Comme une odeur de fascisme dans la police…

#POLICE #VIOLENCE #RACISME Dans un enregistrement sonore d’une vingtaine de minutes que Loopsider s’est procuré, plusieurs policiers des Brav-M menacent et intimident sept jeunes gens interpellés. Nous sommes lundi 20 mars vers 23h, dans le 3e arrondissement de Paris, après une manifestation contre la réforme des retraites. On y entend des propos racistes, sexistes, et des menaces. Voici une partie de ce document édifiant, contraire à la déontologie policière.

« La prochaine fois, tu montes en ambulance » : l’enregistrement qui prouve la violence et le racisme des BRAV

Deux jeunes interpellés dans le IIIe arrondissement de Paris lundi soir dénoncent auprès de Mediapart les insultes, menaces et coups infligés par des policiers à moto de la BRAV-M. Un enregistrement et un troisième témoignage accablent cet équipage.

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Des insultes, des menaces, et des coups. Dans un enregistrement d’une vingtaine de minutes que publie Mediapart – document que se sont aussi procuré Loopsider et Le Monde –, on entend des policiers de la BRAV-M (brigade de répression de l’action violente motorisée) se défouler contre six jeunes qu’ils viennent tout juste d’interpeller, à Paris.

Les faits ont lieu lundi 20 mars, près de la place de la Bastille, rue de Béarn, dans le IIIarrondissement. En réponse à l’utilisation du 49-3 pour faire passer la réforme des retraites, on assiste à de nombreuses mobilisations dans toute la France et plusieurs manifestations « sauvages » ont lieu dans la capitale. Vers 23 heures, Miguel, 21 ans, croise les policiers de la BRAV-M.

Ce cuisinier philippin, en France depuis deux ans, venait faire quelques photos. « Je suis photographe amateur, alors je suivais le mouvement pour prendre quelques images », témoigne-t-il à Mediapart, photo à l’appui.

L’équipage de la BRAV-M le cible et l’interpelle. « Je n’ai pas couru, ils m’ont mis avec d’autres jeunes interpellés que je ne connaissais pas et m’ont accusé d’avoir commis des violences. J’ai dit que c’était faux, mais ils n’ont pas voulu me croire, dénonce le jeune homme. Ils étaient méchants et s’en prenaient surtout au Noir qui était à côté de moi. Ils l’ont giflé juste parce qu’il avait souri », ajoute-t-il.

Souleymane, 23 ans, originaire du Tchad, fait en effet partie des interpellés. Cet étudiant en BTS et salarié dans la restauration à côté de ses études, accompagnait des collègues manifester. Alors qu’il souhaite rentrer chez lui, il croise l’équipage et, « par peur », prend immédiatement la fuite. « Ils m’ont rattrapé puis ils m’ont frappé au niveau des mains et des jambes, avant de m’arrêter. » 

Comme cinq autres jeunes, Souleymane est menotté puis mis au sol sur le trottoir. L’un des agents « était plus virulent que les autres ». Dans l’enregistrement sonore, l’un des policiers menace l’un des jeunes : « Si tu veux, je te prends tout seul. » Puis, il s’attarde sur Souleymane et lui demande d’« effacer son sourire », avant de lui infliger deux claques.

Ils connaissent maintenant mon quartier, j’ai peur de les recroiser.

Souleymane

Pendant toute la durée de l’interpellation, les agents se vantent de commettre des violences et menacent : « T’as tellement de chance d’être assis là, maintenant qu’on t’a interpellé, je te jure, je te pétais les jambes, au sens propre… Je peux te dire qu’on en a cassé, des coudes et des gueules […], mais toi, je t’aurais bien pété tes jambes. »

« Comme je ne suis pas français, et que j’ai un titre de séjour, il se moquait souvent de moi et me faisait croire que j’allais repartir dans mon pays », dénonce Souleymane. « Tu vas être placé en garde à vue et demain t’as une OQTF [obligation de quitter le territoire – ndlr], donc c’est fini », lâche en effet un policier. Ses collègues se moquent et rient : « Il va repartir au Tchad […]. Ah, excellent […]. Aïe aïe aïe… », peut-on entendre.

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Image de l’interpellation de Souleymane, Miguel et Salomé, lundi 20 mars à Paris. © DR

« Il a aussi menacé de me retrouver pour me taper », raconte Souleymane. En lisant son titre de séjour, les policiers mémorisent en effet son adresse et le menacent de manière plus précise. « Il habite à Saint-Denis ? On y va mercredi, à Saint-Denis, en sécu, donc on va le retrouver », lance un agent.

« J’ai eu très peur car ils disaient vouloir me retrouver et ils lisaient mon adresse. Ils connaissent maintenant mon quartier, j’ai peur de les recroiser », craint le jeune homme. À plusieurs reprises, en effet, les policiers annoncent vouloir le retrouver : « T’inquiète, ta petite tête, on l’a déjà en photo. T’as juste à te repointer dans la rue aux prochaines manifs et je peux te dire que les têtes, on est vachement physio, on les retient. Et t’inquiète pas que la prochaine fois qu’on revient, tu monteras pas dans le car pour aller au commissariat, tu vas monter dans un autre truc qu’on appelle ambulance pour aller à l’hôpital. » 

Les jeunes ont ensuite rejoint un bus avec une cinquantaine de jeunes interpellés et ont été ventilés dans plusieurs commissariats d’Île-de-France : à Bobigny, Saint-Denis et Nanterre. Comme les cinq autres, Miguel a passé la nuit dans une cellule : « C’était difficile, je n’avais pas le droit d’aller aux toilettes et la couverture qu’ils m’ont donnée était mouillée », raconte-t-il. Ce n’est qu’à 11 heures qu’il dit avoir été auditionné puis relâché sans aucune poursuite. « Le policier a regardé les photos de mon appareil et a constaté que je disais la vérité. » Souleymane aussi est finalement libre à midi, sans être poursuivi.

