« Si on a plusieurs étés comme ça, c’est la fin des glaciers » : dans le massif des Ecrins, les vagues de chaleur menacent les géants blancs
Les chaleurs extrêmes de l’été ont accéléré de manière fulgurante la fonte des glaciers autour de la Meije (3 983 mètres) et font planer le spectre d’une disparition, avec de nombreuses conséquences pour les habitants et l’environnement.
De là-haut, le panorama offre une vue saisissante sur la Meije et ses merveilles : le Grand Pic et ses arêtes effilées qui culminent à 3 983 mètres, les pentes abruptes du Râteau, le dos rond du col de la Girose… Un peu plus bas, un paysage désolé s’offre au regard. Les glaciers fondent à une vitesse éclair et les traces de ce désastre sont visibles à l’œil nu : des crevasses à perte de vue, des flancs ridés et une neige qui prend des teintes orangées à mesure que le grand blanc se rabougrit.
Le massif des Ecrins, entre les Hautes-Alpes et l’Isère, est aux avant-postes du réchauffement climatique. Les chaleurs extrêmes de l’été ont accéléré de manière fulgurante la fonte des glaciers autour du massif, dont le plus haut sommet dépasse les 4 000 mètres.
Cinq mètres d’épaisseur perdus en un an
Depuis le téléphérique, il suffit d’observer le glacier de la Girose pour constater les dégâts. « Ici, il a perdu cinq mètres d’épaisseur en un an », montre, piquet à la main, Xavier Cointeaux, coprésident du bureau des guides de La Grave, lors d’une balade glaciaire avec une dizaine de touristes français et espagnols. A 3 200 mètres, mercredi 10 août, le mercure affiche 8,9°C en cette fin de matinée, plus de deux degrés au-dessus des maximales de saison.
Johan Chaumar et sa femme, venus découvrir ce glacier avec leur fille de 14 ans, se demandent si « elle pourra encore le faire avec ses enfants« . Ils concèdent avoir été « plus que sensibilisés » en découvrant les crevasses de plus de dix mètres et l’eau qui coule abondamment. « Le réchauffement climatique n’est pas forcément concret au quotidien, mais là, on le voit bien et ça donne la chair de poule. »
« Les gens ne connaissent pas les glaciers et trouvent ça beau, pour moi c’est tellement moche et triste… » disserte Xavier Cointeaux. « Dans dix ans, ce glacier n’existera plus s’il continue à perdre plus de cinq mètres par an. Quand tu vois l’accélération du réchauffement climatique, si on a plusieurs étés comme ça, c’est la fin des glaciers. »
« Ça fait trente-trois ans que j’habite ici et je n’ai jamais connu un été aussi dramatique. La montagne part en couille, ça donne envie de pleurer. »
Xavier Cointeaux, coprésident du bureau des guides de La Grave
à franceinfo
Le guide reconnaît avoir une « approche très négative de l’avenir », mais essaie de ne pas tenir un discours « trop alarmiste » lors de ses marches sur le champ de glace. « Il faut pourtant expliquer ce qu’il se passe, ce qui va arriver, c’est tellement important. » La suite ? « La montagne ne va pas s’effondrer, mais tout va changer. On fera des courses de rochers, on décalera la saison d’alpinisme et on s’adaptera. On n’a pas le choix. »
La moitié des glaciers des Ecrins a déjà disparu
Selon les scientifiques, la moitié de la surface des glaciers du massif des Ecrins a déjà disparu. Et les modélisations ne sont guère optimistes. « A l’échelle des Alpes, les climatologues prévoyaient une perte de 85 à 95% de ces glaciers à la fin du siècle, mais on se rend compte que ces estimations sont déjà caduques et que tout va plus vite, s’inquiète Ludovic Ravanel, directeur de recherche au CNRS à Chambéry et géomorphologue. A la fin du siècle, il n’y aura quasiment plus aucun glacier dans les Alpes. »
Les glaciers, qui se composent d’une couche de neige sur une couche de glace, sont censés tenir l’été, et se régénérer chaque hiver grâce aux nouvelles chutes de neige. L’hiver dernier, la neige a été peu abondante, et les mois de mai et juin, anormalement chauds, l’ont fait fondre. « Le déneigement est arrivé très tôt, donc la période de fonte est très longue et les glaciers vivent au-delà de leurs réserves », détaille Ludovic Ravanel. En haut du téléphérique des glaciers de la Meije, il gèle normalement toutes les nuits, même l’été. En 2022, ce n’est plus le cas depuis la mi-juin. Les scientifiques du parc national des Ecrins redoutent une fonte encore pire que lors de l’été caniculaire de 2003.
Face au constat d’un dérèglement climatique qui s’accélère et s’amplifie dans les Alpes, qui se réchauffent plus de deux fois plus vite que la moyenne française, que faire ? « On se prend le réchauffement climatique dans la tête, forcément, on y réfléchit », concède David Le Guen, directeur commercial du téléphérique. Son domaine est une rareté qui attire les badauds, les alpinistes et les skieurs l’hiver, en quête d’adrénaline sur l’un des plus grands domaines hors-piste du monde.
