INTENSIFICATION DES TENSIONS

Les violences d’une police devenue folle à Sainte-Soline sont ahurissantes avec, à l’heure où nous écrivons, 200 blessés, au moins des dizaines de manifestants gravement blessés, 1 dans le coma au pronostic vital engagé, 2 au pronostic fonctionnel engagé, 40 avec des fractures ouvertes et des plaies profondes, 10 hospitalisés, des policiers qui refusaient l’accès aux véhicules d’urgence, qui tiraient dans les blessés et énormément de tirs de grenades et de lacrymos au niveau de la tête … alors qu’il ne s’agissait que de garder un trou.
Ces violences s’additionnent dans le même temps à l’œil perdu d’un cheminot, à celles sans limites déchaînées contre les jeunes qui manifestent chaque soir depuis le 16 mars. Elles s’ajoutent encore au même moment aux réquisitions violentes de raffineurs et d’éboueurs que des policiers vont chercher jusque chez eux. Elles s’adjoignent enfin, toujours dans ces derniers jours, aux déblocages agressifs de piquets de grève pour dessiner un pays où, parce qu’il panique, le gouvernement devient fou, au point où la violence de sa police est condamnée par le Conseil de l’Europe.
Il panique parce que le contrôle de la situation pourrait bien lui échapper dans les jours qui viennent.
En effet, l’intensification des événements de ces derniers jours accélère le rythme de la crise politique et sociale et ne laisse que peu de temps au gouvernement avant qu’il ne soit dépassé par l’entrée du mouvement dans une quatrième étape, celle de la grève générale politique.
Dans les trois premières étapes, le mouvement a d’abord suivi en masse l’intersyndicale nationale à partir du 19 janvier dans ses journées d’action tout en la poussant à exiger le retrait de la réforme et non son aménagement.
Puis à partir du 7 mars il est entré dans une grève reconductible de plusieurs secteurs professionnels structurants ou visibles de l’économie.
A partir du 16 mars, il s’est enfin autonomisé de l’intersyndicale lorsque celle-ci a proposé une journée d’action trop éloignée qui sautait par dessus les événements, le 49.3 et les 9 voix de la motion de censure, alors que le mouvement voulait justement crier sa rage contre cela avec en même temps la conscience que c’étaient des aveux de faiblesse du gouvernement et qu’il fallait en profiter.
Le mouvement s’est alors pris en main lui-même au travers des manifestations politiques « sauvages » de la jeunesse tous les soirs dans plusieurs grandes villes donnant une expression visible au sentiment populaire qui émergeait contre Macron et son déni de démocratie.
En même temps le mouvement social se radicalisait dans ses actions de grève et de blocage pour exprimer ce même sentiment tout à la fois politique et radical.
Cette tendance du mouvement trouva son apogée dans la journée du 23 mars.
Elle fut d’une ampleur inégalée alors que le gouvernement espérait que la résignation l’emporterait sur la colère une fois la loi passée. Elle montra aussi une détermination accrue et une orientation politique plus marquée avec bien des manifestants et des grévistes qui ont visé des bâtiments du pouvoir ce jour-là.
Enfin, elle a ouvert une porte vers une quatrième étape du mouvement parce que pour la première fois, la jeunesse apparaissait en nombre dans les manifestations et que le nombre de lycées et universités en grève et occupés augmentait significativement avec 400 lycées et 80 université bloqués ou occupés.
Tout cela donnait à cette journée à la fois une tonalité de joie et de force. Et bien des manifestants se retrouvaient dans la réponse de nombreux jeunes au 49.3 : « nous aussi on va passer en force ».
C’était une réponse politique directe du mouvement à l’attitude autoritaire du gouvernement par dessus la mièvrerie des réponses de l’intersyndicale par ses sempiternelles journées saute-moutons. Pour les jeunes, parce qu’ils entrent seulement dans le mouvement, il ne fait que commencer, tout entier devant eux.
C’est cela qui met le gouvernement en panique et accentue sa violence ces jours-ci parce que c’est cela qui peut faire entrer le mouvement dans une quatrième étape, celle où l’énergie de la jeunesse féconde la force du prolétariat, en totale indépendance des tactiques inefficaces de l’intersyndicale.
