aplutsoc – Jan 8
Présentation
Le premier trimestre 2023 va voir la tenue du 53ème congrés confédéral de la CGT. Cet événement sera d’une grande importance pour l’avenir du syndicalisme et de la classe salariée en France. La discussion sur les orientations va retenir l’attention non seulement des syndiqués et militants CGT mais aussi de ceux des autres organisations que les premiers côtoient au quotidien dans bien des conflits immédiats. Dans le contexte d’une nouvelle offensive contre les retraites par Macron et Borne, ce congrès sera important.
Nous ouvrons une discussion sur la situation du syndicalisme en France parmi nos lecteurs et commençons par la contribution qui suit.
Contribution
Au moment où sont écrites ces lignes …
Hormis les mouvements spontanés auxquels elle ne peut d’ailleurs pas être étrangère, il existe une, et sans doute une seule, organisation sociale en France dans laquelle existent les forces humaines et l’énergie militante qui, en unissant largement avec elles, peuvent battre Macron à plate couture sur les retraites et donc sur les autres revendications. Cette organisation, c’est la CGT dont le 53° congrès confédéral se tiendra du 27 au 31 mars prochains à Clermont-Ferrand.
La direction de la CGT – sa CEC, Commission Exécutive Confédérale, et son secrétaire actuel, jusqu’à ce congrès, Philippe Martinez – a, quoi qu’elle en dise, « la main » sur ce qui sortira de l’intersyndicale nationale annoncée mardi soir après l’officialisation de l’attaque gouvernementale contre le droit à la retraite. Appel au retrait pur et simple du projet ou « propositions » plus ou moins claires sur « l’emploi des seniors », la « pénibilité » et le « financement » ? Appel à une action commune centralisée reposant sur la grève et dirigée sur l’exécutif ou carnaval de journées d’actions « inscrites dans la durée » jusqu’ à épuisement et passage de la contre-réforme au 49-3 ? Une direction syndicale de la CGT qui veut… peut ! et pourrait.
Qu’on ne dise pas, si l’appel s’avère confus et omettant le simple mot « retrait », que c’était pour signer avec la CFDT. La CFDT est instituée première organisation par les collectes de votes dans les entreprises faites par le ministère du Travail, c’est certes un problème, mais dans les rapports sociaux réels ceci n’est pas vrai. La précédente mobilisation de défense des retraites, à partir du 5 décembre 2019, était puissante, massive, unitaire, sans la CFDT. La grande CFDT apparaît – de plus en plus à ses propres militants – comme un grand corps mort qui n’obtient pas de résultats. Elle est conduite, pour son existence comme organisation implantée dans le monde du travail, à dire officiellement Non à la contre-réforme visant les retraites. C’est la responsabilité première de la CGT qui est engagée si l’appel intersyndical et le « plan de lutte » qui s’ensuivra ne visent pas à infliger une défaite à Macron en gagnant.
Une nouvelle défaite revendicative, après trois décennies de combats contre les offensives successives visant les retraites, s’ajoutant à tous les reculs sociaux, au fait qu’il n’y a plus de « grain à moudre », serait bien entendu un facteur de désarroi, de crise, pour les militants syndicaux et pour l’organisation.
De quoi a besoin la CGT ?
Avant tout, d’une méthode syndicale qui est celle de tout syndicaliste voulant être efficace au niveau de l’entreprise, du chantier ou du service : des revendications claires, et une action simple visant à unir en direction de ceux qui prennent les décisions. Au niveau national, cela requiert de ne pas avoir peur de « casser » Macron. C’est cela, l’indépendance syndicale.
Deuxième point : un internationalisme vivant. En 2022, ce sont notamment la résistance armée et non armée du peuple ukrainien à la guerre impérialiste russe et la mobilisation démocratique et révolutionnaire des peuples d’Iran impulsée par les femmes, qui exigent une solidarité vivante. Cela suppose de batailler pour que les organisations syndicales internationales jouent leur rôle en virant les corrompus et en menant des campagnes concrètes, pour conquérir leur indépendance envers l’UE, l’ONU et les ONG. Cette bataille aujourd’hui a pour terrain la CSI – pas la FSM, liée à des « syndicats » jaunes inféodés à des Etats qui servent de police antigrève et anti-ouvrière, à Minsk comme à Téhéran.
