GREVES : LE RAPPORT DES FORCES EN FAVEUR DES TRAVAILLEURS CONTINUE LENTEMENT MAIS SUREMENT A PROGRESSER,

GREVES : LE RAPPORT DES FORCES EN FAVEUR DES TRAVAILLEURS CONTINUE LENTEMENT MAIS SUREMENT A PROGRESSER,
Comme l’indiquait déjà en son temps la révolutionnaire Rosa Luxembourg, une grève générale ne surgit jamais tout d’un coup sans un lent et long mûrissement qui la précède. C’est pourquoi, disait-elle, il faut concevoir la grève générale comme une période.
Nous sommes aujourd’hui dans une période de ce type.
Cette période peut durer des années. Ce sont des années de maturation. La grève générale qui a surgi en mai-juin 1968 a commencé cette maturation en 1963. Celle de 1936 a commencé en 1933. Rosa Luxembourg estimait cette période autour de la révolution de 1905 à dix ans.
Cette période a un aboutissement ou un noyau central, un point fort et déterminant qui est le moment du soulèvement, de la grève générale au sens propre dont la logique si elle va jusqu’au bout est l’insurrection, la révolution.
Ce moment est préparé par une montée d’une multitude de luttes mais cette montée n’est pas linéaire. Elle peut s’accompagner de reculs momentanés, d’échecs partiels, de pauses momentanées mais qui n’entraînent pas des démoralisations rédhibitoires. Ces échecs sont surtout vécus comme des expériences pour aller plus loin demain.
Cette montée des luttes est composée de mouvements de toutes sortes. Ce sont d’abord des grèves économiques qui sont au centre social du mouvement, le plus souvent sur les salaires parce que ces luttes-là permettent plus facilement l’unification par delà les mille particularités locales. Ces luttes sur les salaires expriment par ailleurs un ras-le-bol qui est plus général, que ce soit sur les conditions de travail ou les horaires mais plus globalement encore un refus de tout mépris de classe, un combat pour la dignité.
C’est pourquoi dans ces périodes de grève générale, cette montée des grèves économiques qui sont encore émiettées s’accompagne aussi d’indignations qui, elles, sont collectives, que ce soit autour de scandales politiques, d’émotions populaires contre le mal logement, l’indignité du sort fait aux SDF, ou encore d’une injustice subie par une employée licenciée pour avoir pris un croissant qui devait être jeté,. Il s’agit là d’un refus convergent des humiliations et de l’exploitation. Cela entraîne et se combine avec des luttes plus générales contre toutes les oppressions, contre le racisme, le sexisme, les discriminations en tous genres où se rencontrent et apprennent à se connaître les différentes catégories populaires ou d’âge et de genres qui ne se côtoyaient pas nécessairement dans les grèves économiques. En même temps, par ces fusions apparaissent des combats plus politiques, contre le fascisme, les violences policières, les dénis de démocratie, l’aspiration à la liberté qu’on a vu tout à la fois chez les Gilets Jaunes et dans le mouvement anti pass.
Tous ces mouvements qui sont d’abord perçus comme séparés finissent par être de plus en plus ressentis comme un seul. Cela dénote la progression de la conscience des classes populaires vers une conscience de classe, c’est-à-dire la conscience commune, politique et subversive qu’il faudra s’affronter centralement avec le pouvoir, le renverser, changer totalement l’ordre social et économique. Ce n’est pas parce que la classe ouvrière existe qu’elle lutte, mais c’est parce qu’elle lutte qu’elle se met à exister.
La montée vers la grève générale de 1936 était entièrement traversée du combat politique contre le fascisme et la guerre qui menaçaient. Celle vers mai 1968 par ce qui a été appelé la « crise du travail », le refus du travail par la jeunesse, en fait un refus de l’exploitation combiné en même temps à un refus de l’autoritarisme, celui grandissant du régime gaulliste.
Aujourd’hui, on a ces deux caractéristiques.