Mais cette convergence a été retardée de quelque jours car cette journée du 23 ne fut pas mise au crédit de l’autonomisation du mouvement à laquelle elle devait pourtant ses caractéristiques et sa force.
En effet, l’intersyndicale sentant le danger et craignant que l’énergie déployée par la jeunesse et les éléments ouvriers les plus déterminés ne se transforme en volonté de prendre en main le mouvement, s’est dépêchée d’appeler aussitôt à une nouvelle journée d’action rapprochée le 28 mars reprenant ainsi un instant l’initiative et canalisant encore pour quelques jours le mouvement dans les bornes de ses journées saute-moutons surannées.
Mais ce ne peut être que momentané, pour quelques jours, car l’intersyndicale l’a avoué, elle n’a rien d’autre à proposer pour l’après 28 sinon l’espoir que le conseil constitutionnel invalide la réforme dans le mois, un vague référendum dans 15 mois si le Conseil Constitutionnel et le Parlement le veulent bien ou, avec Laurent Berger, l’amorce d’une reddition, une pause de six mois puis une lointaine montée nationale à Paris comme baroud d’honneur.
Ces non perspectives comme une nouvelle journée saute mouton ne satisferont pas la jeunesse si elle s’investit massivement dans cette journée du 28. Elles ne satisferont pas non plus les nombreux militants ouvriers en grève reconductible depuis une, deux ou trois semaines de grève. C’est dire que le cadre de l’intersyndicale risquant de perdre toute autorité après le 28, beaucoup va se jouer d’ici là et peu après.
A cela s’ajoute le congrès de la CGT ce week-end qui pourrait donner un signal d’encouragement fort aux militants les plus radicaux si la candidate officielle n’était pas élue, ce qui est possible. En tous cas, la menace en est bien réelle.
C’est tout cela qui rend Macron si fébrile et inquiet et lui a fait reporter la visite de Charles III et annuler sa propre présence au Stade de France montrant sa peur du mouvement.
C’est aussi cela qui lui fait accélérer et accentuer au delà de l’acceptable la pression policière pour tenter d’éviter que la pénurie de kérosène ne cloue ces prochains jours les avions au sol, que la pénurie de gaz ne fasse fermer des entreprises, que la pénurie d’essence paralyse toute l’économie, que les tonnes d’ordures ne rendent visible son impuissance aux yeux de tous et ne soient un encouragement à continuer et durcir la lutte
C’est pour cela qu’il a fait cogner sa police de manière inimaginable à Sainte-Soline. Il ne veut pas perdre un peu plus la face, c’est-à-dire aujourd’hui perdre le peu d’autorité qui lui reste face au mouvement social qui menace son pouvoir.
Il lui faut faire vite, faire tourner des raffineries, qu’il y ait de l’essence dans les stations, que les trains roulent, les avions volent, que les éboueurs reprennent le travail, suffisamment en tous cas pour que beaucoup de travailleurs aient le sentiment que le mouvement décline et qu’ils se découragent avant le 28 et susciter dans les rangs ouvriers le sentiment qu’on n’y arrivera pas.
Mais Macron joue gros car un excès de violence alors que le mouvement continue à monter – le nombre et la détermination le 23 en étaient l’expression – et qu’on est tout prêt de le faire craquer, peut au contraire susciter encore plus de colère et révolte.
Les violences contre les jeunes ces derniers soirs ont entraîné la mobilisation des étudiants et des lycéens le 23 mars. Les réquisitions à Fos-Sur-Mer ont provoqué la grève des remorqueurs du port. Celles à la raffinerie de Normandie, l’entrée en grève dans l’usine d’en face. Les cheminots annoncent déjà une journée noire le 28 en soutien à leur camarade éborgné. Les écologistes et la population dans son ensemble pourraient en faire une énorme mobilisation contre les violences à Sainte-Soline, contre la police en général et pour en finir avec le régime de Macron. Ça a été le processus qui a mené à mai 68.
Beaucoup va se jouer dans les jours qui viennent. Nous sommes à deux doigts d’engager un processus inarrêtable qui mettra à genoux Macron, l’économie capitaliste et imposera un autre modèle de société, débarrassée de l’exploitation de l’homme par l’homme. Ne lâchons rien, on va tout reprendre.
Jacques Chastaing, le 26 mars 2023
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