Jacques Chastaing a partagé une publication.
Novembre et décembre vont être des mois socialement chauds aux caractéristiques inédites. Essayons de comprendre pourquoi.
Ce qui est spécifique à ces mois à venir est lié à toute la période mais a commencé à se dessiner plus particulièrement en octobre.
La grève des raffineurs en même temps que celle des agents des centrales nucléaires a permis l’embryon d’une généralisation des grèves dans les 3 ou 4 jours qui ont suivi le 18 octobre avec le départ simultané dans la lutte à ce moment des salariés de plusieurs entreprises autour d’Assemblées générales de la base, des revendications offensives de 200, 300 ou 400 euros de plus par mois au delà de la simple récupération de l’inflation et avec en tête pour beaucoup l’espoir de la généralisation.
Pour comprendre la situation et la crainte des autorités comme des directions syndicales à ce moment, il faut souligner que la grève des agents EDF des centrales nucléaires se situait dans le prolongement d’une mobilisation importante de tous les secteurs de l’énergie pour 200 euros depuis déjà plusieurs mois et pour certains avec succès, comme GRT GAZ, CPCU, ELENGY et STORENGY, qui avaient obtenu pour ces derniers 200 euros en juillet. Or cette mobilisation diffuse jusque là avait été rendue très visible par la journée d’action particulièrement suivie du 8 octobre. Mais, surtout, c’était aussi une grève contre ou malgré les directions syndicales de l’énergie, qui au lieu d’amplifier la grève des énergéticiens en plein mouvement des raffineurs après le succès du 8 octobre, ont alors accepté une augmentation misérable de 2,3% pour la branche alors qu’elles n’avaient jusque là cessé de dire qu’elles ne lâcheraient rien sur les 200 euros. La grève des centrales nucléaires débordait donc les directions syndicales et s’additionnait à la grève des raffineurs qui paralysait le pays. L’entrée en grève reconductible les 18,19, 20, 21 de plusieurs secteurs combatifs dont les cheminots là aussi par dessus la volonté de la CGT additionnée à la spontanéité imprévisible du mouvement lycéen, signifiait que le débordement pouvait se généraliser.
C’est du fait de cette pression, que le gouvernement inquiet ne réquisitionnait les raffineurs que du bout des doigts, pour la posture politique, cherchant en même temps à ne pas trop mettre d’huile sur le feu, et que la CGT, qui se refusait à profiter de cette situation tout comme les autres directions syndicales pour appeler à reconduire la grève du 18, annonçait au contraire deux nouvelles journée d’action trop loin dans le temps et sans aucun plan de bataille, les 27 octobre et 10 novembre. Là -dessus, le succès revendicatif des électriciens des centrales nucléaires et en même temps la reprise progressive des raffineurs sur un demi succès, faisaient revenir la période à ce qu’elle était auparavant, de multiples luttes économiques défensives émiettées sur les salaires assujetties aux négociations NAO entreprise par entreprise.
Il y a toutefois une différence importante presque qualitative entre la période qui s’ouvre à partir du 10 novembre dans cette deuxième quinzaine de novembre jusqu’à la fin de la première quinzaine de décembre, par rapport à la période des grèves pour les salaires qui a précédé.
En effet, beaucoup d’entreprises ont concédé aux mouvements salariaux des mois précédents une clause de revoyure en cas de continuation de l’inflation, en avançant les NAO prévues début 2023, à novembre et décembre 2022 pour éventuellement compléter ce qui avait été cédé en début 2022 par une seconde augmentation en fonction de la hausse des prix, bref une sorte de promesse patronale d’indexation des salaires sur les prix. On va donc avoir pendant environ un mois un nombre conséquent de négociations salariales dans des entreprises aux salariés parmi les plus combatifs du moment, celles où il y a déjà eu des luttes, soit déjà gagnantes, soit suffisamment importantes pour que le patron fasse cette concession d’avancer les négociations. Avec à l’état d’esprit des travailleurs de ces secteurs que ces nouvelles NAO portaient la promesse implicite des patrons à une augmentation indexée sur les prix. Jusqu’à présent, dans les quelques entreprises dans cette situation où les salariés avaient déjà obtenu par la lutte dan sle cours de l’année des hausses de salaires de 5 à 7% et où ils ont demandé à la seconde négociation de doubler la mise avec une nouvelle hausse de 5 à 7%, c’est-à-dire au total de 10 à 14%, les patrons ont tout de suite cédé. Il y a pour le moment trop peu de ces cas pour en faire une généralité mais ce qu’il y a de sûr, c’est que la période 15 novembre-15 décembre ne va donc pas connaître des NAO classiques, mais celles d’une sélection des secteurs parmi les plus explosifs avec une majorité de patrons globalement en fragilité ou sur la défensive.
