisée
Cherbourg – CGR Odéon
Grenoble – Le Club
Hérouville Saint Clair – Café des Images
La Rochelle – CGR Dragon
Lyon – Le Comoedia
Marseille – Le Gyptis
Nice – Le Belmondo
Orléans – Les Carmes
Quimper – Katorza
Rennes – L’Arvor
Troyes – CGR
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