10 juillet 2023 « les autorités se sont livrées de manière alarmante à une réécriture des événements », assure la LDH dans son rapport. – © Les Soulèvements de la Terre
Armes de guerre, volonté délibérée de ne pas aider les blessés… Dans un rapport accablant publié le 10 juillet, la Ligue des droits de l’Homme dénonce la version des autorités sur la manifestation à Sainte-Soline contre les mégabassines.
La Ligue des droits de l’Homme (LDH) n’hésite pas à parler de « mensonges » du gouvernement. Le 10 juillet, l’association a rendu public un épais rapport de 164 pages pour « rétablir la vérité » sur les violences policières commises à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) le 25 mars, lors d’une manifestation contre l’installation de mégabassines. Conclusion : les versions données par les autorités, que ce soit dans le rapport de la préfète des Deux-Sèvres, ou dans celui du directeur général de la gendarmerie nationale (publiés le 27 mars), ne sont pas exactes.
Après une première synthèse de la LDH publiée à chaud le 26 mars — qui dénonçait déjà « un usage immodéré et indiscriminé de la force » — ce rapport complet était très attendu. « Nous avons préféré prendre notre temps pour faire un travail document, précis, objectif », a affirmé le 10 juillet Patrick Baudouin, président de la LDH, lors d’une conférence de presse. Il insiste : il ne s’agit pas d’un rapport pour « pour contester par principe le comportement des forces de l’ordre, mais [d’] un rapport de constat ».
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Il a été rédigé par des « observateurs » et des « observatrices », des membres bénévoles de plusieurs observatoires des libertés publiques et des pratiques policières, dont le statut est protégé par le droit international. Lors du week-end de la mobilisation à Sainte-Soline, ils étaient 22 sur place, venus de toute la France. Leur mission était « d’observer les pratiques de maintien de l’ordre » en toute impartialité, sans prendre part à la manifestation. Répartis en cinq équipes, vêtus de chasubles facilement identifiables, les observateurs renseignaient des « minutiers » — des documents qui suivaient, minute par minute, l’évolution des événements.
Le rapport de la LDH se base sur ces minutiers, et sur des éléments sourcés (photos, vidéos, témoignages…) collectés a posteriori. Ainsi, l’addition de ces données a révélé que « les autorités se sont livrées de manière alarmante à une réécriture des événements », assure la LDH.
« Un usage de la force ni nécessaire, ni proportionné »
Premier point « factuellement faux » : dans son rapport, la préfète a affirmé que l’usage de la force avait été décidé « au vu des premières attaques contre la gendarmerie, sous forme de cocktails Molotov et de tirs tendus de mortier d’artifice ». Toutefois, les observateurs présents sur place relèvent que la situation était très différente selon les cortèges — répartis en trois couleurs, rose, jaune et bleu.
Pour les cortèges rose et jaune, « il n’y a pas eu de contact entre les manifestants et les forces de l’ordre, et encore moins “d’attaques” », affirme le rapport de la LDH. Ces deux cortèges ont pourtant été visés par des grenades lacrymogènes. Aucun des rapports des autorités ne mentionne les tirs sur le cortège rose — et ce alors que le commandant de la gendarmerie chargé du dispositif a reconnu le jour même que c’était une erreur, comme l’a révélé un reportage de l’émission « Complément d’enquête ».
Pour le cortège bleu, les observateurs affirment que c’est en réalité le peloton motorisé d’intervention et d’interpellation (PM2I) — des gendarmes montés sur des quads — qui est venu au contact des manifestants, alors qu’ils n’avançaient plus vers la bassine, et ne présentaient pas de danger d’envahissement immédiat. Leur présence a créé des tensions : « quelques feux d’artifice » ont été tirés par certains manifestants en direction du PM2I, sans les toucher. Les gendarmes ont alors « immédiatement répondu avec des grenades lacrymogènes sur l’ensemble du cortège ».
