Cavaliere de l’apocalypse

Un ancien dirigeant italien vient de mourir. Aussitôt le monde médiatique bruisse de tout ce que qui peut être dit de cet homme. Tout, vraiment ? Non…

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Liliane Baie

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Je sais qu’il est de mise, lors du décès de quelqu’un, de brosser un tableau élogieux du défunt. Mais là, pour moi, c’est trop.

Depuis tout-à-l’heure je n’entends qu’éloges sur ce « grand dirigeant », brillant dans les affaires (un journaliste a cependant eu le courage de faire une allusion aux deux sens du mot « affaires »…) et dans les médias, qu’il aurait révolutionnés, de même que le sport avec son club de foot et la politique où il a été plusieurs fois président du conseil. Quelques rares allusions aux soirées avec des mineures et à un hypothétique lien avec la Mafia, ainsi qu’aux innombrables procès qu’il a dû affronter, pratiquement rien sur ses options politiques.

Nous en sommes là ? À partir du moment où un homme est très connu et très riche, il va avoir les honneurs des médias, même s’il est su de tous (ou presque) qu’il semblait avoir un lien élastique avec l’éthique et que son sens de l’intérêt public était surtout conditionné par celui de son propre intérêt ?

Il y a une chose que l’on pouvait accorder à Berlusconi, c’est son opportunisme et sa capacité à prévoir ses coups. Comme Bernard Tapie, il avait compris que le football était le meilleur vecteur pour devenir populaire. Et que, à l’heure du tout info, tout passe. Nos pauvres cerveaux ne retiennent que la dernière information, et oublient les autres, qui disparaissent dans un passé cotonneux, tellement surchargé que plus rien n’émerge. Alors on oublie que le « Cavaliere » était de droite et s’est associé à l’extrême-droite, a échoué sur le plan économique quand il était au pouvoir, soutenait Poutine dans sa guerre contre l’Ukraine etc.

Si quelqu’un veut obtenir le pouvoir, je lui conseille de réussir dans les affaires et de devenir très riche, même de façon trouble, d’acheter un club de foot et de trouver une raison d’occuper la scène médiatique. Et hop !

Après, tout lui sera pardonné…

Je sais que l’arrivée au pouvoir politique de personnes qui ont un énorme pouvoir financier, ou de ceux qui vont se consacrer aux intérêts de ces ultrariches en prévision d’un renvoi d’ascenseur, n’est pas une nouveauté. Mais l’amnistie absolue, devant le tribunal médiatique, dont bénéficient ceux qui sont connus et riches est proprement hallucinant. Le fait que les médias appartiennent en majorité à ces groupes n’est pas anodin dans ce constat, mais les médias nationaux ne sont pas en reste, ce qui semble prouver que notre service public est de plus en plus au service du privé.

Ce ne serait pas grave, si les médias n’avaient pas un rôle indirect d’éducation populaire donc, ici, de dés-éducation populaire et de propagande.

Ainsi, l’apologie de ce genre de personne (et d’autres stratégies médiatiques comme de ridiculiser la gauche) nous prépare à l’arrivée au pouvoir d’un de ses clones, et neutralise les velléités qui pourraient nous traverser de remettre en cause ceux qui l’exerce d’une façon qui s’en approche. C’est ainsi que j’explique le silence relatif de nos concitoyens sur les représentants de l’État mis en examen ou en délicatesse avec la justice, sans que la question de leur démission ne se pose.

L’idéologie néo-libérale, le capitalisme contemporain, c’est une loi de la jungle particulière : « Si je gagne de l’argent, j’ai raison, c’est moi le plus fort et j’ai le droit avec moi ». Comme l’argent aide à être élu et à se dégager plus ou moins facilement des lois auxquelles sont soumis le commun des mortels (cf l’arbitrage de Bernard Tapie) la réalité semble donner corps à ce principe. C’est-à-dire qu’il n’y aurait pas de loi pour ces personnes « extra-ordinaires », tout leur serait permis, ou presque, sans aucun souci de morale ni des conséquences pour autrui ou pour l’avenir. Et les médias nous font accepter ce mantra petit à petit, mantra qui présente l’avantage de flatter, par identification à la figure de ces tycoons, l’ancien enfant tout-puissant qui dort en chacun de nous et qui a dû faire, lui, avec les limites de la loi et de le réalité.

Ainsi les esprits sont préparés au pire.

Ne serions-nous pas en décadence ?

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