On va donc peut-être vers une avalanche de grèves certes dispersées mais au même moment et avec des revendications qui sortent du défensif au coup par coup – ne pas trop perdre de pouvoir d’achat-, pour des revendications qui glissent vers l’offensif – maintenir ou gagner du pouvoir d’achat-. On pourrait donc bien connaître 30 journées habitées de luttes d’un niveau intermédiaire entre celui pugnace et cherchant la généralisation de l’après 18/10 et celui des grèves économiques dispersées d’avant, chacun pour soi. Cette situation n’aura ainsi pas le même impact moral sur l’ensemble des travailleurs qui observent. Si les grévistes de plusieurs entreprises obtiennent en très peu de temps, une hausse de 10 à 14%, ça aura plus d’effet entraînant pour tous qu’une hausse de 5 à 7% avec des grèves plus longues. Cela traduit en effet une modification perceptible du rapport de force en faveur du camp ouvrier, encourageant plus facilement d’autres à s’y mettre à leur tour et à aller plus loin dans les revendications, avec tout ce qui peut découler d’imprévisible d’une telle période inédite.
Alors, autant la journée d’action du 27 octobre a été vécue par les travailleurs et les militants les plus avancés comme une opération de diversion contre la généralisation de la grève les 18,19, 20 et 21 octobre, et donc très peu suivie, autant le 10 novembre, même s’il est encore marqué du sabotage de l’épisode du 18 octobre, ne serait-ce que par le choix de son accolement à un long week-end qui rend difficile la reconduction pour beaucoup, il pourrait bien être plus réussi et redonner le moral à ceux qui l’ont perdu après les 18 et 27 octobre, tout en devenant un point d’appui et de départ à beaucoup pour entrer dans cette nouvelle période de lutte qui va s’ouvrir devant nous.
Il y a bien sûr les appels à une grève massive à la RATP, on verra, mais on peut surtout mesurer ce climat à ce qui se passe chez Enedis et GRDF. Les directions syndicales y ont fixé deux nouvelles journées d’action les 3 et 4 novembre qui ont été bien suivies avec comme conséquence que bien des secteurs continuent d’eux-mêmes la grève jusqu’au 8 novembre, date d’une nouvelle rencontre de négociation où les syndicats appellent à une journée d’action mais où certains secteurs locaux annoncent d’ores et déjà que s’ils n’obtenaient pas les 200 euros à cette date, ils partiraient en grève reconductible à partir du 8, mettant en quelque sorte le feu au 10. De plus, il y a toujours une grève rampante chez Safran et Daher pouvant aussi mettre le feu à toute l’aéronautique particulièrement fébrile après les grèves historiques de l’aérien cet été. Et puis il y a encore certains secteurs partis en grève le 18 pour 250 et 300 euros comme Geodis Calberson ou les cheminots de Haute-Savoie sont toujours en grève aujourd’hui – et pour ces derniers leur grève s’élargit -. Enfin, le recul gouvernemental sur les méga-bassines de Sainte Soline montre à beaucoup que la radicalité est payante. L’appel des Gilets Jaunes au retour de leur mouvement le 12 novembre en bénéficiera peut-être. Il se rajoute à ce contexte la journée de grève des lycées professionnels le 17 novembre dont le succès de la précédente journée du 18 octobre a pu encourager certains enseignants ou élèves à reconduire leur grève, et par là, être un facteur déclenchant généralisant, chez d’autres lycéens par exemple dont on a vu la disponibilité les 18, 19, 20 et 21 octobre. Par ailleurs, le contexte de l’utilisation à répétition du 49.3 par le gouvernement et l’impuissance de l’opposition parlementaire face à cet autoritarisme, peut donner envie de déplacer la politique dans la rue en imposant le 49.3 populaire, celui de la généralisation de la grève et des manifestations de rue… ce qui peut avoir un caractère particulièrement explosif à l’échelle du continent dans un moment où on parle de grève générale en Grande-Bretagne et où les conflits sociaux se posent aussi la question de la généralisation en Belgique (en grève le 9/11), Allemagne, Espagne, Portugal, Italie….
Cette période ne sera peut-être que l’addition amplifiée et concentrée des luttes salariales économiques dispersées défensives qu’on connaît depuis plus d’un an, on ne sait pas, mais contient aussi, on le voit, bien des ingrédients pour franchir un pas plus offensif et pour le moins, un pas dans la prise de conscience de la possibilité et la nécessité de la généralisation et centralisation des luttes pour gagner.
La classe ouvrière n’est pas homogène. Ses différentes parties accèdent à la prise de conscience par des chemins différents et à des rythmes différents. Ce qui se passe aujourd’hui. La progression de la classe ouvrière vers la prise de conscience politique est un processus complexe et contradictoire. Pour éclairer ce processus général qui se cache encore dans bien des singularités économiques dispersées, et donc faire le lien entre ses différentes composantes et ses différents combats, entre l’économique et le politique, il est temps de construire un pôle politique et social qui éclaire cette situation et par là gagne la confiance de la partie la plus avancée des combattants en décrivant avec le plus de finesse possible les évolutions des luttes et de l’état d’esprit ouvrier, c’est-à-dire la construction d’un rapport de force général, en aidant ainsi les travailleurs à tracer leur voie par leur propre expérience.
Jacques Chastaing 06/11/2022
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