CROISSANCE DE NOTRE FORCE ET DESAGREGATION PROGRESSIVE DU POUVOIR

Dans le contexte actuel, la victoire des ouvrières de Vertbaudet n’est pas anodine.
Elle rend visible l’évolution des rapports de force en cours dans le contexte général du mouvement contre la réforme des retraites. Elle est le premier signe d’un basculement des rapports de forces.
Leur grève a pris une portée nationale au moins par deux fois.
Une première fois par la violence d’un niveau inédit depuis longtemps de la police dans une grève et par l’intervention d’une milice fascisante dans un lieu, Tourcoing, lié à Darmanin, dans un groupe capitaliste lui-aussi lié à Darmanin par le fils de Fillon, directeur dans le groupe Equistone propriétaire de Vertbaudet, un important groupe d’investissement présent dans de nombreuses entreprises françaises de Spie Batignolles à Domus VI en passant par Novares, Gerflor ou encore Webhelp et bien d’autres.
On ne peut pas séparer la politique violemment anti-ouvrière et les méthodes fascistes chez Vertbaudet de la politique générale ultra-violente de Darmanin qui essaie de se positionner comme recours possible entre Macron et le RN. Il faisait là une démonstration nationale. La victoire des ouvrières de Vertbaudet est dont aussi une défaite de Darmanin. Elle montre également par le recul d’Equistone qu’au moins un grand groupe capitaliste ne soutient plus cette politique si elle aboutit à renforcer la détermination de la classe ouvrière. Ce n’est certes qu’un seul groupe capitaliste qui renonce ainsi et préfère négocier plutôt qu’essayer d’écraser, mais ce n’est pas un petit groupe et c’est un groupe lié à Darmanin. Si on associe ce fait à l’isolement politique progressif du pouvoir, cela sonne comme l’amorce du lâchage également du pouvoir économique.
La seconde fois où la grève des ouvrières de Verbaudet a été « nationalisée », c’est lorsque la nouvelle secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, a déclaré qu’elle faisait de ce conflit un conflit national et a avertit la direction de Vertbaudet que si elle ne négociait pas, ce serait les 600 000 membres de la CGT qui entreraient en action. Or, cette déclaration suivait l’initiative de militants CGT des Bouches du Rhône qui avaient investi un magasin Vertbaudet dans leur région incitant toutes les structures CGT du pays à faire de même. Quelques unes avaient suivi. Sophie Binet avait alors donné une date ultimatum à l’exécution de sa menace… et la direction de Vertbaudet/Equistone s’est exécutée. Or cette attitude nouvelle de la direction de la CGT, est elle-même le reflet du mouvement des retraites qui a impacté le congrès national de CGT au mois de mars, le poussant clairement plus à gauche, en même temps que ces premiers mois de l’année, plus de 100 000 personnes rejoignaient les syndicats sur une base combative.
Il faut associer les caractéristiques nationales de cette victoire – qui en annonce d’autres par ce contexte général – à l’incroyable séquence que nous vivons depuis le 19 janvier. On ne le mesure pas assez, mais cela fait depuis le 17 avril, qu’il y a des casserolades tous les jours. Au 8 juin, cela fera 62 jours de manifestations continues à chaque déplacement de Macron ou de ses ministres, les obligeant souvent à annuler ou se cacher, qui empêchent Macron de passer à autre chose. A raison de 5 ou 6 par jour, cela fait entre 300 et 400 manifestations contre le gouvernement, auxquelles il faut ajouter des manifestations plus classiques contre la réforme des retraites, ou moins, sous forme par exemple de carnavals ou de coupure de courant ou d’intervention de la palme d’or au festival de Cannes, ou encore mêlant réforme des retraites à la lutte antifasciste .
Cela fait presque 5 mois de mobilisation continue depuis le 19 janvier. C’est considérable. Et ce n’est pas fini parce que la phase du 6 au 8 juin va relancer le processus qui est un processus de désagrégation – et pas seulement d’affaiblissement – progressive d’un pouvoir de plus en plus isolé, aux abois, qui ne sait plus quoi faire, perd tous ses appuis, et qui là, avec Vertbaudet, commence peut-être à être lâché aussi par le grand patronat.