Troisième point : le syndicalisme, ce sont les syndiqués, et le congrès d’un syndicat, d’une confédération, doit commencer par des débats dans les sections syndicales, se poursuivre par la proposition de textes d’orientation, procéder à l’élection de délégués des syndicats à partir d’en bas, dans les structures, sans désignations par en haut, et se terminer, en fin de congrès, par l’élection des responsables confédéraux. Petit problème : c’est exactement l’ordre inverse de cette manière de procéder, partant d’en haut et pas d’en bas, qui est mis aujourd’hui en œuvre. On a d’abord appris que Philippe Martinez proposait Marie Buisson pour lui succéder, puis les délégués sont désignés par des tractations entre responsables déjà en place, puis arrivent les textes d’orientation.
Syndicalisme indépendant de classe et de masse, internationalisme vivant ne ralliant le camp d’aucun Etat, démocratie syndicale. A ces trois points, il convient d’ajouter la conscience et la mise en œuvre d’une vraie place des femmes, et d’une reconnaissance de leurs besoins et de leur parole, dans la vie de l’organisation à tous les niveaux. Pas de démocratie sans cela.
L’opposition officielle.
Il y a une opposition constituée dans la CGT, qui ne veut sans doute pas être appelée un courant, mais qui en est un, autour des structures affiliées à la FSM (UD 13 et 94, FNIC, Fédé du Commerce, Agro-alimentaire), du site « Unité CGT » et des liens avec la Fédé des Cheminots, notamment, et impulse, contre Marie Buisson, la candidature d’Olivier Mateu de l’UD 13.
Ces composantes, quoi qu’elles ne les mettent pas en pratique pour leur propre compte et participent aux tractations de coulisses pour la nomination de fait des délégués, expriment des exigences démocratiques parfaitement légitimes. Outre le besoin de débat, la nécessité de moins de verticalisme, on entend de leur part, comme de beaucoup de bases syndicales d’ailleurs, des critiques fondées sur le besoin de plus de moyens et de place aux unions locales, l’exigence de réduction de la réunionite dans les instances dites de « concertation », et la critique de la place excessive prise par les unions régionales, espèces de grandes structures calquées sur les réformes territoriales de ces dernières années (par ailleurs typiques, depuis les années 1970, du fonctionnement de la CFDT, et ce n’est pas un hasard !).
Disons-le : la vidéo d’Unité CGT faite en vue du congrès et diffusée depuis mi-décembre, Pour une CGT à la hauteur des enjeux, est bien faite, bien bâtie pour donner des apparences de réponses, de perspectives, aux militants combatifs et mécontents. Mais elle ne les donne pas.
Tout d’abord, en dehors de la réutilisation intensive des mots « lutte de classe », « capitalisme », « de classe et de masse », des mots qui n’appartiennent pas seulement à ce courant mais sont le patrimoine commun de tous les militants ouvriers, il n’y a de ce côté-là strictement aucune « tactique des luttes » se différenciant de la ronde des journées d’action, à ceci près qu’il faudrait sans doute en faire encore plus.
La journée d’action permanente, la journée d’action tout au long de la vie, ne saurait remplacer l’action syndicale qui pose une revendication claire et appelle à aller tous ensemble là où ça se décide. Mais cela, aujourd’hui, conduit à affronter Macron. Sans avoir peur de le casser et de le renverser.
Pas un mot sur le fait que les vrais affrontements qui se sont produits en France, régulièrement depuis des décennies, ont posé la question du pouvoir – 1995, 2003, 2006, 2016, les Gilets jaunes, le 5 décembre 2019 et après …-, or, c’est là que l’action syndicale est au pied du mur. Les Gilets jaunes, seuls mentionnés pour dire à juste titre que la direction de la CGT n’aurait pas dû appeler initialement à s’en détourner, ne sont pas pour autant compris comme ayant été un mouvement de classe visant l’affrontement avec le pouvoir. Cultiver la nostalgie des journées d’action plus massives et combatives du temps de Krasucki, ou de Séguy, ou de Frachon, avec toujours plus de pneus cramés, ce n’est pas agir pour gagner. Alors que le vrai syndicalisme de classe et de masse vise à une chose : gagner sur nos revendications.
Observons d’autre part le quasi silence, dans cette vidéo, sur les questions internationales. Or, le personnage central qui y intervient, Jean-Pierre Page, est l’homme de la FSM en France, et sans doute pas qu’en France. Or, Mathieu Bolle-Réddat, secrétaire du syndicat Cheminots de Versailles, qui y intervient pour expliquer qu’il faut un horizon anticapitaliste aux militants pour agir, s’est illustré voici quelques années, avec son collègue Axel Persson, secrétaire du syndicat Cheminots de Trappes, en allant chanter à Damas la gloire de l’assassin de travailleurs et tortionnaire fasciste Bachar el Assad, puis en allant appuyer les mafias d’extrême-droite aux mains de la Russie dans le Donbass depuis 2014. Ceci devrait être aussi intolérable que de voir un responsable CGT appeler à voter RN.
