Près de Saint-Soline, dans les Deux-Sèvres, le 25 mars 2023. – © Caroline Delboy / Reporterre
Plus de 30 000 personnes ont manifesté le 25 mars contre les mégabassines dans les Deux-Sèvres. Une mobilisation historique dont la répression policière a fait de nombreux blessés.
Sainte-Soline (Deux-Sèvres), reportage
Perdue au milieu de l’interminable plaine céréalière du marais poitevin, la mégabassine de Sainte-Soline (Deux-Sèvres) fait figure de citadelle assiégée. De hauts talus de terre glaise servent de chemin de ronde aux forces de l’État. Plusieurs hélicoptères quadrillent le ciel, recouvrant le gazouillis des oiseaux. Des dizaines de camions de la gendarmerie encerclent l’ouvrage agricole. Le canon à eau est prêt. 3 200 gendarmes et policiers font barrage aux manifestants.
« Tout ça pour un trou », grince une militante. Face à un tel dispositif, une foule immense et impressionnante : 30 000 personnes venues dénoncer la construction de cette mégabassine et l’accaparement de l’eau au profit d’une agriculture industrielle.
- 30 000 personnes ont manifesté contre la mégabassine de Sainte-Soline. © Caroline Delboy / Reporterre
Les plus motivés d’entre eux — 4 000 personnes selon les organisateurs — ont dormi à six kilomètres d’ici, dans un pré du village de Vanzay. La pluie, tombée abondamment pendant la nuit, a transformé leur campement en une mer de boue, sans entamer leur détermination. Dès dix heures du matin, les premiers groupes se sont élancés à travers les champs, répartis en trois cortèges : l’outarde rose, la loutre jaune et l’anguille turquoise.
« C’est un jeu : on verra ceux qui arrivent en premier à la bassine », sourit une militante en distribuant des plans et des tracts d’information. Sainte-Soline est l’une des seize retenues d’eau qui doivent être construites sur le territoire de la Sèvre niortaise. Une mobilisation d’ampleur avait déjà été organisée sur le même site en octobre 2022. Cette fois encore, la manifestation a été interdite.
- Plusieurs kilomètres séparent la bassine de Sainte-Soline du camp de Vanzay, où s’étaient installé les militants. © Caroline Delboy / Reporterre
« Les personnes qui souhaitent se rendre sur ce rassemblement interdit, se mettent dans une situation qui est une infraction pénale. Je leur déconseille de venir », avait déclaré Emmanuelle Dubée, la préfète des Deux-Sèvres.
Cette intimidation n’a pas eu l’effet escompté. « Je suis venue ici car la dernière manifestation m’a mise en colère. Le fait de traiter les gens d’écoterroristes ainsi que la répression ne m’a pas découragé, bien au contraire », dit Hélène, une militante de Greenpeace. Dans le cortège également, de nombreux élus de la France insoumise, du NPA et d’EELV.
« Lorsqu’on déploie 3 200 gendarmes, cela ne peut que mal se passer »
« Ça serait une faute politique de ne pas être ici. D’autant que plus le dispositif sécuritaire est important, plus cela fait venir des gens qui cherchent les affrontements. Lorsqu’on déploie 3 200 gendarmes, cela ne peut que mal se passer », assure Marine Tondelier, la patronne des Verts.
- Les gendarmes ont tiré plus de 4 000 grenades sur les manifestants. © Caroline Delboy / Reporterre
Il est 12 h 30 lorsque les premières détonations retentissent. Aux feux d’artifices et jets de pierres des militants, les gendarmes répondent par des milliers de grenades lacrymogènes et de désencerclement. Le bruit est assourdissant. « J’ai compté 45 tirs à la minute », souffle un militant. Une partie du cortège est noyé dans un nuage blanc mélangé à la fumée noire de plusieurs véhicules de gendarmes incendiés.
Pronostics vitaux engagés
Les cris de « médics » retentissent de toutes parts. Près de 200 personnes ont été blessées selon les organisateurs. Parmi elles, 40 gravement, dont trois avec un pronostic vital engagé. En face, 24 gendarmes ont été blessés, dont un a été hélitreuillé. Des observateurs de la Ligue des droits de l’Homme ont constaté « l’entrave par les forces de l’ordre à l’intervention des secours pour une situation d’urgence absolue », pendant plusieurs dizaines de minutes.