« 30% de notre clientèle est étrangère et il est évident qu’elle a fort impact sur les transports, mais on a besoin qu’ils viennent, c’est tout le paradoxe. Il y en a qui veulent tout fermer et tout arrêter mais 90% de l’économie du territoire dépend du tourisme. »
David Le Guen, directeur commercial du téléphérique de la Meije
à franceinfo
Préserver la montagne tout en continuant à l’exploiter : c’est aussi l’épineux dilemme du remplacement de l’antique téléski du glacier de la Girose, qui permet de monter à 3 550 mètres. D’un côté, ceux qui prônent son remplacement par un troisième tronçon du téléphérique, de l’autre, ceux qui s’y opposent pour laisser respirer la montagne.
Un refuge fermé à cause du réchauffement climatique
Le maire de La Grave, commune sur laquelle est situé le glacier de la Girose, pousse pour la première option, et veut croire que le remplacement de l’infrastructure ne fragilisera pas la langue glaciaire, au contraire. « Je suis un écolo pratique », dit Jean-Pierre Pic depuis son bureau qui donne sur le Tabuchet, un autre glacier de la Meije. Il l’a vu reculer de « 600 mètres » depuis son enfance. « La Meije ne disparaitra pas, les glaciers si », souffle le maire, qui tient à montrer une photo noir et blanc des années 1930. Plusieurs guides posent dans la vallée, dont son arrière-grand-père Prosper qui porte la moustache, comme lui.
Au début du XXe siècle, face à l’afflux de Britanniques en quête de sommets, son ancêtre avait participé à la création du refuge de l’Aigle, à 3 450 mètres. « Ils sont montés avec des bourricots jusqu’à 2 500 mètres, et ils ont fini à pied, avec le poêle, le bois, vous vous rendez compte ? » Début août, le refuge a été contraint de fermer temporairement : l’eau commençait à manquer et l’accès devenait dangereux.
L’année dernière, le réchauffement climatique avait entraîné la fermeture définitive du refuge de la Pilatte, bien connu des alpinistes, sur l’autre versant de la Meije. L’édifice construit en 1954, perché à 2 577 mètres, était en partie construit sur une zone rocheuse instable qui s’est fissurée en raison du recul du glacier. La décompression glaciaire menaçait la bâtisse, dont la salle à manger était traversée par une faille. « On vivait tous les ans avec cette épée de Damoclès, confie Mathilde Dahuron, gardienne du refuge pendant onze ans. La fermeture a été une douche froide, c’est quand même un bout de notre vie. »
Désormais gardienne du refuge du Carrelet, un petit havre de paix qui donne sur les sommets du coin et le Vénéon qui coule à torrent, elle alterne entre dépit et nostalgie en repensant au refuge de la Pilatte, à une heure et demie de marche plus haut. « J’y suis retournée en début de saison, et j’ai vu des crottes de bouquetins, des animaux qui reviennent. Ça fait du bien de se dire qu’il n’y a plus d’impact humain dans cet endroit, mais j’ai aussi vu ce glacier qui fond… »En parcourant les photos du refuge et l’évolution de la langue glaciaire, Mathilde Dahuron ressent de la « colère ».
« La montagne change et c’est de notre faute. Rien ne change au quotidien, ça m’attriste. Le gouvernement ne fait rien, ce n’est pas sa priorité, mais les glaciers c’est notre eau, et bientôt il n’y en aura plus. »
Mathilde Dahuron, gardienne du refuge du Carrelet
à franceinfo
Les glaciers jouent un rôle essentiel : ils constituent un stock d’eau douce conséquent, alimentent les rivières et les fleuves, et participent à l’irrigation, à l’alimentation ou encore au refroidissement des centrales nucléaires situées dans les vallées. Ils régulent aussi tout un écosystème qui souffre énormément des fortes chaleurs. Dans le massif des Ecrins, la végétation a un mois d’avance, les fauches ont débuté très tôt. « On a ramassé des myrtilles fin juin », hallucine Cyril Coursier, technicien au parc national des Ecrins à Briançon. « Le rapport du Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat], je le vis au quotidien en observant le paysage. »
Dans la région, le réchauffement climatique évoque une date : le 20 décembre 2020, lorsqu’un effondrement a emporté un pan entier de montagne au Monêtier-les-Bains, au-dessus du Tabuc. Le fracas des rochers dans le vallon y a fait un bruit « phénoménal ». C’est le permafrost, cette surface terrestre gelée en profondeur depuis des milliers d’années et qui agit comme la colle des montagnes, qui, en se réchauffant, a provoqué l’écroulement. « J’ai tout de suite compris que c’était le réchauffement climatique », se remémore le maire, Jean-Marie Rey.
« Maintenant, en plus des risques d’avalanche et de débordement de la Guisane, on vit avec ce risque d’éboulement. On a été obligés de s’adapter et on va installer des filets métalliques près de certaines habitations. »Le maire, également guide de haute montagne, sort deux clichés d’une pochette. Le premier date de 1980, le second de 2018. Le glacier du Casset a reculé de cent mètres et sa disparition n’est désormais plus qu’une question d’années. « C’est ça la réalité, et elle est irréversible. C’est d’une tristesse. »
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