Cela dit, tous ici sont bien prudents sur ces sujets !
On daube, bien entendu, sur le fait salutaire et important que la CGT, en appelant à la manifestation vers l’ambassade de Russie du 10 décembre dernier, s’est prononcée pour le retrait des troupes russes de toute l’Ukraine : ce serait soi-disant faire le jeu de l’OTAN. Mais on n’en fait pas un thème central. Car on sait, au fond, que les travailleurs sont spontanément avec leurs sœurs et leurs frères de classe, avec les opprimés, avec les peuples en lutte. Donc, on préfère ne pas trop insister en comptant sur l’inertie, le peu de culture internationaliste, les pesanteurs héritées du passé stalinien, pour que la CGT ne bouge pas sur ces questions.
La boite à formules de l’opposition officielle.
Une intéressante brochure sert de réservoir d’idées et d’éléments de langage aux cadres de ce courant, Quel syndicalisme en France au XXI° siècle ? de l’universitaire Stéphane Sirot (Problématiques sociales et syndicales, n° 10, septembre 2022).
Beaucoup des constats qu’on y trouve sont communs à tous les historiens et sociologues du syndicalisme qui peuvent les mettre au compte d’autres projets, comme par exemple Jean-Marie Pernot, mais la construction à laquelle se livre S. Sirot est consciemment élaborée pour séduire un militant CGT mécontent, soucieux de lutte de classe, et qui vibre encore à l’évocation de grigris sur un passé mythique « bleu de chauffe Billancourt », en fait très largement stalinisant.
S.Sirot évoque pour lui la « double besogne » – formule d’origine syndicaliste révolutionnaire et non pas stalinienne : les revendications quotidiennes et l’abolition du salariat – en faisant de la victoire sur le capital un horizon auquel on rêve et dans lequel on se retrempe pour agir au quotidien, mais certainement pas une question concrète présente dans les luttes surtout si elles sont victorieuses.
Dans un raccourci historique habile qui est en fait une construction idéologique, il assimile le syndicalisme révolutionnaire d’avant 1914 – à l’origine de la forme confédérale du syndicalisme en France – à l’« écosystème PCF/CGT » qui lui aurait succédé- écartant les terribles contradictions et affrontements qui marquent la mainmise stalinienne contre la tradition syndicaliste révolutionnaire.
Par contre, il met en opposition le « recentrage » et le « dialogue social » qui deviennent les termes à la mode à partir des lois Auroux de 1982 puis de la loi sur la représentativité syndicale de 2008, avec le passé supposé glorieux du bon vieux temps du PCF/CGT, comme si ce n’était pas le même appareil issu du PCF/CGT qui s’est engagé dans cette impasse finale.
En résumé : le stalinisme est assimilé à la vieille culture syndicaliste française de lutte de classe alors qu’il a été pour elle un carcan mortifère, et le recentrage social-libéral et européiste des dernières décennies est mis en opposition avec l’époque du tandem PCF/CGT alors qu’il en a été une suite, un développement.
Mais c’est logique : pour S. Sirot, la culture « lutte de classe » ne consiste pas à gagner réellement sur les revendications en allant jusqu’à la révolution sociale réelle d’aujourd’hui, mais à se conter fleurette sur un passé glorieux et des lendemains qui chantent.
Ajoutons que les questions internationales, déterminantes dans l’histoire du syndicalisme, sont laissées de côté dans ce récit sociologique, et que le mouvement ouvrier y est réduit à deux composantes, le christianisme social aboutissant à la CFDT d’une part, et la filiation « syndicalisme révolutionnaire/PCF-CGT/opposition de classe et de masse » d’autre part, ignorant la réalité historique de la CGT-FO et celle de la FEN, puis de l’UNSA et de la FSU, ainsi que de Solidaires, qui ont autant d’importance que la CGT dans la structuration de la classe ouvrière en France.
L’épouvantail ou la planche de salut ?
Dans la toute première minute de la vidéo Pour une CGT à la hauteur des enjeux, il est affirmé que « des tractations sont en cours pour créer avec FSU et Solidaires un nouveau syndicat, une nouvelle structure ».
