Cette décision à haute valeur symbolique était redoutée par des élus et des habitants de la Martinique et de la Guadeloupe, qui dénoncent un risque de « déni de justice » et devraient faire appel de cette décision.
Après seize années de procédure, la justice a rendu une décision de non-lieu définitif, jeudi 5 janvier, dans le dossier du chlordécone. Utilisé durant des décennies à la Guadeloupe et à la Martinique contre le charançon du bananier, ce pesticide organochloré a empoisonné l’environnement et est soupçonné de provoquer de nombreuses maladies au sein de la population.
Les deux juges d’instruction parisiennes chargées de la procédure ont ainsi suivi le réquisitoire du parquet de Paris, rendu à la fin de novembre. Ce non-lieu à haute valeur symbolique était redouté par des élus et des habitants de la Martinique et de la Guadeloupe, qui dénoncent un risque de « déni de justice » et devraient faire appel de cette décision.
Selon des éléments de l’ordonnance de non-lieu dont l’Agence France-Presse (AFP) a eu connaissance, les deux magistrates instructrices reconnaissent un « scandale sanitaire », sous la forme d’« une atteinte environnementale dont les conséquences humaines, économiques et sociales affectent et affecteront pour de longues années la vie quotidienne des habitants » de Martinique et de Guadeloupe.
La Confédération paysanne dénonce « une honte »
L’enquête a selon elles établi « les comportements asociaux de certains des acteurs économiques de la filière banane relayés et amplifiés par l’imprudence, la négligence, l’ignorance des pouvoirs publics, des administratifs et des politiques qui ont autorisé l’usage du chlordécone à une époque où la productivité économique primait sur les préoccupations sanitaires et écologiques ». Elles prononcent néanmoins un non-lieu, évoquant la difficulté de « rapporter la preuve pénale des faits dénoncés », « commis dix, quinze ou trente ans avant le dépôt de plaintes », la première ayant été faite en 2006.
Les magistrates soulignent également « l’état des connaissances techniques ou scientifiques » au moment où les faits ont été commis : « le faisceau d’arguments scientifiques » au début des années 1990 « ne permettait pas de dire que le lien de causalité certain exigé par le droit pénal » entre la substance en cause et l’impact sur la santé « était établi ». Avançant également divers obstacles liés au droit, à son interprétation et à son évolution depuis l’époque de l’utilisation du chlordécone, les magistrates, tout en disant leur « souci » d’obtenir une « vérité judiciaire », ont conclu à l’impossibilité de « caractériser une infraction pénale ».
A mots couverts, l’ordonnance tacle aussi la plupart des parties civiles, « longtemps silencieuses » dans cette enquête et dont « l’intérêt pour l’instruction ne s’est réveillé » qu’il y a deux ans. Les deux juges invitent assez ouvertement les victimes du chlordécone à profiter de « la causalité aujourd’hui établie » entre le pesticide et les dommages subis par la population pour saisir « d’autres instances ». Ce non-lieu est une « honte », a réagi la Confédération paysanne.
Plus de 90 % de la population adulte des deux îles contaminée
Utilisé dans les bananeraies pour lutter contre le charançon, le chlordécone a été autorisé à la Martinique et à la Guadeloupe jusqu’en 1993, sous dérogation, quand le reste du territoire français en avait interdit l’usage. Il a provoqué une pollution importante et durable des deux îles et est soupçonné d’avoir provoqué une vague de cancers.
En 2006, plusieurs associations martiniquaises et guadeloupéennes avaient déposé plainte pour empoisonnement, mise en danger de la vie d’autrui et administration de substance nuisible. Une information judiciaire avait été ouverte au tribunal judiciaire de Paris en 2008. Dans ses réquisitions de non-lieu, le parquet de Paris avait lui estimé que les faits étaient prescrits, s’agissant en particulier de l’empoisonnement, ou non caractérisés, concernant l’administration de substances nuisibles, ce qui empêche toute poursuite.
Depuis l’annonce des réquisitions de non-lieu, manifestations et rassemblements se sont multipliés à la Martinique. Le 6 décembre, le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique, Serge Letchimy, a interpellé Emmanuel Macron face au risque de « déni de justice ». Le chef de l’Etat est « le premier à avoir reconnu la responsabilité de l’Etat dans la pollution du chlordécone en 2018 », l’a défendu le même jour le ministre délégué aux outre-mer, Jean-François Carenco.
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