dimanche 12 mars 2023
En se basant sur les différentes annonces de sociétés, BFM Bourse a recensé un total de 12,9 milliards d’euros de programmes de rachats d’actions annoncés, dont la part du lion revient à BNP Paribas avec 5 milliard d’euros dont un peu plus de 4 milliards d’euros sont liés à la cession de son ex-filiale américaine Bank of the West.
Un outil flexible
Il y a fort à parier que l’enveloppe totale des rachats d’actions soit plus élevées que la douzaine de milliards déjà annoncée pour 2023. TotalEnergies avait, l’an passé, annoncé 2 milliards de dollars de rachats d’actions en début d’année et a, trimestre après trimestre, augmenté ses opérations pour arriver à 7 milliards sur l’ensemble de 2022. Pour 2023, le groupe pétrolier compte réaliser 2 milliards de dollars au titre du seul premier trimestre 2023.
Pourquoi le CAC 40 utilise ce mode de retour à l’actionnaire? « Les résultats 2021 et 2022 des groupes du CAC 40 ont, pour de nombreuses raisons, été très bons. Ces sociétés sont ainsi en mesure de réaliser d’importants investissements tout en conservant des liquidités élevées. Or pour certaines entreprises les investissements sont contraints. Par exemple, et pour simplifier, LVMH n’a pas forcément intérêt à ouvrir une énième boutique à Saint-Tropez. D’où la question de savoir comment utiliser le cash et donc de le rendre aux actionnaires, puisque ce sont des sociétés qui ont très peu de dettes à rembourser », explique Pascal Quiry, co-auteur de la revue financière Vernimmen et professeur à HEC.
« L’autre raison expliquant ces rachats d’actions est liée à la conjoncture qui, en raison de l’inflation élevée, demeure très incertaine. Dans ce contexte, les entreprises évitent de trop augmenter le dividende car elles risqueraient de devoir le réduire au titre de 2023 ou 2024. Elles ont ainsi davantage recours aux rachats d’actions, car ils n’entraînent aucun engagement implicite de récurrence, contrairement à la progression du dividende. C’est donc un outil flexible de retour aux actionnaires », poursuit le spécialiste de la finance.
Une hausse récente des opérations de rachats d’actions en Europe
Cette tendance observée sur le début de 2023 confirme une année 2022 déjà dynamique en Europe. Selon un décompte tenu par BNP Paribas, les rachats d’actions en Europe par des entreprises ont quasiment doublé l’an passé, s’établissant en valeur nominale à 161 milliards d’euros dans contre 84 milliards en 2021. La banque s’est basée sur 425 « grandes capitalisations » en Europe dans onze pays.
Selon des chiffres plus larges de Bernstein, cités cette fois par le Financial Times, les rachats d’actions en Europe ont atteint en 2022 environ 350 milliards de dollars soit 2,4% de leur capitalisation boursière, un record, contre 835 milliards aux Etats-Unis pour 2,2% de la capitalisation.
Il convient de rappeler que plus le cours de Bourse est bas plus il est aisé de procéder à des rachats d’actions. Teleperformance avait d’ailleurs décidé de lancer un programme de 150 millions d’euros, après que son cours a plongé en novembre en raison d’une controverse sociale en Colombie. Or les actions européennes sont moins chères que les américaines, avec une décote en terme de multiples de bénéfices de 13% sur les 30 dernières années, et de plus de 20% plus récemment, selon Bernstein.
Les rachats d’actions, qui sont généralement suivis d’annulations de titres, permettent d’entraîner une relution pour les actionnaires puisque toutes choses égales par ailleurs, ils augmentent le bénéfice par action.
A l’instar des dividendes, dans la pure théorie financière, les rachats d’actions n’enrichissent néanmoins pas les actionnaires puisque la société ne fait en réalité que redistribuer des liquidités qu’elle possède déjà. Néanmoins, comme le notait une étude de McKinsey de 2005, les rachats d’actions sont souvent bien reçus par le marché car ils envoient un signal de confiance de la part des entreprises, notamment parce que la direction de l’entreprise peut juger que le cours de la société est déprécié et/ou qu’elle a suffisamment de cash pour assurer son fonctionnement et ses opérations.