En outre, contrairement à ce qu’ont déclaré l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) et la préfecture des Deux-Sèvres dans leur rapport, les premiers tirs de grenades lacrymogènes ont été effectués sans sommation au préalable, et sans tentative de modération par la gendarmerie. « Il ressort de nos observations un usage de la force ni nécessaire, ni proportionné et indiscriminé sur cette période », peut-on lire dans le rapport de la LDH. Globalement, elle estime que « l’usage de la force s’est effectué sur l’ensemble des personnes présentes, sans distinction ». Des observateurs ont ainsi été visés, comme des journalistes, des élus politiques, des manifestants pacifistes, et même des personnes blessées, pourtant protégées par une chaîne humaine.
Autre « décalage » entre les versions des autorités et les témoignages de la LDH : les observateurs s’étonnent de l’absence de mention, dans le rapport de l’IGGN comme dans celui de la préfecture, de la période allant de 13 h 30 à 14 heures. « Elle a pourtant été le théâtre d’un usage massif de la force. Cette période mérite d’être analysée et cette absence de mention pose question », alerte la LDH.
Entrave à l’arrivée des secours
La manifestation du 25 mars avait réuni 30 000 personnes selon les organisateurs, et 6 000 à 8 000 selon les autorités. D’après le mouvement Les Soulèvements de la Terre — qui faisait partie des nombreuses organisations ayant appelé à la mobilisation —, les affrontements avec la gendarmerie ont blessé 200 personnes, dont 40 graves, parmi les manifestants. Une personne est ainsi restée dans le coma pendant plusieurs semaines. En tout, plus de 5 000 grenades lacrymogènes ont été tirées en quelques heures. C’est « vingt fois plus » que lors de la nuit où le militant écologiste Rémi Fraisse a été tué, en 2014.
Les observateurs ont aussi recensé d’autres « armes relevant des matériels de guerre » sur la zone : des grenades assourdissantes et explosives, et des LBD. « Ne pouvant ignorer qu’un déploiement de forces aussi démesuré et l’utilisation de matériels de guerre occasionneraient immanquablement des blessés, les autorités ont entravé les secours au mépris de la vie humaine », étrillent les observateurs.
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Dès le 25 mars, Les Soulèvements de la Terre avaient affirmé que l’arrivée des secours avait été retardée par les forces de gendarmerie. Un enregistrement d’une conversation téléphonique entre un médecin, trois avocats de la LDH et le Samu — publié par Le Monde le 28 mars — avait appuyé leurs dires. « On n’enverra pas d’hélico ou de Smur [Service mobile d’urgence et de réanimation] sur place, parce qu’on a ordre de ne pas en envoyer par les forces de l’ordre », déclarait notamment l’opérateur du Samu dans cet enregistrement. Dans ce nouveau rapport de la LDH, les observateurs dénoncent encore la « volonté délibérée [des autorités] de ne pas porter secours au plus vite » aux blessés. Selon eux, la responsabilité de l’État est donc « engagée ».
Dans un communiqué envoyé à plusieurs rédactions après la publication du rapport de la LDH, et relayé par Le Parisien, la préfète des Deux-Sèvres Emmanuelle Dubée « réfute à nouveau les accusations sur une prétendue entrave délibérée aux secours ». Selon elle, « les déclarations du Samu, des pompiers et de tous les services mobilisés montrent que ces propos sont infondés ». Elle rappelle par ailleurs que le rassemblement avait été interdit par la préfecture. Ainsi, les manifestants commettaient « un délit » en y participant.
« La volonté politique était claire : la manifestation de Sainte-Soline ne devait pas avoir lieu, et toute personne qui bravait l’autorisation préfectorale s’exposait à des risques pour son intégrité tant physique que morale », résument justement les observateurs de la LDH.
Avec ce nouveau rapport, la LDH affirme vouloir « dénoncer la falsification et les mensonges qui ont pu être proférés » après la manifestation du 25 mars. Avec un objectif : le « changement du système de maintien de l’ordre ». « Il faut qu’on revienne à une police qui protège les libertés, et non pas qui contribue à y porter atteinte », a conclu Patrick Baudouin.
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