Ukraine: Où est l’union sacrée ?

EDITORS NOTE: Graphic content / Communal workers carry a civilian in a body bag after he was killed during Russian army shelling in the town of Bucha, not far from the Ukrainian capital of Kyiv on April 3, 2022. (Photo by Sergei SUPINSKY / AFP)

aplutsoc Fév 6

Les États-Unis, qui avaient misé sur l’écrasement de l’Ukraine en février dernier et l’organisation subséquente de l’isolement financier et commercial de la Russie, doivent fournir des armes à l’Ukraine, mais juste assez pour prolonger la guerre et officiellement pas assez pour permettre une contre-offensive victorieuse.

Les puissances d’Europe occidentale suivent cahin-caha. L’OTAN, qui n’est pas aux « portes de la Russie » (Fabien Roussel, JDD du 5 février) – à moins de considérer que la Pologne est la « porte de la Russie » comme au temps de la Sainte Alliance ? -, ne mène aucune guerre contre la Russie, mais mise sur son épuisement combiné au maintien du régime de Poutine, que ses pays membres ont toujours soutenu. L’adhésion de la Suède, et celle de la Finlande qui déclare ne pas vouloir se séparer de la Suède dans cette affaire, est suspendue par le veto turc. Les livraisons d’armes (notamment de chars) qui viennent d’être annoncées et sont souvent bruyamment commentées, ne prendront effet que dans six mois au minimum. Une offensive russe misant sur la masse humaine mobilisée semble, par contre, s’annoncer pour la fin février.

Tels sont les faits. Alors, où est l’union sacrée ? Du côté des internationalistes qui, sans aucune concession à la politique de l’OTAN et de tel ou tel camp impérialiste, affirment haut et fort qu’il faut armer les Ukrainiens, armée et Défense territoriale ? Ou du côté de ceux qui, à l’approche possible de la prochaine offensive impérialiste russe, au moment précis où des rumeurs insistantes font état d’une tentative du directeur de la CIA, William Burns, de proposer un armistice sur la base de l’occupation de 20% du territoire ukrainien par la Russie, tentent d’instrumentaliser le premier anniversaire de l’invasion de toute l’Ukraine en appelant au « cessez-le-feu » ?

Le cessez-le-feu, c’est l’occupation, ce sont les déportations de population, les enlèvements d’enfants, la torture, les viols. Pour Poutine, c’est la base de départ pour continuer en vue de la destruction génocidaire de toute l’Ukraine. Tels sont les faits. La voie de la paix, c’est le combat pour le retrait des troupes russes de toute l’Ukraine. Cette voie passe par la guerre et les armes pour les Ukrainiens, le défaitisme pour saper et à terme chasser Poutine en Russie, la solidarité internationaliste dans le monde entier. L’union sacrée avec l’ordre impérialiste mondial, rebaptisé « monde multipolaire », c’est le mot-d’ordre de cessez-le-feu.

Nous voyons se mettre en place, dans le mouvement ouvrier français, l’offensive des partisans de l’union sacrée contre la résistance ukrainienne en vue de faire du premier anniversaire de l’invasion l’appel à la soumission des Ukrainiens, noyés sous les hypocrites larmes de crocodiles de « pacifistes » de guerre et d’union sacrée qui sont, au mieux, des naïfs, au pire des escrocs.

En francs-tireurs, ouvrant la voie aux bataillons staliniens et « pacifistes », le POI, le POID et LO. Ils appellent, dans les manifestations de défense des retraites contre Macron, à désarmer les Ukrainiens car leur armement ferait augmenter les dépenses militaires au détriment de l’hôpital public ou de l’école publique. Il faut le dire haut et fort : c’est un mensonge. L’aide à l’Ukraine, tous types d’aide confondus, ne représente qu’une somme infime au regard des sommes prévues par la loi de programmation militaire et par la relance macronienne de l’industrie nucléaire.

De véritables adversaires de Macron, de véritables internationalistes, doivent exiger l’annulation des crédits atomiques et nucléaires, le retrait des troupes françaises d’Afrique (leur présence néocoloniale fait d’ailleurs aujourd’hui le jeu de Poutine !), l’annulation des ventes d’armes à l’Arabie saoudite, à l’Inde ou aux Émirats Arabes Unis, et la fourniture gratuite d’armes à l’Ukraine dans la transparence et sous la surveillance démocratique des peuples.

En deuxième bataillon, voici les troupes de la FSM (Fédération Syndicale Mondiale bénie par Bachar el Assad et ayant Loukatchenko comme syndiqué), qui engagent une campagne de propagande diabolisant les Ukrainiens comme « nazis » en ressortant les infamies et les fakes diffusés depuis des années par la propagande de Poutine. Nous consacrerons la semaine prochaine, à l’occasion de la réunion publique qui se tiendra à Aubenas le 17 février, un dossier à cette liste de mythes, légendes et fakes autour du thème des « nazis ukrainien », qui constitue la fantasmagorie génocidaire du poutinisme et de ses alliés de l’ultra-droite mondiale.