D’une part, il y a le refus du travail (de l’exploitation) et donc la pénurie de travailleurs dans l’hôtellerie, la restauration, le commerce, chez les chauffeurs de bus ou de camions. Cela renforce le nombre de grèves gagnantes et dans la vague de grèves incessantes depuis 2016, les luttes pour les salaires avec une revendication commune qui se dégage peu à peu autour d’une augmentation de 200 à 300 euros par mois. Cela renforce la conscience de la nécessité et de la possibilité d’un combat commun et modifie en conséquence le rapport de force général en faveur des salariés. D’autre part, il y a les luttes contre les menaces fascistes et l’autoritarisme de Macron et sa police. A cela s’ajoutent bien plus qu’en 1936 ou même 1968 de nombreuses luttes sociétales pour le climat, contre le racisme et contre le sexisme et pour le droit à l’avortement. Les luttes économiques et politiques se renforcent mutuellement pour former la conscience de classe.
Dénotant la progression de cette conscience de classe s’émancipant du système d’oppression bourgeois, on peut constater qu’il n’y a jamais eu autant de grèves que pendant les périodes électorales. Cela témoigne avec la poussée à gauche vers des candidats de lutte dans le cadre d’une progression de l’abstention d’un rejet de la démocratie représentative bourgeoise. Il n’y a jamais eu également autant de grève en ce début de vacances d’été, qui comme les élections, fonctionnent d’habitude comme des éteignoirs de la lutte de classe.
Cependant, les grèves sont encore partagées entre d’une part des grèves locales qui sont de plus en plus nombreuses à être payantes avec le désir d’efficacité immédiate même si les résultats sont limités et d’autre part des luttes plus générales où beaucoup hésitent à s’engager même si de plus en plus de monde en sent la nécessité parce que la perte de confiance dans le système électoral s’accompagne d’une perte de confiance dans les directions syndicales ou politiques de gauche.
Les journées nationales d’action syndicales sans suite ne mobilisent guère en comparaison du nombre de grèves.
En même temps, la tendance des grèves actuelles est de passer d’entreprises isolées à des grèves de secteurs professionnels entiers, aviation, commerce, énergie, chimie, transports… avec encore un caractère perlé mais dans la durée, tout à la fois plus radicales et intersyndicales, une évolution qui cherche le compromis entre l’efficacité relative de la grève locale et la nécessité de la grève d’ensemble, qu’on sent comme des essais vers la généralisation. Pour ces derniers jours,on a par exemple les grèves dans l’énergie les 29 juin et 4 juillet avec le blocage de centres méthaniers et la menace d’empêcher la préparation des Jeux Olympiques qui suit une multitude de grèves plus ou moins locales dans le secteur; celle des cheminots le 6 juillet qui en suit également d’autres locales, très nombreuses et incessantes aussi bien à la SNCF qu’à la RATP, les jours d’événements sportifs importants ; celle des routiers le 27 juin avec les ambulanciers, taxis et chauffeurs de bus où les grèves sont aussi multiples dans ce secteur depuis des mois ; celle de l’aviation et des aéroports commencées à la mi juin et qui vont durer tout l’été ; celle du pétrole et des stations services Total les 24 et 28 juin et pour les grands départs en vacances ; celle de l’audiovisuel public et de l ‘animation les 29 et 30 juin qui en prolongent bien d’autres pour ce dernier secteur et de multiples autres évoluant plus ou moins de la même manière dans les hôpitaux, les ehpad, le commerce, la métallurgie, le travail social, la surveillance, etc. Enfin, il y a la menace par les réseaux sociaux d’une grève générale le 12 juillet.
Or, s’il y a déjà eu bien des appels de ce type non suivis, qui fait que certains ne prennent pas cet appel au sérieux, il ne faut pas oublier que l’esprit subversif grandissant qui caractérise la période, cherche à s’emparer des points faibles du système. Dans les entreprises, c’est parfois le matin tôt quand les chefs ne sont pas arrivés ou la nuit, quand ils sont repartis, que les mouvements démarrent. L’an passé, c’est à partir du 14 juillet, dans la période la plus creuse de l’année, où avait démarré le mouvement anti-pass qui avait entraîné dans un premier temps tout l’été plusieurs centaines d’hôpitaux dans la lutte pour plus de moyens et d’effectifs parce que nombre de ministres, chefs, journalistes ou bureaucrates partis en vacances, avaient laissé le terrain libre. Et ce n’est qu’avec la rentrée en septembre qu’ils avaient pu reprendre la situation en main en opposant vaccinés et non vaccinés.
Comme dit la chanson, « c’est au mois d’août qu’on fait les fous, les gros matous, les sapajous… » Est-ce que ce sera en juillet cette année et dans les entreprises ?
Jacques Chastaing le 3 juillet 2022
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