Transats à 50 euros : en Grèce, ils luttent contre la privatisation des plages

Une plage privée couverte de parasols et de chaises longues, à Vouliagmeni, à 25 km au sud d’Athènes, le 13 août 2023. Les citoyens demandent un accès gratuit aux plages.

Sur l’île de Paros, des Grecs se mobilisent contre la privatisation des plages et le surtourisme. Ils dénoncent le laxisme des autorités et s’inquiètent de l’avenir de leurs îles paradisiaques.

Paros (Grèce), reportage

« Chaque fois que je reviens ici, ça me brise le cœur, je n’en reviens pas de ce qu’ils ont fait », dit Kostas Skiadas, qui ne peut retenir sa colère. Chaque été, le Parien revient en vacances sur son île natale et constate une occupation de plus en plus grande de la plage de Logaras, sur la côte est de l’île de Paros, dans les Cyclades. « Ils ne respectent rien. Vous voyez là-bas, les chaises longues sont presque dans l’eau alors qu’ils devraient respecter une distance de cinq mètres. Pour accéder de ce côté de la plage, il faut payer plusieurs dizaines d’euros. Mais pourquoi devrais-je payer pour quelque chose qui est censé être gratuit ? » se désole l’homme qui ne cesse de comparer ce qu’il voit avec des photos de famille, prises sur cette plage, qu’il conserve sur son téléphone. « De l’autre côté, vous avez un accès libre à la plage, mais devinez pourquoi ? L’eau est remplie de rochers. »

Depuis plusieurs semaines, il prend part au « Mouvement des serviettes » de Paros, un rassemblement de citoyens qui dénonce les occupations, parfois illégales, de plages publiques sur l’île et le manque de contrôle des autorités face au surtourisme. C’est grâce à un groupe Facebook, qui compte maintenant plus de 10 000 membres, que les rassemblements s’organisent. Il y a déjà eu plusieurs manifestations, notamment sur des plages « occupées », face à des touristes allongés sur des chaises longues, ne comprenant pas toujours ce qui était en train de se passer.

Sur la plage de Logaras, l’accès à la baignade est réservé aux personnes ayant payé une chaise longue. © Romain Chauvet / Reporterre

« L’accès aux plages a juste été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, explique Élias Petrakis, un des membres du mouvement, qui ce soir-là manifestait devant l’hôtel de ville, lors d’un conseil municipal. Tout ce qu’on voit à Paros, ce sont les conséquences du tourisme de masse et les autorités ne font rien. Il y a une explosion des constructions, un manque d’infrastructures et maintenant on nous prive de nos plages. Ne détruisons pas notre paradis pour le profit, sinon nous perdrons tout ! »

« Faire pression »

Déjà en juin, une initiative pour dénoncer des installations sans permis sur les plages a vu le jour sur l’île de Rhodes. Mais c’est le regroupement de Paros qui a entraîné une mobilisation dans tout le pays. « Au début de la saison, nous nous sommes rendu compte que plusieurs entrepreneurs qui avaient des centaines de chaises longues et de parasols sur la plage n’avaient en fait pas de permis, et que d’autres occupaient dix fois plus d’espace que ce à quoi ils avaient droit. Il est donc évident que l’État ne contrôle pas la situation, c’est pourquoi nous voulons faire pression », dit Élias, qui avec le regroupement a même créé une carte pour localiser les plages où il y a des activités illégales.

« Nous ne pouvons pas continuer sur cette voie destructrice »

Dans un pays où le tourisme est un poumon économique, et représente près d’un quart du produit intérieur brut (PIB) du pays, le mouvement fait tache en pleine saison touristique. Face à la pression populaire et médiatique, le gouvernement conservateur, réélu en juin dernier, a été forcé de réagir. « Nous n’épargnerons personne quant au respect de la légalité des plages. Certains en ont douté, mais la rapidité et les résultats des contrôles les font mentir », a déclaré le ministre grec de l’Économie, Kostis Hatzidakis.

Selon lui, près de 1 000 contrôles ont été effectués et plus de 300 irrégularités ont été constatées depuis le 21 juillet. Le gouvernement entend par ailleurs unifier ses services de surveillance du littoral avec des photographies aériennes et de l’intelligence artificielle afin de détecter plus facilement les constructions et occupations illégales de plages.

