Depuis Marseille, le refus d’être « un petit laboratoire »

Publié le 30 Juin 2023 par collectif

Presque deux ans, après le lancement du plan Marseille en grand, Emmanuel Macron redessine le décor d’un film où les uns enterrent leurs enfants lorsque les autres promettent de faire de Marseille un « petit laboratoire » du beau et de l’innovation architecturale.

Pendant trois jours, la scène marseillaise, le tri de ses protagonistes, son déroulement, les pseudo-alliances, les photos de façades, le décapage flamboyant des quartiers, les annonces d’orientations sécuritaires et économiques mettent de nouveau au premier plan les mécanismes d’essentialisation et de déshumanisation, fruits d’une politique de répression sans précédent.

Sublime triomphe de rhétorique étatique, ce n’est pas la première fois que les habitants des quartiers populaires servent de « ratons » de laboratoires pour la fabrique de dispositifs d’exceptions.

Déjà Fanon dans « Peaux noires, masques blancs »parlait de « zone de l’être » et « zone du non-être » pour penser les différences de traitement dans les différents espaces du monde colonial.

C’est aussi dans cette même ville qu’il y a tout juste 50 ans, une série de ratonnades meurtrières ont ensanglanté la ville, avec 16 assassinats de nord-africains en 1973 toujours restés impunis. Une ville où persiste la nostalgie de l’Algérie française.

Force est de constater que cette colonialité continue d’œuvrer dans sa fabrique des « ennemis de l’intérieur ».

Voici un président de la République, debout, maître du débat, du temps, de l’espace et de la circulation du micro, au milieu d’habitants qui crient leur colère et leur indignation face à l’odeur de la mort quotidienne. Fort de son impudeur, il lancera même avec un cynisme à la hauteur de ses fonctions « ensemble on va changer la vie ! ».

Un changement incarné notamment par l’entreprenariat et le lancement de forces d’action républicaine. Ces mêmes forces qui viennent d’assassiner Nahel au cœur de Nanterre ce 27 juin 2023. Dans ce décor, seul manquait l’orchestre musical cher à Trump pour accompagner ces envolées lyriques.

Cette mise en scène et ces promesses ne peuvent que nous rappeler la formation d’une élite indigène à l’époque coloniale comme le soulignent le sociologue Saïd Bouamama et le politologue Olivier Le Cour Grandmaison où il y aurait des « bons habitants » qui eux, s’engagent pour préserver l’ordre public et les autres qu’il faudrait sauver ou enfermer dans une prison qui connaît déjà des conditions de vie indigne. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), par un arrêt du 30 janvier 2020, a condamné la France pour les conditions inhumaines et dégradantes de ses établissements pénitentiaires et le non-respect du droit à un recours effectif pour faire cesser ces atteintes. Si l’on en croit les propos tenus ce 26 juin 2023 par le président de la république dans le quartier de la Busserine, la prison des Baumettes semble être une des solutions fondamentales pour venir en soutien aux habitants des quartiers populaires.

Ici à nouveau, la répression est légitimée comme moyen de dominer et de discipliner une population qu’un racisme structurel banalisé conduit à considérer comme barbare. En témoignent les diverses prises de paroles d’habitants qui insistent sur les nombreuses discriminations auxquelles ils font face pour survivre chaque jour en construisant des stratégies pour se nourrir, subsister, habiter un logement digne, se soigner, aller à l’école, etc. et éviter les balles et les dizaines d’armes de guerre qui circulent au grand jour.

Rappelons quelques faits aux figures et aux apologues de cette politique coloniale qui, prétendent incarner « le changement » avec une constance et agilité qui suscitent l’admiration. Le changement, expression si courante depuis des décennies profite d’abord aux start-up et aux bureaux d’études qui décorent nos quartiers de belles intentions civilisatrices. 

