Les Pyrénées-Orientales sont à sec. Certes, des mesures de court terme viennent d’être prises. Mais des années d’inaction politique ont ancré la crise de l’eau : trop d’urbanisation, trop de siphonnage des rivières…
Dans les Pyrénées-Orientales, l’eau manque partout : six communes connaissent déjà des coupures au robinet, une vingtaine d’autres pourraient bientôt être concernées ; les réserves d’eau servant en cas d’incendie sont au plus bas. « Il n’y aura pas assez d’eau pour couvrir tous les besoins d’ici la fin de l’été, a convenu le préfet Rodrigue Furcy, mardi 25 avril. La situation est extrêmement dégradée, le mois d’avril est le plus sec jamais enregistré depuis 1959. » La crise actuelle de l’eau est (aussi) le résultat de choix – et d’inactions – politiques, qui ont laissé le champ libre à des pratiques agricoles et économiques délétères.
« Il y a une forme de déni, on n’a pas pris les mesures au moment où on aurait dû le faire », estime Agnès Langevine, vice-présidente de la région Occitanie, originaire du département. Pendant des années, les Catalans ont fait comme si l’eau était une ressource infinie. Il finirait bien par pleuvoir ; il y aurait toujours les montagnes et leur or blanc ; il resterait toujours la possibilité de forer dans les nappes. « On s’est un peu comportés comme des enfants pourris gâtés », a admis un représentant des entreprises de tourisme, présent à la préfecture.
L’irrigation est à ce propos un cas d’école. Pour arroser les vergers du Roussillon, les agriculteurs ont toujours compté sur l’eau de la Têt. Et même un peu trop. Avec l’aval de l’État, les irrigants pompaient dans la rivière bien au-delà des limites réglementaires définies par la loi sur l’eau [1]… jusqu’à la fin de l’année dernière, quand la justice a cassé les arrêtés préfectoraux.
En parallèle, nombre d’agriculteurs – mais aussi des particuliers – se sont mis à puiser dans les nappes phréatiques. Sans toujours déclarer leurs forages. Résultat, impossible de connaître aujourd’hui avec précision l’état de la ressource en eau profonde. « Pour l’irrigation agricole, on compte sur 2 000 forages [sur le secteur de la plaine du Roussillon], moins de 50 % en situation régulière », estimait la Fédération pour les espaces naturels et l’environnement des Pyrénées-Orientales (Frene 66) dans une contribution adressée au Sénat fin 2022. Les pouvoirs publics prévoyaient un recensement et une opération de régularisation en… 2018. Cinq ans plus tard, « le travail est toujours en cours », assure-t-on à la préfecture.
Du retard a également été pris quant à la rénovation des canaux, qui amènent le précieux liquide de la Têt jusqu’aux parcelles agricoles : d’après des études effectuées en 2011, ces conduits dérivent chaque année 275 millions de mètres cubes de la Têt ; or les besoins des plantes irriguées s’élèveraient à 51 millions de mètres cubes annuels. Il y a donc là une importante marge de manœuvre pour économiser l’eau, notamment en luttant contre les fuites. Sauf que les travaux tardent à venir. Le gouvernement a annoncé qu’il débloquerait 180 millions d’euros par an pour réparer « en urgence » les fuites d’eau dans les canalisations. Dans 170 communes, les pertes atteignent 50 % : un litre sur deux perdu. 14 de ces communes se trouvent dans les Pyrénées-Orientales.
Autre exemple de cet aveuglement, l’urbanisation. « Alors que la situation climatique devrait nous conduire à stopper l’arrivée de nouveaux habitants, comme certains maires l’ont décidé dans le Var, et à désimperméabiliser les sols pour permettre à l’eau de s’infiltrer, ici, on en est loin », regrette Joseph Genébrier, membre de Frene 66. Les zones pavillonnaires – avec piscines – ont fleuri sur le territoire. Sur le bassin de la Têt, la Frene 66 a constaté des projets de lotissements à Argelès-sur-Mer, à Sorede, à Banyuls… Pour un total de 1 700 logements et une artificialisation de 70 hectares.
Une division par dix de la consommation pour les golfs
Pour faire face, la préfecture a bien décrété la mobilisation générale, chaque secteur étant sommé de se serrer la ceinture. « Il faut passer d’une logique de passager clandestin à une logique de solidarité », a martelé le préfet lors de la conférence de presse. Les acteurs du territoire lui ont remis leurs bonnes résolutions. 500 000 mètres cubes d’économie pour l’hôtellerie-restauration ; une division par dix de la consommation pour les golfs ; 50 % de réduction et une réutilisation des eaux usées pour les parcs aquatiques. « On prélève 75 % d’eau en moins qu’en année normale », a assuré la présidente de la Chambre d’agriculture, Fabienne Bonet, la mine grave, avant de prévenir : « On est en mode survie, on ne peut pas aller plus loin. » Le préfet a salué « un effort collectif ».
Mais si élus, agriculteurs et acteurs touristiques se réveillent, pas sûr qu’ils soient prêts pour la révolution écologique qui s’impose. « Bien sûr, il faut gérer au mieux les mois qui s’annoncent, mais il nous faut aussi nous adapter. Et pour ce faire, il faut du courage politique », estime Agnès Langevine. Aucun édile n’a pour le moment emboîté le pas au maire d’Elne par exemple, qui a interdit les nouvelles piscines. Sceptique lui aussi, le militant écologiste de longue date Joseph Genébrier critique ce regain de mobilisation qu’il juge complètement hors sujet : « Les acteurs économiques, les élus, les agriculteurs continuent de raisonner les économies en litres alors qu’il faudrait penser en mètres cubes, résume-t-il. Il nous faut des mesures fortes. » Interdire les usages trop gourmands en eau, stopper l’urbanisation, transformer l’agriculture.
Mais les députés et conseillers municipaux du Rassemblement national – le parti d’extrême droite a remporté une victoire historique aux législatives dans le département – ont brillé par leur discrétion sur ce sujet de la sécheresse. En mars, plusieurs chercheurs, dont le climatologue et auteur du Giec Christophe Cassou, ont tenu à Perpignan une conférence sur la pénurie d’eau. Aucun élu de droite ni d’extrême droite n’a fait le déplacement. Le même jour, des adjoints de Louis Aliot (maire RN de la capitale catalane) annonçaient la tenue d’une procession religieuse pour implorer la pluie.
Principale réaction – du moins la plus visible – des responsables politiques et agricoles : des manifestations et des prises de position véhémentes contre les écologistes. « On désigne les coupables, qui seraient les écolos… c’est sans doute plus simple que de s’atteler aux problèmes de fond », constate, amère, Agnès Langevine.
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