- Climat, retraites, autoritarisme d’État… Pour les manifestants, les liens sont évidents. © Caroline Delboy / Reporterre
En plus de l’opposition à l’agriculture industrielle et à son addiction à l’irrigation, beaucoup de manifestants exprimaient un ras-le-bol général face à l’autoritarisme du gouvernement. Boby [*], 73 ans, dresse un parallèle avec le Larzac, où il a milité lorsqu’il avait 18 ans : « Au Larzac, l’état voulait imposer ses règles, sans tenir compte de l’avis de la population. C’est la même chose ici. Tout comme à Notre-Dame-des-Landes. »
D’autres relient la manifestation avec les mobilisations contre la réforme des retraites comme Reno [*], 47 ans, instituteur à Nantes. « Pour moi, le lien avec la lutte écologique est évident. On avance dans une impasse et il faudrait remettre en question tout notre modèle de société. De notre rapport au travail à nos priorités dans la vie », explique-t-il, brandissant un drapeau avec l’âge « 64 ans » barré.
- Reno fait le lien entre la lutte écologiste et celle menée contre la réforme des retraites. Toutes les deux sont violemment réprimées. © Caroline Delboy / Reporterre
Certains sont venus avec leurs enfants et restent bien à l’écart des affrontements. « C’était étrange car en même temps que les camions des gendarmes brûlaient, des gens jouaient de la trompette et d’autres pique-niquaient dans l’herbe », raconte une maman. Tout en restant sur leurs gardes, celles et ceux qui restent loin de la bassine discutent ou chantent des slogans.
« Le sabotage permet de faire traîner les chantiers »
« Bassine, serre les fesses, on arrive à toute vitesse », scande Louison [*] venue avec sa sœur et son compagnon. « Tôt ou tard, des directives européennes vont rendre ces bassines illégales. Mais cela va prendre du temps. En attendant, le sabotage permet de faire traîner les chantiers. Moi je n’en fais pas. Mais je suis là pour permettre aux gens courageux de faire ces actes », explique-t-elle. La rumeur raconte que certains auraient réussi à pénétrer dans la bassine. La mise hors service d’une pompe d’irrigation et d’une canalisation ont été revendiqués comme une victoire par les militants.
- L’un des tuyaux du système d’irrigation de la bassine a été endommagé par les militants. © Laury-Anne Cholez / Reporterre
Au bout de deux heures d’affrontements, c’est l’accalmie. Les gens s’assoient par terre pour reprendre des forces, manger un morceau. Certains piquent un somme tandis que d’autres aimeraient déjà repartir à l’offensive. Mais les médics manquent de matériel pour soigner les blessés, que l’organisation peine à évacuer. Le repli est annoncé. La foule fait demi-tour et repart pour six kilomètres à pied.
Quelques militants sont un peu déçus : ils se voyaient déjà envahir le cratère et avaient même emmené des bouées géantes pour barboter dans l’eau croupie. « Il y avait encore de la motivation et l’énergie pour recommencer, c’est un peu dommage de s’arrêter là », déplore Samuel, venu de la Drôme pour l’évènement.
- Les bouées emmenées par les militants n’auront pas réussi à pénétrer l’intérieur de la bassine. © Caroline Delboy / Reporterre
Cette mobilisation est pourtant loin d’être un échec, au contraire : « Je comprends la frustration car certains auraient aimé envahir la zone rouge, pour le symbole », explique Pierre, un militant parisien. « Mais c’est un moment historique : jamais une lutte pour l’eau n’avait rassemblé autant de personnes. »
Pour mieux comprendre le chemin accompli, il propose de regarder dans le rétroviseur. En septembre 2021, la manifestation contre la bassine de Mauzé-sur-le-Mignon avait rassemblé un petit millier de personnes.
Dix-huit mois plus tard, le combat a changé d’échelle et les bassines sont devenues un sujet d’intérêt national majeur. « J’espère que cette journée permettra de mettre en œuvre un rapport de force suffisant en vue d’une victoire politique contre ces projets », conclut Pierre.
- Des concerts, assemblées et projections ont eu lieu après cette éprouvante journée. © Caroline Delboy / Reporterre
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