Jacques Chastaing a partagé une publication.
QUELLE PLACE POUR LES ELECTIONS DANS LA MONTEE ACTUELLE DES LUTTES ?
Toute la situation mondiale et française est déterminée par la montée croissante des tensions sociales qui annonce l’affrontement inévitable à venir entre d’un côté les classes populaires et de l’autre la bourgeoisie et les défenseurs de l’ordre établi, libéraux ou fascisants, entre le socialisme ou la barbarie. Mais elle est aussi déterminée par un glissement lent mais progressif du rapport de force général en faveur du camp des travailleurs.
La hausse croissante des prix actuelle a déjà provoqué un certain nombre d’embrasements d’ampleur où des gouvernements sont tombés, comme au Pakistan ou au Sri Lanka. En même temps, les manifestations en tous genres et une nouvelle vague de grèves pour les salaires sont en train de dessiner un peu partout comme ici, dans la continuation de luttes incessantes depuis 2018 et même 2016 en France, une modification du rapport général des forces qui commence à pencher du côté des travailleurs. Pour autant, les travailleurs n’en ont pas tiré toutes les leçons : il n’y a pas pour le moment d’émergence de leur propre expression politique indépendante.
Ce glissement général des rapports de force sociaux sans expression politique s’ illustre dans plusieurs pays dont la France par de nombreuses grèves victorieuses et le refus grandissant de travailler de beaucoup de travailleurs à des conditions de travail ou salariales honteuses, ce qui fit le terreau dans les années 1960 du surgissement de 1968, qui se voie en particulier dans la restaurations ou l’hôtellerie. Ce climat général se mesure également de manière indirecte sur le terrain électoral à la montée de Mélenchon aux présidentielles et aux sondages qui donnent la Nupes le plus souvent en tête en voix aux élections législatives.
Mais il ne faut pas se faire d’illusions.
Si la Nupes obtenait une majorité, non seulement LREM, mais aussi la droite, l’extrême droite et le monde des affaires se battront bec et ongles pour empêcher quelque réforme progressiste que ce soit. Ce n’est pas tant quelques réformes qui leur font peur, ni la Nupes, ni Mélenchon, mais qu’à cette occasion, avec une défaite électorale du camp réactionnaire, le camp des travailleurs reprenne confiance politiquement en lui. Et à partir de là, aille beaucoup plus loin sur le terrain de la lutte, en se préparant à la grève générale, car la grève générale est une grève politique, une grève qui, antichambre de la révolution, vise le pouvoir. La grève générale de 1936 avait obtenu bien plus que ne promettait le Front populaire dans son programme électoral mais surtout avait posé la question de la révolution sociale face à la montée du fascisme dans la période.
Il ne faut pas se faire d’illusions non plus sur ce que ferait la Nupes si elle avait la majorité au Parlement. Ce qui n’est déjà pas certain, parce que même si elle est en tête en nombre de voix, le scrutin est ainsi truqué qu’elle n’est pas sûre d’être majoritaire en nombre de députés. Or la Nupes ne conteste pas ce vol du scrutin, pas plus qu’elle ne cherche à renverser Macron en admettant la cohabitation, alors que renverser le régime en commençant par Macron est la condition « sine qua non » pour ne serait-ce qu’obtenir satisfaction aux revendications économiques élémentaires. Enfin et surtout, la Nupes ne veut pas transgresser la sacro-sainte frontière établie par les bourgeois entre le terrain politique (et électoral) et celui de la lutte sociale, en se refusant à appeler en complément de sa mobilisation électorale à la mobilisation par la grève et par la rue..
Or aujourd’hui, ce qui caractérise la période, c’est que bien que beaucoup aient encore des illusions électorales, certains bien au delà du petit cercle habituel, ont compris que ce n’est que par la lutte et une lutte d’ensemble qu’on peut réellement changer les choses.