Ces secteurs ont en outre impulsé une pétition, « oser la paix », appelant à « faire cesser toute livraison d’armes » c’est-à-dire militant pour désarmer les Ukrainiens, et demandant à « la France »« libérée de l’OTAN » de « faire entendre une voix de paix en Europe » : et ce chauvinisme néogaullien de seconde zone se targuerait de défier « l’union sacrée » ? !

Dans le rôle du gros des troupes, voici ensuite le PCF, le « Mouvement de la Paix » ou l’ARAC : les « pacifistes », visant à entraîner les unions et fédérations de la CGT tenues dans l’ignorance des positions confédérales nationales pourtant prises pour le retrait des troupes russes de toute l’Ukraine.

La main sur le cœur, ils vous jurent que Poutine est un homme très méchant et très coupable. Ils poursuivent en exhortant les Ukrainiens, ces pauvres Ukrainiens qui souffrent tant, à ne pas ajouter la guerre à la guerre, à accepter un cessez-le-feu. A se soumettre. Ils prétendent combattre la guerre par la soumission. Ils ouvrent la voie à la soumission et à la guerre.

Certains nous ressortent les « accords de Minsk » de toute façon dépassés et qui prévoyaient un veto pour les potiches de Poutine à l’intérieur de la constitution ukrainienne. Ils se font croire qu’ils ont affaire à une vaste et bruyante « propagande de guerre » et qu’ils seraient des sortes de résistants à tout ce bruit, alors qu’ils ne font que défendre la forme contemporaine de l’ordre, ou plutôt du désordre, impérialiste mondial : un monde « multipolaire », un monde capitaliste de partage et de repartage, où plusieurs impérialismes passeraient des « accords de paix » sur le dos des peuples. Les héritiers de ceux qui se sont ralliés à la guerre impérialiste en 1914, les voilà.

La connexion entre les « durs » dont le poutinisme se laisse bien voir dépassant sous le veston (POI, POID, LO, pour la honte de la référence « trotskyste », PRCF, FSM, pétition « osons la paix » …), et les « mous » qui commencent par vitupérer Poutine pour appeler ensuite au cessez-le-feu (le gros du PCF, l’ARAC, le Mouvement de la paix …), nous est donnée par une tribune du directeur de l’Humanité, Patrick le Hyaric, clamant dans un édito du 1° février qu’ « Il est urgent de sortir les drapeaux de la paix ». Et il détourne – c’est banal – cette phrase de Jaurès : « On ne fait pas la guerre pour se débarrasser de la guerre. » Car ce qu’il propose – le cessez-le-feu et même le retour aux « accords de Minsk », C’EST la guerre, c’est la continuation de l’occupation et de l’oppression. Jamais Jaurès n’a préconisé que les opprimés désarment et se soumettent.

Remarquons une chose. Les mêmes, en France, disent bien entendu soutenir la lame de fond qui exige le retrait de la contre-réforme de Macron visant les retraites. Mais que disent-ils sur la forme que doit prendre la lutte contre Macron ? Tous taisent ou s’opposent à la centralisation contre Macron, brandissant éventuellement le « durcissement », la « grève reconductible » voire la « grève totale », mais sans rien dire de quoi faire centralement contre l’exécutif. Le pompon revient à LO : « Ce n’est pas à l’Élysée, ce n’est pas à Matignon, ce n’est pas au Palais-Bourbon, que l’on obtiendra satisfaction » (article du 1er février 2023). Nous avons là une vision du monde, dans laquelle la lutte des classes en France ne vise pas à affronter, battre et finalement chasser l’exécutif, de même que la lutte des peuples dans le monde ne saurait viser à affronter, battre et finalement chasser Poutine. Union sacrée, reproduction de l’ordre existant – les défilés syndicaux dans la V° République, la « lutte pour la paix » dans le’ monde – tout cela est au fond cohérent …

Les militants lutte de classe et internationalistes qui la ressentiraient encore doivent se défaire d’une représentation fausse : non, il n’y a pas de « mouvement pour la paix », non, il n’y a pas de « mouvement anti-impérialiste » au sein duquel il faudrait mener débats et discussions éventuellement vigoureux. Il y a deux mouvements contraires, celui des internationalistes qui veulent des armes pour les Ukrainiens et celui des partisans de l’ordre impérialiste multipolaire. Il ne s’agit pas de confrontation au sein d’une même famille de pensée, mais de trajectoires opposées qui ne peuvent que se heurter de front. Certaines positions apparemment aberrantes – comme celle de Gilbert Achcar découvrant fin 2022 que ce serait bien si la Chine venait faire une médiation en Ukraine ! – découlent en fait de cette croyance, de cette fausse camaraderie maintenue avec des forces du monde d’avant – du monde d’avant le 24 février 2022. Inexorablement, les conséquences de la réalité seront tirées.

Mieux vaut les tirer en toute conscience : A bas l’union sacrée ! Des armes pour les Ukrainiens !

Le 06-02-2023.

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