Le gouvernement croyait pouvoir gouverner de manière minoritaire, avec ses alliés du RN et de LR. Mais LR se désagrège. On l’a vu lors de la dernière motion de censure, où LR était coupé en deux, et on le voit encore par le sondage qui ne lui donne que 8% aux européennes et probablement encore moins par son soutien au gouvernement le 8 juin. Par ailleurs, le RN, lui qui a pourtant voté sans état d’âme contre la hausse du Smic et pour la hausse des loyers, n’ose pas cette fois aller contre ses électeurs populaires qui ne veulent pas travailler deux ans de plus. Il a peur de les perdre, en masse, et lui aussi peur de se désagréger sous les coups de boutoir de la poussée populaire.
Le pouvoir est tout seul et le sera de plus en plus
Dorénavant, toute la situation est dans les mains d’un personnage totalement isolé, le Président qui prend de ce fait l’allure d’un roi et dont la fin pourrait bien y ressembler plus qu’à celle habituelle d’un président, or élections. On voit bien que si les grands médias n’étaient pas là pour diffuser du soir au matin les éléments de langage du pouvoir, il serait à bout. Mais même là, on sent des usures dans le concert de louanges, un peu parfois une prise de distance. Par ailleurs, son autre pilier, les forces de l’ordre », lui aussi se désagrège puisqu’elles n’hésitent plus à se dire au bout du rouleau et que les démissions s’y multiplient comme ce n’est jamais arrivé dans l’histoire.
Bien sûr, bien que fragilisé, comme une locomotive devenue folle, le gouvernement continue dans ses mesures réactionnaires et ses méthodes antidémocratiques. Il n’a pas le choix, s’il s’arrêtait, il tomberait. Mais en continuant, il ne peut plus que dérailler.
La victoire des ouvrières de Vertbaudet le pousse un peu plus sur cette voie. C’est un signe de la détermination des travailleurs que Macron n’arrive pas à soumettre alors que tout le sens de son existence, la source de son pouvoir et l’appui des ses mandants milliardaires, tenaient dans sa capacité à soumettre les travailleurs.
Or la victoire des ouvrières de Verbaudet c’est l’ouverture de cette voie à d’autres. C’est déjà en partie fait. Le niveau des revendications salariales augmente significativement. Les Vertbaudet voulaient 150 euros d’augmentation mensuelle. Les ouvriers de LSDH actuellement en grève depuis plus d’une semaine veulent 300 euros. Les ouvrières de « Maison Berger Paris » veulent 20% d’augmentation. Ceux de Disneyland Paris veulent 200 euros. Ceux de Tisséo Toulouse veulent l’échelle mobile des salaires. Ceux de STG en grève depuis plus d’une semaine sur plusieurs sites veulent 80 cts de plus par heure soit dans les 130 euros… Les travailleurs sont passés dans une phase plus offensive que la précédente où les revendications salariales ne dépassaient guère celle de 6%, le niveau de l’inflation, juste pour ne rien perdre. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de ne pas perdre, de résister, mais de gagner, de reprendre tout ou partie de ce qui a été perdu les années précédentes. Ainsi, la vague de grèves salariales en cours, alimentée en force par le mouvement des retraites, est d’une autre nature que les précédentes
L’ambiance créée et révélée par le mouvement des retraites qui change progressivement de forme mais s’enracine durablement, signifie que là où le patronat ou le gouvernement dans toute cette période voudraient nous attaquer sur d’autres terrains, ils trouveront plus de militants, plus de résistance, plus de détermination, avec certainement beaucoup plus de succès, qui seront autant d’encouragement pour les autres. Et tous ces combats et ces succès tendront à n’en faire qu’un seul, pour dégager Macron, pour dégager l’oppression et l’exploitation, dégager le capitalisme. Hier c’étaient les seuls électriciens et gaziers qui avaient gagné une augmentation de 200 euros par une lutte longue et offensive juste avant le mouvement pour les retraites et qui, du coup, ont été et sont toujours à l’avant-garde du mouvement par leurs grèves et avec leurs Robins des Bois. Ce qui s’est passé pour les électriciens, vient de se passer pour les Vertbaudet, et va se passer pour beaucoup avant de l’être pour tous. Nous ne vivons pas un mouvement avec un début et une fin comme le croient encore beaucoup mais un changement d’époque où la classe ouvrière passe à l’offensive et dont les débuts et les fins ne seront que la différence d’ampleur de nos victoires.
