Le mouvement actuel est totalement inédit.
Insensiblement, il s’inscrit dans la durée et la montée en puissance prenant peu à peu un caractère global. On craint que le mouvement ne s’essouffle, mais non, il repart, se saisit de toutes les occasions pour continuer et ouvrir de nouveaux fronts, intégrant d’autres moyens d’actions, d’autres colères et d’autres couches sociales, toujours soutenu par une forte majorité de la population et des travailleurs. Il ajoute à la revendication encore défensive de ne pas reculer sur les retraites, des revendications inattendues, la défense de la démocratie contre le 49.3 avec l’entrée en lutte de la jeunesse puis la dénonciation des violences policières à Sainte Soline et ailleurs, s’élargissant à l’occasion à la question environnementale de l’eau, tandis que les jeunes entrés en mouvement y agrègent le rejet de Pacoursup ou du nouveau bac, que les éboueurs et dockers en grèves reconductibles intègrent leurs revendications de salaires, ou en plus offensif avec les électriciens et gaziers l’élargissement de leur régime spécial de retraite à toute la population ou encore que toutes les énergies de l’électricité à l’eau échappent à la marchandisation et deviennent des biens communs. L’émergence de ce foisonnement offensif cherche à donner une expression à la colère de tous sur tous les sujets, en même temps que les manifestations et les rassemblements partout et tout le temps ne cessent pas, depuis les plus petits villages jusqu’aux manifestations sauvages du soir de la jeunesse en révolte. Et comme élément révélateur des évolutions en cours, comme pour la nuit des barricades en mai 68 où la population s’était réjouit des voitures brûlées malgré le déversement de haine des médias, la grève des éboueurs est aujourd’hui une des plus populaires malgré la gêne, tout le monde se réjouissant au contraire du niveau des sacs poubelles qui monte sur nos trottoirs.
Ce sont les signes d’un grand mouvement en gestation qui n’est pas près de cesser, quels que soient ses rythmes. En fait , il n’a pas cesser depuis 2016 et cela à l’échelle du monde.
Plutôt qu’un étiolement comme le craignent parfois certains quand on voit des grévistes s’user, c’est une lame de fond qui monte mais qui prend du temps justement parce qu’elle sourd des plus grands profondeurs, mobilisant des couches de la population qui n’ont jamais bougé jusque là et qui avancent pas à pas, vérifiant à chaque étape, contre la propagande médiatique et contre le gouvernement, que tout le monde est toujours là, suit toujours.
La participation massive aux grandes journées nationales d’action depuis le 19 janvier sert à cela, vérifier le soutien actif et large aux actions les plus déterminées de ceux qui sont à la pointe de la lutte que ce soient celles les Robins des Bois de l’énergie jusqu’aux manifestations sauvages de la jeunesse s’affrontant à la police en passant par celles des écologistes à Sainte Soline. Ainsi, l’opinion ne rejette pas la faute des violences sur les casseurs comme y pousse et le voudrait le pouvoir, mais sur le gouvernement. Et puis cette participation populaire qui ne faiblit pas se mesure encore au succès historique des caisses de grève qui fait que les grévistes les plus déterminés tiennent toujours après parfois 27 jours de grève chez les raffineurs, les électriciens et les gaziers et certains éboueurs et par endroits des cheminots, enseignants, postiers ou certains encore de la chimie et du privé. Certains reprennent le travail mais repartent en grève, un jour, deux jours, et ça dure, chacun sachant ou espérant qu’on est dans un mouvement de fond, et guettant le moment, l’occasion qui permettra d’être tous là en même temps. Chose significative, même ceux qui craignent l’étiolement ou reprennent le travail, ne se découragent pas, se disant pour les plus pessimistes que si on perd là, ce n’est pas si grave on reprendra la lutte demain, très bientôt ou plus à distance, sur l’inflation ou autre chose, et qu’on finira par gagner. Ce n’est pas une grève par procuration, c’est bien plus que ça, c’est tout un peuple qui s’ébroue après des décennies à subir et qui entre en remuement cherchant les voies d’un mouvement total pour faire entendre sa colère globale.
C’est pourquoi les journées nationales d’action s’accompagnent désormais d’un autre mouvement qui prend peu à peu de la dimension et de l’autonomie sous différentes formes. Ce sont des grèves reconductibles tout autant sur des sujets particuliers que sur les retraites, des manifestations sauvages pour la démocratie ou l’environnement qui sont plus jeunes qu’au moment des Gilets Jaunes avec des groupes ultra mobiles épuisant les forces de l’ordre en même temps qu’un nombre d’universités bloquées ou occupées et de lycées bloqués toujours montant.
Ce mouvement cherche à faire vivre en pratique la remise en cause de la légitimité de l’idéologie capitaliste qui elle est déjà latente dans les esprits depuis longtemps, une légitimité tellement effondrée qu’il ne lui reste plus que la violence policière et que cette violence elle même n’est plus légitime au point que c’est l’existence la BRAV-M qui est aujourd’hui en question pas les violences dont le gouvernement accuse les manifestants. Et ce sont désormais Macron et ses ministres qui sont contraints, confinés, assignés à domicile, ne pouvant plus sortir. La peur change de camp. La venue de Charles III à Versailles est annulée. La venue du président au match des bleus au stade de France est annulée. Sa prestation télévisée n’a convaincu que 8% des auditeurs. Le gouvernement est sous assistance respiratoire. Et puis l’inquiétude commence à gagner le grand patronat comme en a témoignée ces derniers jours la présidente d’Elengy, la filiale gaz d’Engie, voyant l’effondrement de sa société si la lutte continuait, sentant que ce qui se passe n’est pas « ordinaire » et dépasse largement une réaction à la destruction de la retraite mais vise toute la ligne ultralibérale voire capitaliste subie depuis bien trop longtemps
C’est la poursuite du mouvement des gilets jaunes qui s’est coagulée avec le reste de la population et la jeunesse qui en plus d’être dans la rue, est aussi en grève. Ce mouvement est celui attendu par une large partie de la population qui subit depuis si longtemps.
Le pouvoir hésite même à utiliser le Joker Berger de la pause et la médiation. La visite de l’intersyndicale à Borne est sous surveillance populaire. Le bouillonnement militant s’est même emparé du congrès CGT et l’a bousculé lui donnant une tonalité lutte de classe comme jamais, récusant la direction sortante et son rapport d’activité, écartant sa candidate, rejetant les déclarations de Martinez derrière Berger sur une pause/médiation et reprenant symboliquement à la tribune le chant des Robins des Bois de l’énergie « Macron si tu continues, il va faire tout noir chez toi ». Bien sûr, au final, l’appareil a réussi à se sauver en changeant tout pour que rien ne change mais c’est quand même le net accroissement de la sensibilité radicale et lutte de classe au sein de la CGT qui aura marqué ce congrès comme il marque toute la société et le mouvement en cours.
Alors, bien sûr, au gouvernement, ils bombent le torse par posture, ils y vont à l’estomac, mais ils n’ont jamais autant vacillé… Chaque jour qui passe est un nouvel acte de la colère globale qui construit un mouvement total. Nous n’en sommes qu’au début. Les actionnaires, les multimillionnaires, ne sont rien et nous sommes en train de devenir tout. Voilà ce que notre mouvement crie : on va tout leur reprendre.
Jacques Chastaing 2 avril 2023
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