Nous concentrons à Marseille, les taux de pauvreté les plus élevés d’Europe dans les 2ème, 3ème, 13ème et 14ème arrondissements de la ville.

Si l’on rajoute à cela, les taux de sortie du collège, les taux d’échecs scolaires, les taux de pauvreté, les taux de chômage, les taux de logements insalubres et des passoires thermiques, les taux d’encadrement médical par spécialité et bien d’autres taux, nous parlons clairement d’une ville construite sur une ségrégation qui traduit dans l’espace la domination de race et de classe. Le Guide du Marseille colonial** retrace scrupuleusement comment toute l’ossature de cette ville est bâtie sur plus de 400 ans d’influence coloniale. Ses squelettes accrochés à chaque coin de rue viennent nous rappeler que les descendants de ceux qui ont fait fortune sur le commerce d’esclaves et la colonisation sont toujours bien présents et continuent d’œuvrer dans chaque espace décisionnaire.

Après Haiti, Mayotte, la Kanaky (Nouvelle-Calédonie), la loi sur le séparatisme, la réforme des retraites, la dissolution du CCIF, de plusieurs autres associations et des soulèvements de la terre, les 25 000 morts et disparus en Méditerranée ces dernières années, selon les chiffres communiqués par le HCR, la non reconnaissance des crimes coloniaux comme crimes contre l’humanité, les séries d’assassinats qui chaque année endeuillent des centaines de familles, comment peut-on penser que les « indésirables » puissent soudainement se transformer en humains réhabilités par un vent capitaliste de l’entreprenariat ou encore une émanation impérialiste sécuritaire et répressive.

Le président de la République et son ministre de l’intérieur, entourés de leur garde locale, incarneraient soudainement la voie du sauvetage républicain tant vanté par les historiens préfectoraux ?

Dans ce contexte politique français où la course aux obsessions identitaires et répressives pointe comme menace toute forme de contestation sociale et d’élan démocratique, nous n’avons plus le temps pour le gribouillage d’illusions. Nous avons juste assisté à Marseille à une énième démonstration de la politique autoritaire de la France sous la présidence d’Emmanuel Macron, parfaitement en phase avec le processus de fascisation de l’Europe.

Les mouvements de protestation qui ont toujours existé dans les quartiers populaires de Marseille, notamment par le Mouvement des Travailleurs Arabes, la marche pour l’égalité et contre le racisme, Radio Gazelle, les amicales de locataires, les luttes ouvrières, les collectifs d’habitants pour un logement digne, le collectif des écoles, le collectif des familles endeuillées ne cessent de s’amplifier contre une situation politique toujours plus dégradée et inquiétante.

Ces expressions contestataires pour une égalité des droits en actes, révèlent des aspirations à une autre société et à la construction d’alternatives structurelles qui s’attaquent en premier lieu aux inégalités économiques, sociales et raciales.

Conscients des nombreux combats à venir et des innombrables processus de résistances à inventer, c’est avec Toni Morrison que nous choisissions de cultiver l’espérance que la politique incarnée par ces coryphées a totalement dépouillée.

Les Marseillais.e.s qui se réclament aujourd’hui de cette résistance et de cette pensée critique ne peuvent plus se taire !

 » La nécessité de faire de l’esclave une espèce étrangère semble une tentative désespérée pour confirmer que l’on est soi-même normal. L’insistance mise à distinguer entre ceux qui appartiennent à la race humaine et ceux qui ne sont pas humains est si puissante que le projecteur se détourne pour éclairer non plus l’objet de la dégradation mais son créateur. »***

Le collectif du Guide du Marseille colonial

Le 28 juin 2023

 

*F. Fanon, « Peau noire, masques blancs » [1952], in Œuvres, La Découverte, Paris, 2011.

**Guide du Marseille colonial, éditions Syllepse / La Courte échelle.éditions transit, septembre 2022.

***Toni Morrison « l’origine des autres » – Christian Bourgeois Editeur, 2018.

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