C’est pour ça que le 6 juin ne sera pas un baroud d’honneur, où, comme auparavant, on aurait pu entendre ce jour là : « on a fait tout ce qu’on a pu mais on a été confronté à plus fort que nous », additionné d’un « il faudra donc bien voter aux européennes au printemps 2024 ». Ça, c’était avant.
Bien sûr, la majorité de l’intersyndicale ne souhaite pas de suite au 6 juin et est inquiète du chemin que prend le mouvement actuel, la sortant de sa zone de confort. Mais déjà, dans les bases, on la prépare, par exemple dans les syndicats CGT du commerce, ou chez les retraités ou encore les cheminots qui appellent déjà à une suite le 15 juin et probablement demain les électriciens et gaziers et d’autres encore. On verra. Mais ce qu’il y a de sûr c’est que la manifestation du 6 juin est déjà sortie du cadre que lui avait conféré l’intersyndicale, pas seulement parce qu’elle va s’étendre dans le temps du 6 au 8, mais aussi par son contenu qui va dépasser l’objectif de l’intersyndicale de seulement faire pression sur les députés pour qu’ils votent le 8 juin, la proposition de loi LIOT et son abrogation du passage de 62 à 64 ans. En effet, on sait déjà que le pouvoir va empêcher le vote des députés à l’Assemblée Nationale même si les députés semble-t-il s’apprêtaient à voter l’abrogation de la loi. Tout le monde le sait. La pression sur les députés devient secondaire. Par contre, les magouilles anti-démocratiques du pouvoir ranimeront la détestation de l’opinion contre tous ces abus de pouvoir qui, désormais, caractérisent le régime et seront au centre de cette manifestation.
Tout le monde va regarder ce qui se passe le 8 juin et le 6 juin en sera la préparation. Comme le 49.3 avait réveillé la colère, les magouilles du 8 juin le feront aussi. Du coup, cette manifestation qui n’en est plus une pour faire pression sur les députés dans le cadre du système est déjà autre chose en dehors de ce cadre, pas tout à fait encore une manifestation pour faire tomber le pouvoir, mais déjà une manifestation d’entrée dans une nouvelle ère, dont les mobilisations sociales prendront un tour de plus en plus politique avec comme but de faire tomber Macron, et dont la première étape, au delà du 15 juin, pourra être d’aller jusqu’au 14 juillet, date politique s’il en est. C’est la date de fin des 100 jours fixés par Macron pour reprendre les choses en main, donc la date de son échec patent .
C’est aussi la date aussi où Macron va recevoir Modi le président indien d’extrême droite dont les militants aiment à se revendiquer de Mussolini, date donc où Macron s’affiche clairement avec l’extrême droite et donc date de l’addition de la lutte sociale et politique contre ce régime autoritaire ouvrant la porte aux fascistes. C’est enfin la date anniversaire d’une révolution pour faire tomber un pouvoir royal autoritaire, dont celui de Macron se rapproche. C’est une date qui donne la tonalité générale d’une ère où se construira la certitude que la mobilisation de rue est la seule solution pour faire tomber ce pouvoir qu’on ne supporte plus et qu’elle est la seule démocratie qui nous reste.
Comme je l’écrivais dans mon dernier post, nous sommes en train de gagner aujourd’hui dans ce mouvement une conscience collective et une force avec de nouveau militants qui vont nous permettre bien des succès à venir. C’est énorme parce que c’est ça qui va nous permettre de tout reprendre. Pour participer pleinement à ce moment, y être utile, il nous faut rompre avec les routines de pensée et de comportement du temps passé, il nous faut être à la hauteur des circonstances de cette page de l’Histoire qui s’ouvre et s’y plonger à fond.
Jacques Chastaing 4 juin 2023
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