24 juillet 2023
Climat Médias épingle M6 pour ce reportage montrant des personnes bronzer, alors que les écarts de température vont jusqu’à +12°C par rapport aux normales de saison, le 27 juin 2023. – Twitter/Climat Médias
Le changement climatique est encore trop peu présent dans les médias télévisuels, déplore Claire Morvan, de l’association Climat Médias. S’il y a du mieux, le sujet reste dépolitisé.
Claire Morvan est présidente et cofondatrice de Climat Médias, une association citoyenne fondée en 2022 par quatre personnes. Son but : analyser la façon dont les journaux télévisés (ceux de TF1, France 2, France 3, M6, Arte) rendent compte du changement climatique, et de ses effets [1]. L’association rassemble désormais plus d’une vingtaine d’actifs, tantôt « veilleurs » (qui regardent les journaux télé « sous un angle climat »), tantôt « twittos » (qui interpellent sur Twitteer les journalistes télé sur leur traitement de l’info).
Reporterre — Le monde connaît une nouvelle vague de chaleur et de phénomènes extrêmes — orages de grande intensité, pluies diluviennes, canicule, etc. Comment les journaux télévisés (JT) en parlent-ils ?
Claire Morvan — Il y a maintenant davantage de sujets environnement aux JT (sécheresse, transition écologique, vélo, etc.) et ils sont mieux couverts : on ne voit plus de JT qui présentent la canicule avec des gens se réjouissant du beau temps. Mais ils sont encore peu nombreux à mentionner le réchauffement climatique : 3,77 % des reportages diffusés en tout, selon une étude réalisée entre juin 2021 et juin 2023.
C’est révélateur de la manière dont sont traités les phénomènes dits extrêmes aux JT : comme s’ils nous tombaient dessus. Comme s’ils n’étaient pas liés au changement climatique, lui-même lié aux activités humaines. Rien sur l’évapotranspiration en augmentation avec le réchauffement climatique, sur la déforestation, sur l’agriculture intensive, qui pompe trop l’eau des nappes phréatiques, etc. Les chiffres sont éloquents : sur 34 reportages portant sur la sécheresse entre le 1er et le 23 mai, seuls quatre mentionnaient le changement climatique, et deux les activités humaines.
Au lieu de cette analyse, les JT se contentent souvent de constats catastrophistes : orages dans la Drôme, des grêlons gros comme une balle de tennis ; plusieurs tornades ayant balayé la ville de Chicago, « ambiance de fin du monde »… Ou alors ils montrent comment les gens s’adaptent aux canicules au jour le jour, avec des petits écogestes censés régler le problème à court terme : personnes âgées se levant tôt et s’enfermant ensuite derrière leurs volets, ouvriers du bâtiment cessant de travailler entre telle heure et telle heure, maraîchers ne faisant plus les marchés, une déclinaison infinie…
Cela a comme conséquences d’enfermer les téléspectateurs dans un sentiment d’impuissance angoissant (c’est l’effet boomerang des images chocs) et de laisser croire que l’adaptation court-termiste est l’unique voie pour répondre au changement climatique.
Avez-vous le sentiment qu’il y a une dépolitisation du débat ?
Tout à fait. Globalement, on ne permet pas au téléspectateur de comprendre le contexte scientifique de la crise, ni d’évaluer les moyens précis d’y répondre de manière structurelle, à l’échelle collective.
Un exemple tout simple. Nous le savons, pour freiner l’emballement du réchauffement climatique il faut diminuer rapidement notre production de gaz à effet de serre — c’est l’objet de la Stratégie bas carbone. Or la politique du gouvernement français reste très insuffisante à cet égard. Après la Cour des comptes, le Haut Conseil pour le climat vient de faire paraître un rapport très critique sur le sujet. Eh bien, c’est incroyable, mais les JT en ont à peine parlé — seul M6 en a fait un bon sujet [2].
Pensez-vous que les débats sont tronqués ?
À côté de cette absence d’informations politiques, essentielles tout de même à la compréhension des choses, il y a un manque de cohérence éditoriale : il arrive aux JT d’enchaîner des sujets en totale contradiction. Le 11 juillet dernier, le 13-Heures de TF1 nous montrait comment certaines communes ayant mis en place des restrictions d’eau contrôlaient les particuliers ; le reportage suivant, lui, se désolait de la baisse du chiffre d’affaires des commerçants durant la première semaine de soldes, démarrées en même temps que les émeutes urbaines [après la mort de Nahel, tué par un policier à Nanterre]. Mais les vêtements, la fast fashion notamment, ne sont-ils pas coûteux en eau et en gaz à effet de serre ? Pourquoi, d’un côté, parler respect des consignes d’économie d’eau, sans recul critique ; et, de l’autre, faire la promotion implicite d’un mode de vie non durable ?