De petites victoires

Sur l’île voisine de Naxos, plusieurs chaises longues et parasols ont été retirés des plages après de récents contrôles des autorités. Mais une fois les inspecteurs partis, les activités ont repris. Trois personnes ont depuis été accusées d’occupation illégale du territoire. À Paros, le mouvement a aussi obtenu une première petite victoire dans le nord-est de l’île, sur la plage de Santa-Maria. De nombreuses chaises longues ont été retirées et les autres éloignées du bord de l’eau.

« C’est sûr que c’est une petite victoire, mais nous ne pouvons pas encore nous réjouir. Qui va aller s’asseoir entre ces chaises longues et le bord de l’eau ? » se questionne Eleni, assise avec sa sœur et sa mère sur leurs propres chaises en plastique.

Sur la plage de Santa-Maria, il faut payer 50 euros pour être sur les 1er et 2e rangs, 40 euros pour le 3e rang. © Romain Chauvet / Reporterre

Sur cette plage, il faut débourser au moins 50 euros pour s’asseoir sur les premières chaises longues. Des prix qui varient d’une plage à l’autre, atteignant parfois jusqu’à 100 euros la journée, selon des participants du mouvement. « Être sur un transat, c’est aussi dire “Regardez-moi, je suis à Paros et j’ai de l’argent”, dit l’insulaire Eleni. Je ne suis pas totalement contre, mais ils doivent nous respecter. Ces gens-là ne viennent pas de Paros et nous imposent ça partout, c’est de la folie. »

« Tout a été envahi »

À quelques kilomètres de là, Ronit Nesher se sent elle aussi dépourvue de la plage d’Ampelas où elle avait ses habitudes depuis des années. Ce qui était autrefois un bout de paradis s’est transformé en cauchemar. « La musique est forte, il n’y a presque plus de place pour poser sa serviette, tout a été envahi, c’est vraiment comme une occupation », raconte cette Israélienne d’origine qui vit à Paros. Avec son mari, ils avaient choisi spécifiquement cette île pour sa quiétude et sa douceur de vivre.

« Ils veulent transformer Paros en Ibiza ou Mykonos, mais nous ne pouvons pas continuer sur cette voie destructrice. Ces entrepreneurs ne pensent qu’à l’argent, alors nous devons nous mobiliser pour créer un avenir durable et respectueux de l’environnement pour notre île », dit Ronit, qui s’est résignée à ne presque plus aller à la plage.

Repenser le tourisme ?

La Grèce a accueilli en 2022 près de 30 millions de visiteurs, un chiffre qui pourrait être encore plus important cette année avec la fin des mesures liées au Covid-19. Avec ce tourisme de masse, certaines îles sont devenues inabordables pour les Grecs eux-mêmes et d’autres sont menacées de saturation.

« C’est clair que Paros n’est plus la même île qu’avant, je ne la reconnais plus, l’avenir est très inquiétant », avoue Yannis Rangoussis, un Parien qui vit entre Paros et Paris avec sa femme. Le couple qui possède une maison dans le centre de Parikia, la capitale, pense même ne plus venir sur l’île durant la haute saison. Rues bondées de touristes, prix en forte hausse, embouteillages, plages surchargées ne sont que quelques exemples de la nouvelle réalité sur l’île.

Près de 30 millions de visiteurs sont venus en Grèce (ici à Paros) en 2022. © Romain Chauvet / Reporterre

Pour Iosif Botetzagias, professeur en politique environnementale à l’université de l’Égée, la Grèce est à un tournant. « Depuis que je suis jeune, chaque année durant la saison touristique, on nous dit de fermer les yeux et de ne pas trop poser de questions, car c’est là où est l’argent. Mais les choses ont changé, certes nous avons toujours besoin de cet argent, mais peut-être que trop c’est trop », explique celui qui est originaire de Corfou, une autre île touristique.

Des locations de courte durée de type Airbnb qui font exploser les prix des loyers pour les locaux, des ferries qui saturent certaines îles ou encore des constructions illégales qui se multiplient, la question du surtourisme et de ses conséquences sur l’environnement agite de plus en plus la société grecque. « Durant la pandémie, plusieurs personnes ont vu pour la première fois de leur vie leur île déserte et ils se sont rendu compte que ce n’était pas si grave. »

Reste à savoir si ce mouvement de contestation aura des conséquences sur le long terme. « Cette question sera sûrement abordée durant la campagne électorale [les élections municipales d’octobre prochain], mais ces gens-là sont très puissants et ont un large réseau. Ça prendra beaucoup de temps de tout changer », regrette Iosif Botetzagias.

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