Un policier lui a dit : “Toi, tu vas vite reprendre un avion.” Il parlait aussi de son pénis et de ses couilles de Noir.

Salomé, interpellée avec Souleymane

Sur Twitter, une autre personne interpellée a livré son témoignage. « Chacun y passe, mais sur toute l’équipe, c’est le seul jeune noir qui est pris à partie. On fait des allusions à son pénis, on lui dit que son prochain trajet sera l’avion, on le cogne contre le mur, écrit-elle. Quand je dis que je m’appelle Salomé, il y en a un qui répète : “Ha ha, écoutez ça, les gars, elle s’appelle Salomé, ça va nous causer des ennuis ça.” »

Sollicité par Mediapart, une source judiciaire précise en effet « ne pas retrouver de trace de leur défèrement ». Également interrogés sur le contenu de l’enregistrement, la préfecture de police de Paris et le ministère de l’intérieur ont annoncé que le préfet Laurent Nuñez, qui se dit « très choqué », avait « décidé de saisir l’IGPN ».

Avant cela, le ministre Gérald Darmanin avait admis qu’il « se peut que, individuellement, les policiers et les gendarmes, souvent sous le coup de la fatigue, commettent des actes qui ne sont pas conformes à ce qu’on leur a appris à l’entraînement et à la déontologie », appelant « dans ces cas-là [à] les sanctionner »« Il y a eu onze enquêtes de l’Inspection générale de la police nationale sous l’autorité des magistrats qui ont été ouvertes depuis une semaine », précisait alors le ministre de l’intérieur.

Pour l’heure, les deux jeunes hommes ne souhaitent pas porter plainte. « Je ne veux pas avoir de problème », lâche Souleymane. Auprès de Mediapart, Salomé annonce, de son côté, qu’elle va porter plainte et confirme par ailleurs le « comportement totalement raciste » des policiers. « Avant même qu’ils ne sachent que Souleymane avait un titre de séjour, un policier lui a dit : “Toi, tu vas vite reprendre un avion.” Il parlait aussi de son pénis et de ses couilles de Noir. »

Les organisations des droits de l’homme alertent

Les révélations sur le comportement de la BRAV-M à Paris s’inscrivent dans un contexte d’intensification de la répression contre le mouvement social, alors que les actions de blocage ou manifestations se multiplient, chaque jour, dans de nombreuses villes.

Ce vendredi 24 mars, la Ligue des droits de l’homme (LDH) et la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) ont ainsi dénoncé, dans un communiqué commun, les « brutalités particulièrement choquantes » commises contre les manifestant·es ces derniers jours. Les deux organisations contestent aussi les placements en garde à vue de personnes « retenues plusieurs heures au commissariat puis relâchées sans aucune poursuite ».

Sur les 442 placements en garde à vue lors des manifestations qui se sont tenues entre le mercredi 15 et le samedi 18 mars, seul·es 52 manifestant·es, soit 12 % du tout, ont finalement été déféré·es devant la justice. Et encore, pour des motifs souvent légers, comme l’a constaté Mediapart en assistant aux audiences de comparutions immédiates (lire ici).

La FIDH rappelle ainsi, dans son communiqué, que les États sont les « garants des libertés publiques, y compris de la liberté de manifester pacifiquement, d’exprimer son opinion et de faire grève ». Ce vendredi, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, s’est aussi alarmée d’un « usage excessif de la force » et a appelé la France à respecter le droit de manifester.

À Paris, l’organisation depuis une semaine de nouveaux formats de manifestations dites « sauvages » (lire ici), a déstabilisé les forces de l’ordre, qui courent derrière les protestataires et procèdent à des interpellations massives. Mediapart a ainsi raconté l’histoire d’Alicia*, une artiste qui, comme Miguel et Souleymane, a elle aussi été arrêtée lundi soir et placée en garde à vue pour « participation à un groupement en vue de commettre des actes de violence et de dégradation », alors qu’elle sortait de son cours de sport. La jeune femme a finalement été relâchée, sans charge, « à 12 h 40 » le lendemain, après avoir passé la nuit au poste.

Des insultes de la part des forces de l’ordre

Dans son témoignage, Alicia raconte avoir été interpellée avec d’autres personnes : trois copains sortis boire un coup, et même le serveur d’un café du quartier.

L’enregistrement prouvant les menaces à caractère raciste proférées par les policiers de la BRAV-M lundi dernier mettent également le doigt sur les insultes proférées par les forces de l’ordre, un phénomène régulièrement dénoncé par les manifestant·es, mais rarement documenté.

Victime d’un coup de matraque sur la tête alors qu’il ne représentait pas de danger, comme le montre une vidéo largement relayée sur les réseaux sociaux, Adam Browne, 21 ans, a ainsi raconté à Mediapart avoir été ensuite intimidé par des CRS, alors qu’il avait la tête en sang.

« Alors que je cherchais un ami, un CRS m’a dit : “Cassez-vous, restez pas là.” Et puis : “T’en veux un deuxième [coup sur la tête], c’est ça ? », raconte l’étudiant, qui a également témoigné dans les colonnes de Liberation. Adam Browne, qui se dit encore choqué et envisage de porter plainte pour le coup reçu, ajoute : « Je pleurais, j’ai demandé si cela les amusait de nous traiter comme ça. Le même CRS a répondu : “Oui, cela nous amuse grave.” »

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