« Le changement climatique est le prisme à partir duquel nous devrions tout reconsidérer »
Il arrive aussi que les débats soient tronqués : c’était dernièrement le cas avec la question des zones à faible émission (ZFE). Les JT nous ont informés que le gouvernement venait d’alléger les restrictions de circulation dans certains territoires français, avec des témoignages indiquant qu’elles étaient préjudiciables aux catégories modestes de la population. Mais la question n’est-elle pas aussi de savoir ce que fait l’État pour permettre l’accès de ces personnes à une mobilité moins polluante que la voiture (trains, TER renforcés, relocalisation des emplois, etc.) ?
De même la question de la sobriété, sur laquelle insiste aujourd’hui le Giec [3], est très peu évoquée dans les JT : les voiturettes électriques, par exemple, voient leurs pollutions passées sous silence (lithium des batteries, etc.).
Vraiment @TF1Info @LCI ? « Torride » ? C’est si sexy que ça le dérèglement climatique ? 🥵
On pensait que les vagues de chaleur représentaient un véritable danger, mais nous voilà rassurés. Si vous nous cherchez on va fait bronzette avec Sea Sex and Sun dans les oreilles ☀️ pic.twitter.com/dwviwYx7Iu
— Climat Medias (@ClimatMedias) July 6, 2023
Les journalistes estiment peut-être que ces questions « techniques » sont traitées à l’occasion d’événements importants, tels les sommets internationaux ou la parution des rapports du Giec, et qu’il n’est pas besoin d’y revenir chaque fois…
Sauf qu’ils le font peu lors de ces événements. Ceux que nous avons sollicités se désintéressent d’ailleurs souvent de ces grands événements, qu’ils jugent répétitifs, complexes à expliquer et sans succès concrets. À Climat Médias, nous avons mesuré par exemple la couverture médiatique de la synthèse du 6e rapport du Giec. Du 19 au 21 mars 2023, tous les JT confondus lui ont consacré 17 minutes !
Globalement, les JT donnent encore trop l’impression que le changement climatique est un sujet comme un autre. Or ça n’est pas le cas. Le changement climatique est le prisme à partir duquel nous devrions tout reconsidérer. Parce qu’il va bouleverser notre environnement, notre économie, nos manières de vivre. Il faudrait donc revoir nos visions des choses à l’aune de ses impératifs : comment traiter de l’avion, par exemple, en passant sous silence sa contribution à l’augmentation des gaz à effet de serre, même quand il s’agit de concurrence mondiale ? C’est encore trop souvent le cas ; témoin ce reportage « Tourisme : le retour des Chinois se fait attendre en France »…
Comment expliquez-vous ce traitement de la crise écologique dans les JT ?
C’est un schéma d’information : les journalistes font de l’actu, l’illustrent avec des histoires… Les formats courts d’environ deux minutes ne les incitent guère à s’attarder sur les causes de tel ou tel phénomène, ni à créer du débat en donnant la parole à plusieurs experts. Il faudrait aussi s’interroger sur leur formation : sont-ils en capacité d’appréhender le phénomène climatique dans sa complexité ?
De nombreux médias ne sont pas indépendants…
Il est certain également que le modèle économique de ces chaînes, très dépendant de la publicité, Arte excepté, ne favorise pas les remises en question sociétales globales : comment questionner les limites écologiques de la voiture électrique quand on en fait l’apologie dans des magazines et que l’on accueille les campagnes publicitaires de grands constructeurs ?
Mais nous voyons du mieux aussi bien sur le service public que sur les chaînes privées. Depuis avril dernier, le 19-45 de M6 par exemple, s’est nettement amélioré du point de vue du traitement de la crise écologique.
Certains journalistes nous disent : « Il y a des émissions spécialisées sur ce sujet, pourquoi voulez-vous qu’on en traite dans les JT ? » C’est vrai, il y a de bonnes émissions, il y a aussi ces nouveaux formats intéressants, comme le Journal Météo Climat sur France 2 et France 3. Mais nous pensons que ce sont les personnes déjà sensibilisées à cette question du climat qui vont regarder les émissions spécialisées. Or il s’agit de travailler à y intéresser tout le monde, car l’urgence est là, les scientifiques le répètent.
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