Nous ne sommes plus en 1981, la méfiance des travailleurs contre toute délégation politique est telle qu’elle dépasse largement les illusions électorales, se traduisant par l’abstention mais plus encore par de nombreuses luttes durant les périodes électorales. C’est l’expérience de toute la période que nous venons de connaître. Il n’y a plus grand monde pour croire qu’un simple succès électoral de la Nupes, ou d’un Mélenchon premier ministre, permettraient d’obtenir ce qu’ils promettent dans leur programme électoral. Les élections ne détournent plus les gens de la lutte pour leur fournir un exutoire sans issue mais sont incluses dans le mouvement de lutte et utilisées par les classes populaires pour construire un rapport de force général par la lutte.
Cette prise de conscience qui cherche à infliger une défaite à Macron et aux forces réactionnaires libérales ou fascisantes, pour au moins freiner, limiter, empêcher qu’elles aient tous les pouvoirs après le succès de Macron aux présidentielles, est un courant politique et de politisation des classes populaires à qui il faut donner une expression, Et bâtir là-dessus ensuite.
Il est capital d’infliger cette défaite politique aux forces de l’argent. Et même une Assemblée sans majorité en serait déjà une. En effet, même s’il y a beaucoup de grèves et de luttes sociales à l’heure actuelle et depuis déjà plusieurs années, elles n’arrivent pas à dépasser leur émiettement parce que la classe ouvrière n’a pas confiance en elle-même, faute pour cela de pouvoir mesurer sa force, son unité, de la toucher du doigt, de la voir, parce qu’elle n’a pas de parti pour ça et pour lui montrer ce qu’elle est déjà en train de faire, la dynamique qui l’habite et les perspective que cela ouvre.
Par contre, un tel succès, même électoral et déformé, pourrait justement lui donner cette conscience de sa force, non pas de la dynamique électorale qui reste faible parce que beaucoup se méfient, mais de la dynamique de mobilisation et de lutte en cours, qui est forte mais invisible. Les luttes sont là, mais nous n’en avons pas vraiment conscience parce que, faute de cette conscience politique générale, elles ne sont que défensives, parce que nous ne voyons pas en elles la possibilité offensive de leur unification, d’entraîner tous les combats des classe moyennes, écologie, féminisme, racisme… derrière elles et de leur capacité par cette unification générale à remettre en cause le capitalisme. .
Alors, il ne s’agit en aucun cas de donner un chèque en blanc à la Nupes et personne ne le souhaite car tout le monde sait qu’il faudra une forte intervention des travailleurs par leur mobilisation pour obtenir quoi que ce soit. En ce sens, la situation peut ressembler à celle de 1936. Une montée des luttes depuis 1934 mais sans unification ; un succès électoral du Front Populaire qui pourtant avait déplacé son centre de gravité vers sa droite et le parti radical contre sa gauche ; comme aujourd’hui La Nupes mandate des anciens du PS et des anciens de LREM au détriment de l’alliance avec le NPA ; puis en mai-juin 1936 une grève générale, la plus grande de notre histoire, qui démarre dans la foulée du succès électoral justement parce que les électeurs du Front Populaire n’avaient pas entièrement confiance en lui et savaient que pour obtenir leurs revendications, 2 000 euros, 32 H, 60 ans, il ne faudrait pas l’attendre des élus mais de la mobilisation, de la lutte, de la grève, d’une riposte générale du monde du travail.
Or le nouveau quinquennat commence bien difficilement ; aucun état de grâce ; des grèves au bord de la généralisation ; des scandales à répétition se mélangeant à celles-ci, comme le match de football de Saint Denis et la grève et la RATP, ou les grèves des diplomates et élèves de l’ENA témoignant y compris d’une certaine désaffection d’une partie de l’establishment
Alors si Macron et les force réactionnaires ont pour principal objectif d’empêcher la prise de confiance en elle de la classe ouvrière, le nôtre est de tout faire pour qu’elle reprenne au contraire confiance en elle pour préparer les affrontements à venir. Et un succès de la Nupes aux législatives peut y contribuer.
Jacques Chastaing, 05/06/2022
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