En 2021, les énergies solaire et éolienne ont continué à distancer le nucléaire mondial, selon un rapport de référence. Pour la première fois, elles dépassent la part d’énergie nucléaire produite.
« Les énergies renouvelables marginalisent l’énergie nucléaire. » Voilà l’une des principales conclusions présentées dans la dernière mouture du World Nuclear Industry Status Report 2022 (WNISR), confirmant une tendance déjà soulignée en 2021. La dernière édition de ce rapport de référence, qui décrit chaque année l’état de l’énergie nucléaire dans le monde, a été présentée le 5 octobre, lors d’une conférence de presse où les énergies renouvelables ont été qualifiées comme étant « la solution ».
Le rapport paraît dans un contexte bien particulier : la crise énergétique induite par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février dernier. Les auteurs ont ainsi décidé, pour la première fois, d’inclure à leur travail un chapitre intitulé « Énergie nucléaire et guerre ». Celui-ci n’est guère réjouissant : alors que la centrale nucléaire de Zaporijjia (Ukraine), la plus puissante d’Europe, a partiellement continué à fonctionner jusqu’au 11 septembre malgré son occupation par les troupes russes, et que Vladimir Poutine a revendiqué son annexion le 5 octobre, les auteurs rappellent qu’aucune « centrale nucléaire au monde n’a été conçue pour opérer dans des conditions de guerre ». En outre, le rapport souligne que « les centrales nucléaires peuvent libérer de grandes quantités de substances radioactives en cas d’accident » et que « la destruction en temps de guerre entraînerait des conséquences similaires ». Sans compter le fait que « chaque centrale nucléaire génère, lors de son fonctionnement, du plutonium utilisable en tant qu’arme [nucléaire] ».
Reste qu’en 2021, seulement 9,8 % de l’électricité produite dans le monde a été issue de réacteurs nucléaires. Une première : depuis quarante ans, jamais la part d’électricité nucléaire produite à échelle mondiale n’avait été si petite dans le mix énergétique global. Autre fait inédit, qui lui est directement corollaire : en 2021, plus de 10 % de l’électricité mondiale a été fournie conjointement par des infrastructures solaires et éoliennes, la contribution au mix énergétique de ces énergies renouvelables non hydrauliques dépassant pour la première fois celle du nucléaire.
- © Clarisse Albertini/Reporterre
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Investissements records
Certes, le rapport note que la production nucléaire mondiale a légèrement augmenté en 2021 par rapport à 2020 (+3,9 %, ne dépassant pas le niveau de production de 2019). Insuffisant malgré tout pour dépasser la croissance des énergies renouvelables non hydrauliques, qui ont bénéficié d’un investissement record de 366 milliards de dollars en 2021 (contre environ 26 milliards de dollars pour le nucléaire). Cela s’explique par les faibles coûts des énergies solaire et éolienne et a fortiori par la piètre compétitivité du nucléaire. Entre 2009 et 2021, les coûts du nucléaire ont en effet augmenté de 36 % (+3 points par rapport à 2020), tandis que ceux du solaire et de l’éolien ont respectivement baissé de 90 % et de 72 %.
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Il y a par ailleurs moins de réacteurs nucléaires en fonctionnement qu’il y a un an : à la mi-2022, 411 d’entre eux étaient exploités dans trente-trois pays, soit quatre de moins qu’une année auparavant. Un chiffre différent de celui de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui comptabilise 437 réacteurs en service ; pour le WNISR, l’AIEA inclut à tort dans ses statistiques « 23 réacteurs qui n’ont pas généré de l’énergie depuis 2010-2013 ».
Ainsi, entre 2002 et 2021, il y a eu 105 fermetures pour 98 lancements de nouveaux réacteurs. Ces constructions sont majoritairement le fait de la Chine, deuxième producteur mondial d’électricité nucléaire — en 2021, les énergies renouvelables ont eu toutefois dans le pays une croissance plus élevée que celle du nucléaire. De leur côté, en 2021, les États-Unis — premier producteur mondial d’électricité nucléaire — n’avaient jamais eu une part si faible d’électricité nucléaire dans leur mix énergétique, et ce depuis 1995.
D’autres réacteurs sont complètement à l’arrêt, comme c’est le cas en France. Le 5 septembre, 32 réacteurs (sur les 56 réacteurs en service que compte l’Hexagone) étaient arrêtés : 16 pour maintenance ou maintenance courante, 2 pour économie de combustible, et 14 pour des contrôles relatifs au problème de corrosion sous contrainte. Par ailleurs, l’âge moyen des réacteurs nucléaires en France est de 37,1 années… quand, à l’échelle mondiale, le chiffre tombe à 31 ans — comme en 2020, on peut noter un faible renouvellement du parc de réacteurs, ainsi que des retards de construction pour 26 des 53 réacteurs qui étaient en chantier dans le monde en 2021.
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« Le pire est à venir »
Bref, pour le WNISR, si l’an 2020 a été considéré comme « particulièrement difficile » pour le secteur nucléaire français, « le pire est à venir » pour 2022, malgré un léger rebond de la production d’électricité nucléaire en France en 2021 (+7,5 % par rapport à 2020). EDF, en proie à d’immenses difficultés financières, prévoit ainsi qu’en 2022 la production nucléaire atteindra seulement 280-300 térawatts-heures (TWh)… soit le chiffre le plus bas depuis 1990 (en 2021, la production était de 360,7 TWh).
« Tous ces nouveaux problèmes, qui touchent une industrie déjà éreintée, n’ont pas empêché le président français à prononcer le 10 février 2022 un discours saluant “la renaissance du nucléaire en France” », écrivent avec une pointe d’ironie les auteurs du rapport. Lequel souligne à quel point notre pays, avec son projet de loi d’accélération sur le nucléaire (construction de six nouveaux EPR2), est globalement à contre-courant de la tendance mondiale (en 2021, les réacteurs nucléaires ont fourni plus d’un tiers de leur électricité à seulement huit pays : la France, la Belgique, la Bulgarie, la République tchèque, la Hongrie, la Slovaquie, la Slovénie et l’Ukraine). Ainsi, en 2021, 69 % de l’électricité en France a été produite par des réacteurs nucléaires. C’est largement plus que la production aux niveaux mondial (9,8 % de l’électricité produite issue du nucléaire) et européen (25,3 %).
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