ÉDITORIAL. L’opposition turque a vu fondre ses espoirs de déloger Recep Tayyip Erdogan. Même s’il reste encore un second tour, l’Europe devra aussi se résoudre à une éventuelle victoire du président sortant
Rien n’y a fait. Ni la dérive autoritaire, ni la crise économique dont il est responsable, ni l’unité inédite de l’opposition, ni même les tremblements de terre… Rien de tout cela n’aura suffi à déloger Recep Tayyip Erdogan. Certes, rien n’est encore définitivement joué, et il faudra un tour supplémentaire pour désigner le vainqueur. Toutefois, avec plus de 2 millions de voix de retard, on voit mal comment une coalition de l’opposition déjà étendue au maximum pourrait barrer la route à celui qui dicte le destin de la Turquie depuis plus de deux décennies. D’autant plus que, lors du scrutin législatif qui accompagnait le premier tour de la présidentielle, le parti de Recep Tayyip Erdogan, l’AKP, s’en est sorti également bien mieux que prévu.
Deux semaines périlleuses
Les deux semaines qui viennent (le 2e tour aura lieu le 28 mai) seront périlleuses, tant il est vrai que deux Turquie se font désormais face, de manière plus nette et frontale que jamais. D’un côté, les grandes villes du pays et les zones côtières, plus ouvertes, plus mobiles que le reste du pays. De l’autre, les régions plus rurales de l’immensité anatolienne. C’est là que le triptyque affiché par l’AKP – la religion, le conservatisme et le nationalisme – a déployé ses meilleurs effets.
Pendant la campagne, tirant profit de médias à ses ordres, Erdogan n’en finissait plus d’inaugurer les ponts, de célébrer les nouveaux avions de combat et les nouveaux navires porte-drones, de mettre en avant la première centrale nucléaire, bâtie avec l’aide de la Russie. Car, autant que les valeurs traditionnelles, c’est également la fierté de voir une Turquie développée, et puissante, qui a mobilisé sa base électorale.
Une nouvelle victoire – maintenant probable – du candidat Erdogan rendrait plus complexe encore le rapport qu’entretient l’Occident avec un président turc insondable, et de surcroît légitimé par une majorité des électeurs. La question du respect des droits de l’homme risque fort de redevenir centrale. Mais elle sera aussi accompagnée d’une sorte de soulagement un brin hypocrite de la part des Occidentaux. En décidant démocratiquement de rester dans le camp des pays autoritaires, la Turquie leur épargne la nécessité de se pencher sur leurs propres ambiguïtés vis-à-vis de ce pays. Un pays voué à être laissé à jamais dans l’antichambre de l’Europe et perçu surtout comme un rempart, bien commode, face aux dangers – instabilité, migrants… – qui nous effraient tant.
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