ÉLECTIONS EN TURQUIE : DES LENDEMAINS QUI DÉCHANTENT

Les visages sont fermés ce matin au QG du parti Yesil Sol (YSP), à Van, au Kurdistan turc.
L’espoir était immense. La certitude que l’heure était venue pour Recep Tayyip Erdogan (RTE), président éminemment autocratique, installé au pouvoir depuis plus de 20 ans, de partir.
En effet, les sondages (très peu fiables en Turquie) donnaient son rival Kemal Kilicdaroglu, (KK) gagnant d’une courte tête.
Il n’en fût rien au terme de cette nuit interminable, émaillée de hauts et de bas, d’informations folles et contradictoires, et de tension nerveuse pour les militants du parti d’opposition. Même si les retours au moment des premiers dépouillements, donnaient une avance conséquente à RTE, rapidement les tendances s’inversaient ou se resserraient. Au QG du YSP, l’espoir aura été présent jusque tard dans la nuit.
▶️ Un second tour sans grand espoir.
Certes c’est une première pour Erdogan, qui n’a jamais été inquiété depuis plus de 20 ans, à tel point que la jeunesse n’aura rien connu d’autre que lui.
C’est bien du vote des jeunes, (environ 5 millions d’électeurs) plutôt tournés vers un changement de politique, que les espoirs étaient permis. Ils n’auront pas suffi.
Si l’on constate un affaiblissement de l’hégémonie d’Erdogan, celui-ci reste relatif.
La campagne populiste du président, distribuant de l’argent à des enfants face aux caméras, organisant des distributions de nourriture aux populations, affrétant des bus de tout le pays pour participer au “meeting du siècle” aura fait son effet.
L’intimidation et la répression auront été les armes utilisées quotidiennement : Des journalistes, artistes kurdes auront été emprisonnés tout le long de la campagne. Hier, la police et les militaires lourdement armés auront passé leur journée dans les bureaux de vote.
Une campagne à l’image d’Erdogan, répressive et autoritaire, bien loin de l’idéal démocratique qu’il prétend représenter.
▶️ Participation massive, peu de réserve de voix.
Le défi du second tour est très compliqué à relever, même si K.Kilicdaroglu annonce une possibilité de victoire. En effet, les voix du 3e candidat, ultra nationaliste laïque, ex “loup gris” devraient naturellement se reporter sur le président sortant, au détriment de l’opposition, et l’avance d’Erdogan est importante.
Enfin, la réserve de voix est très faible, au regard de la participation massive du premier tour, près de 90%.
Un conditionnel s’impose, les retournements de situation étant toujours possibles, mais peu probables.
Il faut savoir que l’emprise du président turc actuel sur les médias est totale.
Tous les médias d’opposition (peu nombreux) étant régulièrement censurés, menacés. Les journalistes osant porter une parole critique tout bonnement emprisonnés et traduits en justice, le message porté par l’opposition aura été très peu visibilisé.
La présence médiatique du président est tout simplement énorme, des sources (France Info entre autres) indiquent plus de 32 heures de parole, contre 32 minutes pour son concurrent !
Dans un tel contexte, la bataille était rude.
Les législatives quant à elles, se sont déroulées dans le même temps et ont encore une fois donné la majorité au parti AKP, du président sortant.
Pour beaucoup, la campagne est terminée. Un militant kurde de la branche jeunesse du Yesil Sol parti nous dira “pour nous c’est terminé, nous ne ferons pas campagne pour le second tour”.
Dans la ville de Van, alors qu’il était attendu une explosion des scores de l’opposition, elle aura à peine dépassé 54%, alors que les Kurdes y sont majoritaires.
L’issue de cette séquence électorale va probablement ancrer encore plus fort l’autoritarisme et amplifier l’arrogance d’Erdogan. La perspective d’un changement de régime s’éloigne à nouveau.
Même si une victoire de KK n’était pas une assurance vie sur une modification profonde du système turc, elle restait quoiqu’il en soit, une possibilité d’ouverture et de pacification, en particulier pour les populations opprimées en Turquie, à savoir Kurdes, Alévis, Zazas, Arméniens, Grecs, Arabes, LGBTQI.
Car si aux premiers temps de son accession au pouvoir RTE avait été élu avec un programme d’ouverture à la fois extérieur avec l’adhésion à l’UE et intérieur avec le respects des droits et la reconnaissance des identité minoritaire, avec un très fort développement économique qui fut bénéfique à presque toutes les populations, ce temps semble révolu, pour un temps probablement encore long, et jusqu’à ce qu’enfin un jour l’horizon s’éclaircisse.
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