ON NE TOURNERA PAS LA PAGE, SAUF CELLE DU REGIME DE MACRON

Macron croyait qu’il allait s’arrêter une fois la loi promulguée. Il a continué.
Cet incroyable mouvement qui se réinvente sans cesse, s’est renouvelé encore une fois en inventant les « casserolades », l’intervilles du Zbeul -une sorte d’émergence de la coordination des casserolades – , délégitimant Macron et ses ministres, poursuivis, harcelés, ridiculisés, tandis qu’avec le 1er mai qui arrivait, des actions syndicales – ou non – tous azimuts continuaient et se radicalisaient toujours plus avec les coupures de courant et une jeunesse toujours mobilisée malgré les vacances pour déboucher dans l’énorme succès historique du 1er mai.
On aurait pu craindre alors que le lâchage de l’intersyndicale nationale au lendemain de ce succès ne casse le moral et ne mette fin au mouvement avec une trop lointaine journée d’action le 6 juin. Une journée conçue comme une pression sur le 8 juin où le groupe parlementaire LIOT doit déposer un projet de loi défaisant la réforme des retraites, c’est-à-dire un moyen pour les directions syndicales de tenter de ramener le mouvement social vers des solutions politiques institutionnelles, offrant par là un espace de respiration au gouvernement qui pourtant montrait des signes d’impuissance et d’affolement face à un mouvement qui ne cessait pas, se politisait et face à qui il ne savait plus quoi faire.
Il n’en a rien été.
Les journées du 2 au 6 mai ont montré sa grande vitalité avec les casserolades qui ont continu& ridiculisant une fois de plus Macron à Saintes, d’autant qu’elles vont se poursuivre au moins les 8 et 10 mai contre Macron et Borne et encore après contre les ministres. A cela, il faut ajouter ces derniers jours la réussite des manifestations régionales du 6 mai à Lyon et Marseille toujours contre la réforme des retraites mais aussi contre l’inflation et les violences policières ou encore à La Baule contre les riches. Et puis, toujours au même moment, moins visibles mais tout aussi significatives, il y a eu une manifestation le 6 mai contre le SNU et la militarisation de la jeunesse à Saint Quentin qui continue les précédentes à Nantes, Caen ou Paris et encore une manifestation réussie des Soulèvements de la Terre à Léry près de Rouen pour défendre une forêt contre une autoroute et enfin une manifestation contre les riches croisiéristes à Douarnenez qui détruisent la terre où les habitants ont dit que les riches n’étaient pas les bienvenus. C’est significatif parce que tout cela forme un seul et même mouvement, une tendance qui s’était déjà inscrite insensiblement et progressivement dans le mouvement des retraites mais se voyait moins du fait de la massivité de celui à proprement parlé sur le seul sujet unificateur des retraites. En fait, c’était un mouvement politique qui s’était inséré dans le mouvement social ou, dit autrement, une politisation du mouvement social qu’on remarquait surtout jusque là, à la progressions des « Macron démission » scandés au fur et à mesure qu’à la crise sociale s’ajoutait la crise démocratique du 49.3 et de l’autoritarisme grandissant du régime. La traduction pratique des « Macron démission » ça a été la délégitimation de Macron et de ses ministres par les casserolades à partir du 17 avril ; celle de l’autoritarisme manifestée surtout par la jeunesse à partir du 49.3 s’était traduite jusque-là par des manifestations « sauvages » le soir puis après le 17 avril par l’extension du domaine de la lutte au refus du militarisme du SNU ; le rejet des violences policières qui s’était manifesté particulièrement à Sainte Soline en même temps que la volonté du gouvernement de dissoudre les « Soulèvements de la Terre » a intégré pleinement la question environnementale et de l’avenir de la planète au mouvement ; enfin, cette même question de l’avenir de la planète mêlée à l’avenir des classes populaires à travers la suppression des retraites pour leur grande majorité, l’association du combat des opprimés à celui des exploités a trouvé son expression commune dans la délégitimation des riches au côté de la délégitimation des ministres et du président qui les servent.
