Après l’article de «Libération» sur le sujet, le chef de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale enjoint les officiers à relever les manquements des personnels affichant la ligne bleue, un symbole utilisé par l’extrême droite américaine.
par Ismaël Halissat et Fabien Leboucq
Un appel à la «vigilance» et à d’éventuelles sanctions. Le général Alain Pidoux, à la tête de l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), a envoyé mercredi un message enjoignant la hiérarchie à être attentive à l’utilisation par leurs troupes de la thin blue line (fine ligne bleue). Ce symbole corporatiste venu des Etats-Unis est censé représenter le rôle des forces de l’ordre dans la société : une barrière bleue entre les citoyens et les délinquants et, donc, entre le bien et le mal. L’extrême droite américaine en a fait un emblème depuis des années. Et ce signe est apparu récemment sur de nombreux uniformes des forces de l’ordre en France, comme le racontait Libération dans un article récent. C’est après cette publication que le général Alain Pidoux s’est adressé, par écrit, aux encadrants de la gendarmerie.
«En février 2021, j’avais été amené, en qualité de référent déontologue, à émettre un avis sur le port, sur les tenues de service, de l’emblème du mouvement “the thin blue line”, écrit le patron de l’IGGN dans un message également rapporté par l’Essor de la gendarmerie. J’attire aujourd’hui votre attention sur le fait que cet avis demeure totalement d’actualité, et qu’il n’est pas inutile de faire les rappels nécessaires et, éventuellement, de relever les manquements consécutifs à la fois au port d’un insigne non réglementaire sur la tenue, mais aussi à la violation du devoir de réserve et de neutralité.»
Sens politique
Le général Alain Pidoux se réfère à l’avis qu’il avait rendu il y a un peu plus de deux ans. En février 2021, il s’était prononcé sur le cas d’«un gendarme mobile qui arbore sur son gilet pare-balles un scratch dorsal représentant l’emblème thin blue line». Le déontologue écrivait qu’il «n’est pas prévu [que les gendarmes] puissent acheter puis porter des équipements non agréés et non réglementaires auprès de fournisseurs ou site internet privés». Comme celui de Thin Blue Line France, cité par l’avis.
Ce dernier était accompagné d’un «dossier illustratif», composé de plusieurs photos montrant des gendarmes arborant la ligne bleue, et publiées sur les réseaux sociaux par Thin Blue Line France. Cet avis n’a pas empêché l’entreprise, dirigée par la femme d’un gendarme, de continuer à publier en ligne de nombreux clichés de personnels de la gendarmerie s’affichant en tenue avec le symbole au cours des deux dernières années. La responsable de l’entreprise avait précédemment répondu à Libération avoir bien «pris connaissance» de cet avis de 2021, et disait comprendre «la volonté de la gendarmerie de protéger l’institution afin d’éviter toute récupération possible», tout en niant le sens politique de ce symbole.
«Pas réglementaire»
Le déontologue rappelait dans son avis que ce symbole avait été récupéré aux Etats-Unis par Blue Lives Matter, mouvement d’opposition à celui, antiraciste, Black Lives Matter. Le général Alain Pidoux ajoutait que la ligne bleue était arborée «par des émeutiers lors de l’envahissement du Capitole à Washington, le 6 janvier 2021», en soutien à Donald Trump. Parce que «l’équipement en cause est susceptible d’être assimilé à une mouvance politique», le déontologue enjoignait à «faire retirer [au gendarme] cet emblème qui, en tout état de cause, n’est pas réglementaire».
Contactée lors de la rédaction du précédent article de Libération sur le sujet, la direction générale de la police nationale considérait, en substance, qu’un rappel équivalent à celui des gendarmes n’était pas nécessaire : «Sans qu’il n’y ait besoin d’une prise de position d’un institutionnel, le règlement général d’emploi de la police nationale prohibe le port, sur la tenue d’uniforme, de tout élément, signe ou insigne en rapport avec l’appartenance à une organisation politique, syndicale, confessionnelle ou associative.» Une règle qui n’avait pourtant pas empêché de nombreux policiers à s’afficher avec la thin blue line sur leur uniforme.
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