Jacques Chastaing a partagé une publication.
Les manifestations du 19 novembre des Gilets Jaunes, des féministes de « Nous Toutes » et des enseignants des lycées professionnels ont été plutôt bien suivies même si ça n’a pas été un ras de marée. Elles ont ouvert en France un nouveau cycle de luttes dans ce moment plus général d’inflation et de grèves pour des augmentations de salaires, lui-même inséré dans une période mondiale plus large de remise en cause globale du système capitalisme et de marche lente vers la grève générale insurrectionnelle.
Ce nouveau cycle fait suite à celui ouvert par la grève des raffineurs qui a fait germer un instant la possibilité de la généralisation offensive et politique des grèves et les tentatives en ce sens autour des 18, 19, 20, 21 octobre par les cheminots, électriciens, lycéens et un certain nombre de salariés d’autres entreprises significatives comme Geodis Calberson, Airbus ou Neuhauser et encore d’autres. Ce cycle s’est refermé lorsque les directions syndicales et politiques ouvrières n’ont pas voulu utiliser le rapport de force créé par le quasi blocage du pays par les raffineurs, soit en ne faisant rien comme la plupart soit en appelant à des journées nationales d’action trop tardives les 27/10 et 10/11 comme la CGT, donnant à voir dans celles-ci des contre-feux, ce qui explique qu’elles ont été très peu suivies. Cela a entraîné un moment de démoralisation des militants animés par des considérations politiques mais pas des salariés conduits par des nécessités économiques. Cela s’est traduit à la suite de ce cycle par un retour à des grèves économiques et défensives pour les salaires, toujours nombreuses, mais à nouveau émiettées, boite par boite et centrées notamment autour des NAO qui ont été multipliées en ces mois de novembre et décembre par des clauses de « revoyure » contre l’inflation gagnées dans les conflits précédents.
Ce nouveau cycle de luttes déclenché par le 19 novembre déploie à nouveau la période vers l’offensif et le politique en élargissant le domaine de la lutte salariale comme l’avaient fait un instant les lycéens du 18 au 21 octobre en se battant au sein du mouvement pour les salaires pour des revendications propres contre Parcoursup et la sélection sociale à l’école, bref contre le système dans son ensemble. C’était déjà cette extension du domaine de la lutte par les étudiants de mai 68, qui avait permis aux multiples grèves économiques du moment de s’engager dans leur généralisation politique, sortant des questions salariales et de survie dans ce monde pour construire une vie plus belle dans un autre monde.
Ce nouveau cycle actuel donne alors un autre sens aux multiples grèves économiques du moment, défensives et dispersées, en les transformant dans la conscience de beaucoup en une construction d’un rapport de force général qui pourrait permettre la réalisation de ce que demandent les Gilets Jaunes dont certains par exemple à Toulouse manifestaient avec une banderole de tête « Révolution sociale » tout en scandant « anticapitaliste, anticapitaliste », ou ce que demandent les professeurs de lycées professionnels qui ne veulent pas que les élèves deviennent de la « chair à patron » ou encore des féministes de « Nous Toutes » qui se battent contre toutes les violences sexistes et sexuelles en scandaient « Darmanin au bûcher ». Ce nouveau cycle où cette ambiance subversive et politique résonne sur un fond lourd et puissant de grèves salariales est une porte ouverte pour chercher la convergence de ces deux domaines de la lutte afin de n’en faire qu’un.
Avec l’inflation qui continue, ce qui signifie pour l’hiver qui vient l’explosion des factures de l’énergie, les grèves vont se poursuivre dans tout le pays, dans tous les secteurs voire s’amplifier encore se couplant peut-être comme en Grande-Bretagne avec des mouvements de citoyens refusant le de payer les factures, comme on voit déjà ici ou là, des locataires qui refusent de payer les augmentations de loyers, indiquant que la séquence ouverte par l’accentuation des grèves pour les salaires ne va pas se refermer de si tôt. Mais du fait du 19 novembre, ces grèves prennent une autre couleur, car tout est lié, et tout le monde le sent bien, une victoire ici est une victoire pour tous, une mobilisation réussie là est un encouragement à tous. Du coup ces grèves ne sont plus seulement le repli sur soi et son entreprise d’après l’épisode des raffineurs, ça devient un défi collectif aux puissants, une contribution à la construction d’un climat général de fragilisation de l’ordre établi.
Regardons de plus près : la grèves des gaziers de GRDF est en quelque sorte une grève qui appartient à la phase précédente, celle où la grève des raffineurs avait permis aux électriciens des centrales nucléaires EDF d’obtenir 200 euros d’augmentation, puis ceux d’Enedis également. Mais pour ne pas céder sur tout, la direction n’a pas voulu céder aux gaziers et a du coup, a importé dans la phase actuelle, la détermination de la phase précédente avec une grève illimitée sur plus de 100 sites pour une augmentation de 200 euros. A cela, il faut ajouter la grève très suivie dans la RATP le 10 novembre additionnée là aussi d’une traîne de grèves perlées, additionnant les phases, qui durent depuis le 18 octobre, en quelque sorte en attente d’un mouvement plus général, et qui s’étendent aujourd’hui et gonflent de réalité la menace d’une grève illimitée pour décembre. Et puis, au delà d’une multitude de grèves dans de petites et moyennes entreprises mais où on voit apparaître de plus en plus souvent des revendications importantes comme 300 euros chez Ponticelli, 200 euros chez Inetum, il y a la grève dans les grands groupes pouvant être des facteurs d’entraînement comme chez Sanofi qui commencée le 15 a l’intention de durer au moins jusqu’au 23 novembre ; la grève encore chez FPT Fiat Industries pour 250 euros, qui commencée le 14 durait encore le 18 ; les débrayages chez Safran qui n’en finissent pas et puis, peut-être surtout, un grève majeure qui semble vouloir démarrer chez Airbus et qui est déjà une réalité dans 8 sites en Espagne et un en Allemagne.
Ce qui replace toutes ces grèves et ces mouvements dans la dynamique du contexte plus large des grèves générales en Europe de ce dernier moment.
Grève générale en Albanie le 8 novembre. Grève générale le 9 novembre en Belgique mais aussi en Grèce et manifestations massives le 17 novembre dans ce pays célébrant le soulèvement qui renversa la dictature militaire. Grève générale le 11 novembre en Bulgarie. Manifestation nationale pour la défense de la santé en Espagne le 13 novembre. Grève générale de la fonction publique le 18 novembre au Portugal. Grève générale et manifestation nationale les 2 et 3 décembre en Italie et des grèves dont le nombre grandit toujours en Grande-Bretagne… mais aussi des grèves et luttes comme rarement vu en Suisse, Allemagne, Hongrie, pays Baltes, bref l’Europe entière sur le chemin de la grève générale.
C’est tout cela qui donne le sens de ce qui se passe en France et va se passer demain, une mobilisation globale qui réunit toutes les causes, toutes les crises interconnectées à l’échelle de continents entiers, qui cherche encore son expression unifiée, mais ce à quoi nous pouvons contribuer.
Jacques Chastaing le 20 novembre 2022.
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