Les « tractations » sont des débats publics entre ces trois organisations, notamment lors du dernier congrès de la FSU, débats qui, quelles que soient les tractations supposées sous eux, n’ont rien de secret : il y a été dit que la question de l’unité organisationnelle se pose. Pour le courant FSM plus ou moins élargi que cherche à impulser « Unité CGT », ceci est brandi comme un épouvantail : un tel regroupement donnerait naissance à une nouvelle organisation qui ne serait donc plus « la CGT ».
On voudrait poser les bases d’une scission créant une « CGT maintenue » qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Une unité organique CGT/FSU/Solidaires est-elle d’actualité et serait-elle le couronnement d’un « recentrage » transformant la CGT en une CFDT bis ? Les militants de la FSU et de Solidaires seront sans doute les premiers surpris d’apprendre qu’un tel spectre hante certains secteurs de la CGT !
Il est criminel d’esquisser ne serait-ce que l’idée d’une possible scission de la première organisation de classe du salariat en France. Dans l’histoire du mouvement ouvrier, toutes les scissions – CGT/CGTU en 1921, exclusion des communistes de la CGT en 1939, CGT et CGT-FO en 1948, autodestruction de la FEN par sa direction en 1991 – ont été des reculs pour notre classe, et toutes les fusions – CGT et CGTU en 1936, reconstitution de la CGT en 1943 – ont été à la fois la conséquence et une force impulsive puissante des luttes des travailleurs.
Ceci dit, oui, une unification syndicale peut être conçue comme une normalisation, une sorte d’unicité qui ferait la chasse aux mouvements incontrôlés, aux phénomènes d’auto-organisation, aux revendications soi-disant « catégorielles », et il y a dans le document d’orientation paru mi-décembre des passages évoquant la crainte de ne pas contrôler ces mouvements de notre classe. L’unification CGT-FSU-Solidaires ne doit pas, non plus, être la planche de salut des partisans du « dialogue social ». Mais peut-elle vraiment l’être ? En tout cas, pas si facilement. Et l’on ne conjurera pas cette possibilité en dénonçant un épouvantail, mais en affirmant une perspective d’unification syndicale fondée sur la lutte des classes.
Or justement, la tradition syndicaliste révolutionnaire, celle qu’esquive et noie la sociologie de S. Sirot dans sa brochure, n’a pas accepté en France la scission de 1948. La FEN était structurellement organisée dans la perspective de la réunification et ce point a été hérité par la FSU.
Il n’y a donc rien de malsain et de dangereux en soi à ce qu’une unification CGT/FSU/Solidaires soit mise en discussion aujourd’hui : la vraie question est pour quoi faire, si ce n’est du syndicalisme, de la lutte de classe ? Ce débat doit maintenant connaître transparence et publicité et sortir des sphères pour initiés.
Ni épouvantail pour les uns, ni planche de salut pour les autres, cette union pourrait et devrait donner une plus grande CGT, elle doit être un renforcement de la CGT, tout le contraire d’une liquidation, par l’apport des deux autres composantes et notamment par leurs traditions démocratiques et le droit de tendance statutairement reconnu par la FSU, qui l’a hérité de la FEN et, avant elle, de la Fédération Unitaire de l’Enseignement CGTU. En ce sens, oui, ce serait une organisation différente, plus diverse, proche des travailleurs, plus lutte de classe.
Faire passer la FSU pour une addition de corporatismes « catégoriels » et Solidaires pour l’antre du wokisme est un exercice possible entre idéologues qui se montent le cou, mais pas tenable devant les syndiqués. D’ailleurs, le « catégoriel », c’est la lutte de classe : c’est la leçon que viennent de donner les contrôleurs SNCF aux dirigeants de la Fédération CGT des Cheminots !
L’intérêt supérieur de la CGT comme organisation de classe.
Le moment présent s’avère dangereux pour la confédération CGT. Dans cet article, l’accent a été mis sur les positions des « opposants » pour montrer qu’ils ne sont pas une alternative. Mais ce qui les nourrit (et à quoi ils ne répondent en rien), c’est évidemment le « dialogue social » et la protection politique apportée par les directions syndicales aux présidents et gouvernements successifs de la 5ème République.
Par conséquent, la meilleure parade à un congrès confédéral de crise et de confusion, c’est une victoire contre Macron sur les retraites. C’est aussi cela qui peut créer le terrain d’une unification syndicale qui soit un réel pas en avant et qui interpelle aussi la CGT-FO, notamment.
Donc, l’intérêt supérieur de la CGT comme organisation de classe, tout de suite, c’est qu’elle organise l’unité pour le retrait de la contre-réforme visant les retraites.
Le montagnard syndicaliste, 07/01/2023.
Poster un Commentaire