Bien sûr, il y a moins de monde aujourd’hui dans les casserolades ou autres actions que hier au moment des grèves reconductibles. Mais les actions d’aujourd’hui sont soutenues et observées avec sympathie et intérêt par la grande majorité de ceux qui ont participé un temps soit peu aux grèves ou journées d’actions passées. Ce qui signifie malgré la promulgation de la réforme, qu’il n’y a pas de sentiment de défaite dans les classes populaires, ou, plus exactement, qu’il y a le sentiment qu’on n’a pas encore gagné mais que Macron, lui, a déjà perdu. Bref, le mouvement est encore devant nous, il peut reprendre sous sa forme massive à tout moment, sur l’inflation, l’autoritarisme ou tout autre chose associant exploités et opprimés dans un même combat dépassant leurs divisions et c’est ça qui inquiète dans chaque casserolade aussi petite soit-elle.
Il n’y a pas encore d’inversion profonde du rapport de forces mais une amorce qui se traduit par l’initiative politique qui passe dans les mains du prolétariat qui, en montant sur la scène politique, élabore l’agenda du moment, du 19 janvier au 6 /8 juin en passant par le 1er mai -pour le moment -, sans que Macron n’arrive à inverser cette dynamique. Cette absence de découragement populaire signifie tout à la fois d’une part que les résistances actuelles autour des casserolades ou autres actions, mais aussi toutes les grèves sur les salaires ou n’importe quel sujet, toutes les luttes sur l’écologie ou le SNU, contribuent à la construction d’un rapport de force global et qu’il faut donc s’y engager à fond pour ce mois de mai et d’autre part qu’il n’y a pas de menace que M. Le Pen puisse récupérer la situation, ne pouvant le faire qu’en cas de découragement.
Cette évolution politique du mouvement social des retraites est très importante parce qu’elle décrit le chemin qu’est en train de prendre le mouvement. C’est ce chemin qui a fait renoncer l’intersyndicale. C’est en effet l’unité syndicale pour le retrait de la réforme qui a fait le succès massif du mouvement à son début. Mais c’est ce succès massif, la confiance retrouvée du mouvement populaire dans sa force naissante, associée au refus brutal de Macron à ne rien concéder, qui a entraîné dans la durée la politisation du mouvement. Or, puisqu’il n’y a visiblement plus de solution au travers du cheminement démocratique institutionnel, si cette politisation signifie la délégitimation du pouvoir en place, toute la période qui se trouve devant nous sera celle de la légitimation du pouvoir des classes populaires.
Cette question du pouvoir populaire, du gouvernement ouvrier, de la révolution sociale, quel que soit le mot qu’on lui donne, a été ouverte les 14 avril avec la promulgation de la loi et le 17 avril avec l’allocution de Macron, qui, sentant la situation lui échapper, s’est donné 100 jours jusqu’au 14 juillet pour « apaiser » la situation et « tourner la page », c’est-à-dire, reprendre en main la situation en passant à d’autres attaques, en cherchant pour cela la complicité des directions syndicales. Ce faisant, il n’a pas mis fin au mouvement mais a donné corps concrètement à la contestation politique qui était sous-jacente jusque là dans le mouvement des retraites, avec les casserolades. Mais autant les directions syndicales pouvaient se laisser entraîner, même à leur corps défendant, dans un combat social prolongé pour les retraites dans le cadre du système, autant elles ne pouvaient plus, dés lors que le mouvement sortait du cadre strictement économique et social pour entrer dans un projet politique signifiant la remise en cause à terme du capitalisme et de l’ordre établi. C’est-à-dire que s’ouvrait un moment politique portant à terme le projet révolutionnaire, ce qu’elles ne peuvent pas assumer, parce qu’elles ne sont pas révolutionnaires, qu’elles sont intégrées au système et n’agissent que dans son cadre.
Du coup, les directions syndicales sont bousculées parce que tout le crédit qu’elles ont gagné dans la première phase du mouvement pourrait bien s’évaporer soudainement dans cet Acte II plus politique qui commence et bénéficier à d’autres plus à gauche, plus contestataires, plus subversifs. On voit leur affolement au dirigeant de la CFTC qui s’inquiète en déclarant qu’on ne peut tout de même pas continuer à ne pas dialoguer avec le gouvernement comme ça pendant des mois et qui avertit que le 6 juin, ce sera la dernière journée – alors que le mouvement va continuer, c’est certain -. On le voit aussi à leur difficulté à trouver une justification à leur rencontre avec E.Borne, parce que les directions syndicales courent le risque d’y être tout autant « casserolées » que la première ministre et d’être tout autant délégitimées que les ministres parce qu’elles les ré-légitiment par leurs rencontres alors que le mouvement, lui, veut les délégitimer.