Un ruissellement vers les start-up
Parfois, des critiques fusent – comme, fut un temps, celles du directeur général de BlackRock Larry Fink – sur l’utilisation des rachats d’actions car ils peuvent se faire au détriment d’autres opérations tels que des investissements et des fusions-acquisitions créatrices de valeur. Mais le pendant inverse est que, justement, le marché peut préférer ces rachats à des investissements hasardeux ou des opérations de croissance externe trop risquées.
« La pertinence des rachats d’actions dépend des alternatives. Garder le cash en banque ne sert à rien quand on a peu de dettes à rembourser. Et il ne faut pas non plus surinvestir, ce n’est pas ce qu’on demande aux dirigeants du CAC 40, qui peuvent très bien réaliser efficacement des investissements en conservant d’importantes liquidités », explique Pascal Quiry.
« Les rachats d’actions peuvent donc être employés, permettant aux actionnaires de trouver de nouvelles opportunités d’investissements. C’est un outil de réallocation du capital », fait-il valoir. « Par exemple les financements de start-up en 2022 ont atteint des records et ces financements proviennent, en partie, des dividendes et des rachats d’actions mis en place par des groupes du CAC 40« , ajoute le professeur.
Dans sa dernière lettre aux actionnaires de sa société Berkshire Hathaway, le célèbre investisseur Warren Buffett avait ardemment défendu les rachats d’actions. Pour lui des rachats de titres bien exécutés bénéficient « à tous les actionnaires sur tous les plans ».
« Quand on vous dit que tous les rachats d’actions sont nuisibles aux actionnaires ou au pays, ou encore particulièrement bénéfiques pour les patrons, vous écoutez soit un analphabète économique, soit un démagogue à la langue bien pendue », poursuivait le milliardaire. Ce qui semble représenter un pied de nez au président américain, Joe Biden, et à son administration, très critiques des rachats d’actions.
Le rachat d’actions est un investissement sur le futur, pour contenir les revendications sociales par une inflation soupape de sécurité (https://www.adam-salamon-philosophe.fr/inflation.html)
Quand elles rachètent leurs propres actions, les entreprises détruisent temporairement du capital. Ainsi, l’investissement productif ne l’étant pas assez (baisse tendancielle du taux de profit), ces mêmes entreprises solliciteront demain des gouvernements des incitations à l’investissement, tenant dans une nasse les revendications, à plus d’égalité, du peuple.
Notre monde actuel, avec sa logique productiviste, ne peut survivre qu’en détruisant massivement la valeur des immobilisations existantes. Nos « vieux » avaient pour habitude d’évoquer une « bonne guerre » pour remettre le train productif sur les rails ! Aujourd’hui, en raison de la financiarisation, ce sont des actifs financiers qu’il faudrait détruire (dépréciation d’actifs, titres de participation, titres immobilisés, prêts accordés, etc.).
Comme le monétarisme est devenu le mode de pensée dominant des banques centrales du monde, l’autre solution ou complémentaire est le recours à l’inflation, par un programme d’assouplissement quantitatif (acronyme anglais « QE »). C’est le programme envisagé et appliqué par la BCE (Banque Centrale Européenne), imitant la FED. (Pour les monétaristes comme Friedman et Schwartz, la Grande Dépression des années 1930 aurait été exacerbée par le défaut de la Federal Reserve à créer de la monnaie pour l’injecter dans l’économie) Il participera à la destruction d’actifs tout en résorbant partiellement les dettes nationales. Le QE crée de la monnaie (sous forme de crédit) pour acheter des actifs, leurs propres actions, aux acteurs des marchés financiers. Ces derniers vendent ces actifs et reçoivent en face du cash, donc de la liquidité.
À défaut d’un tel programme ou de façon complémentaire, les ultralibéraux appliqueront la politique du pélican dans le désert : la chasse à ces mêmes dettes, fussent-elles illégitimes !