Sur le terrain politique, la LFI, la Nupes, voient bien le problème en parlant comme Mélenchon de « mauvaise république ». Mais comme pour leur part, ils ne veulent pas sortir du cadre électoral traditionnel, ils essaient seulement d’orienter le mouvement vers un changement de constitution, tout changer pour que rien ne change, alors que le mouvement commence à viser au delà, en s’attaquant aux riches et au capitalisme. Le mouvement a bien compris que si cette constitution permet à une tout petite minorité de décider pour tout le monde et à un président de se comporter comme un roi, c’est parce qu’elle est plus profondément – par delà son aspect circonstanciel gaulliste -, l’expression politique d’une dictature sociale où une toute petite minorité, les 1% de la population possède plus que les 99% autres et où le véritable pouvoir se concentre dans les conseils d’administration des grandes banques et entreprises. On ne peut pas changer de constitution sans abattre le capitalisme pas plus qu’on ne peut faire d’écologie sans aussi abattre le capitalisme.
Le mouvement actuel remet donc en cause la division traditionnelle entre la revendication économique réservée aux pauvres et le combat politique gardé pour les riches, une division qui permettait jusque là de perpétuer l’ordre social bourgeois et qui est donc bousculée, transgressée.
Cette montée du prolétariat sur la scène politique par la pression qu’elle exerce sur toute la société nous fait entrer dans une période de forte instabilité politique.
Comme l’a montré la mise en minorité à l’Assemblée des macronistes autour de la suspension des soignants non vaccinés, le vote du 8 juin autour de la proposition de loi du groupe LIOT annulant la réforme des retraites, pourrait bien être un succès pour le mouvement en faisant battre la majorité gouvernementale et en la réduisant encore plus à l’impuissance. Le succès est possible puisqu’il s’agit là d’un vote à majorité simple et non absolue comme pour le vote de la motion de censure à laquelle il ne manquait pourtant que 9 voix pour passer. Bien sûr, le Sénat soutiendra le gouvernement et celui-ci trouvera certainement dans la constitution de quoi maintenir sa réforme. Mais, ceci dit, ce nouveau passage en force se fera cette fois en plus contre l’Assemblée alimentant d’une part un peu plus la conscience du nombre le plus large des limites de la démocratie bourgeoise et d’autre part, les allers et retours entre l’Assemblée et le Sénat alimenteront certainement de nombreuses manifestations populaires de plus en plus politiques et subversives.
Ainsi, toute la question du moment : quelle légitimité populaire, quel pouvoir politique populaire avec quel programme peut-on opposer au pouvoir Macronien en décrépitude, le mouvement lui-même commence à lui donner une réponse au travers de ces casserolades, leur coordination dans l’intervilles du Zbeul, les manifestations toujours contre la réforme des retraites mais aussi contre l’inflation, le SNU, les riches, la destruction de la nature, les violences policières… et bien d’autres encore demain.
Il nous faut prendre conscience de cette tendance et l’amplifier tout ce mois de mai. Aujourd’hui, la tâche révolutionnaire, c’est de décrire ce qui est, c’est faire prendre conscience aux éléments les plus avancés du mouvement, ce que le mouvement est déjà en train de faire par lui-même, sur quel chemin il s’engage et quels obstacles il va avoir à passer et, ce faisant, accélérer sa maturation, lui permettre d’avoir sa propre expression politique, et par là ses porte-paroles, son organisation propre.
Au mois de mai, il nous faut ainsi participer à toutes les luttes avec cette compréhension en tête, les aider, les susciter quelles qu’elle soient, – en n’oubliant pas qu’en mai, il y a Roland-Garros, le festival de Cannes ou le Grand Prix de Monaco que les électriciens ont promis de mettre en sobriété énergétique – , pour qu’après le 1er mai historique, le mois de mai 2023 soit lui aussi historique, non pas au sens où il pourrait y avoir une grève générale ou une montée nationale sur l’Elysée, mais où ce mois de mai fera mûrir la conscience politique du mouvement de telle manière que ce dernier abordera la journée du 6 juin, avec le projet de la continuer les 7 et 8 et encore après, dans un rapport de force tel qu’il pourra avoir en ligne de mire la chute du régime.
Ce soulèvement est profond, jubilatoire, tonifiant, fondamental, revigorant, puissant et créatif. Il va continuer et nous réserver bien d’autres surprises. Les beaux jours arrivent : en mai faisons ce qui leur déplaît !
Jacques Chastaing le 7 mai 2023
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