Glyphosate : vers une nouvelle autorisation malgré les études

20 septembre 2023

La Commission européenne souhaite prolonger l’autorisation du glyphosate, herbicide présent dans le Roundup, pour 10 ans. Pourtant, plusieurs études scientifiques montrent ses effets néfastes potentiels sur la santé des humains.

Dix ans de plus. La nouvelle est tombée mercredi 20 septembre. La Commission européenne propose aux États membres de l’Union européenne de réautoriser le glyphosate — la substance active du Roundup, herbicide le plus utilisé dans le monde — pour dix ans. Seules précautions avancées, la Commission recommande des « mesures d’atténuation des risques » aux alentours des zones pulvérisées, et d’apporter « une attention particulière » aux effets indirects sur l’environnement. La proposition sera officiellement présentée aux États membres vendredi 22 septembre. Ceux-ci devront voter lors de la deuxième semaine d’octobre.

Cette fois-ci, la réautorisation du glyphosate semble passer avec bien plus de facilité qu’en 2017, où, à la suite d’un intense débat, il n’avait été autorisé à nouveau que pour cinq ans. Dès 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) l’avait classé cancérogène probable, en s’appuyant sur les études scientifiques publiées à l’époque. Las, l’Agence européenne de sécurité sanitaire, l’Efsa, qui, elle, examine principalement les études produites par les industriels, a estimé début juillet que l’herbicide ne présente pas de « domaine critique de préoccupation ». Pourtant, depuis 2017, les chercheurs ont encore précisé les effets délétères de ce pesticide.

1 – Davantage de preuves d’un effet cancérogène

Le débat se concentre souvent sur les liens entre glyphosate et cancer. Ils se resserrent. En 2019, une méta-analyse, c’est-à-dire une étude scientifique regroupant toutes les données pertinentes et disponibles, a calculé que les personnes travaillant au contact d’herbicide à base de glyphosate — le plus connu étant le Roundup — avaient 41 % de chances supplémentaires de développer un lymphome non hodgkinien (un cancer du système immunitaire).

C’est sur la base de cette étude que l’Inserm (Institut national de la santé et la recherche médicale) a décidé, dans une expertise collective en 2021, de faire passer de « faible » à « moyenne » la présomption de lien entre ce type de cancer et l’exposition au glyphosate. Cette méta-analyse fait « qu’on ne peut pas dire : circulez, il n’y a rien à voir », explique Xavier Coumoul, coauteur de l’expertise de l’Inserm et directeur de l’équipe de l’institut dédiée aux polluants environnementaux. L’institut avait également, dans cette expertise, noté des liens « faibles » entre glyphosate et deux autres types de cancers : le myélome multiple (cancer de la moelle osseuse) et la leucémie.

Les personnes travaillant au contact d’herbicide à base de glyphosate — le plus connu étant le Roundup — auraient 41 % de risques supplémentaires de développer un lymphome non hodgkinien. Wikimedia / CC BYSA 3.0 / Lionel Allorge

Des constats cohérents avec les mécanismes d’action du glyphosate observés dans les études toxicologiques, relevaient alors les experts de l’Inserm. Ils notaient des « dommages génotoxiques (cassures de l’ADN ou modifications de sa structure) » pouvant « conduire à l’apparition de mutations et déclencher ainsi un processus de cancérogenèse ». Cet effet génotoxique pourrait être dû à un « stress oxydant » généré par le glyphosate, observé « chez différentes espèces et systèmes cellulaires, parfois à des doses d’exposition compatibles avec celles auxquelles les populations peuvent être confrontées », poursuivait l’analyse.

2 – Des effets perturbateurs endocriniens observés

Autre piste actuellement creusée, « les herbicides à base de glyphosate sont des perturbateurs endocriniens susceptibles d’altérer les fonctions reproductives », résumait une revue de la littérature scientifique sur le sujet en 2021. Sur 10 caractéristiques clés des perturbateurs endocriniens, le glyphosate en remplit 8, ajoutait une autre la même année.

Une étude publiée en 2019 portant sur des rats exposés à des doses de glyphosate et de Roundup — considérées comme « sûres » selon la législation étasunienne — a montré des effets endocriniens sur les mâles et les femelles depuis « la période prénatale jusqu’à l’âge adulte », écrivent les auteurs. Des effets androgènes ont été notamment remarqués, comme une apparition plus tardive des premières chaleurs et une augmentation de la testostérone chez les femelles. À noter que les effets du Roundup (donc le glyphosate associé aux coformulants de la préparation commerciale) étaient plus importants que ceux du glyphosate seul. Une observation valable dans la très grande majorité des études scientifiques.

Des études menées par l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) en France se sont, elles, intéressées aux poulets. Des coqs exposés au Roundup ont ainsi vu la mobilité de leurs spermatozoïdes décroître. Pour les poules, cette exposition chronique a abouti à une concentration de glyphosate dans le jaune de leurs œufs, à une fragilité des coquilles, une mortalité embryonnaire très élevée et un retard de développement pour les embryons survivants… « On n’a eu que trois poussins vivants sur un groupe de 1 000 œufs », s’étonne encore Anthony Estienne, biologiste spécialiste de la reproduction et coauteur de l’étude. « Alors qu’on a eu 995 poussins vivants sur le groupe contrôle [non exposé]. » Ces études récentes sur des modèles animaux montrent ainsi une perturbation des hormones, des effets sur la reproduction et parfois sur plusieurs générations.

Des études récentes sur des modèles animaux montrent une perturbation des hormones, des effets sur la reproduction – parfois sur plusieurs générations. Public domain pictures / CC / freddy dendoktoor

« Ces études ont été faites sur des modèles animaux, il faut être plus prudent pour l’espèce humaine », tempère Anthony Estienne. « Pour l’instant, on n’a qu’un faisceau de preuves, on ne peut pas tirer des conclusions. » L’Inserm encourageait en 2021 à poursuivre les recherches : « Le fait de centrer la polémique sur un potentiel effet cancérogène pourrait occulter d’autres mécanismes possibles de toxicité, en particulier un effet de perturbation endocrinienne », disait l’expertise.

3 – Une nouvelle piste : le microbiote

Les conséquences sur le microbiote sont une piste creusée récemment. « Le glyphosate est connu pour interférer avec une enzyme, c’est comme cela qu’il tue les plantes », explique à Reporterre Robin Mesnage, toxicologue au King’s College de Londres. Cette enzyme étant absente chez l’être humain, cela permettait de le présenter comme non toxique pour lui. « Mais elle est présente chez certaines bactéries et champignons de l’intestin », poursuit le biologiste.

Il a donc observé les effets du glyphosate et d’une de ses déclinaisons commerciales utilisées en Europe sur le microbiote de rats exposés à des doses considérées par la réglementation comme sûres pour la santé humaine. Il a ainsi remarqué que l’enzyme inhibé chez les plantes l’était aussi dans l’intestin des rats. Cela provoque l’accumulation dans l’intestin d’une substance, l’acide shikimique« qui pourrait agir comme un potentiel agent cancérigène », décrit-il avec les coauteurs de l’étude« On s’est aussi aperçu que le glyphosate tue certaines bactéries et permet à d’autres bactéries pathogènes de proliférer », ajoute-t-il. Or, la prolifération de certaines bactéries peut être la preuve d’une réponse à un stress oxydant, le mécanisme justement évoqué pour expliquer les liens entre glyphosate et cancer. « Le nouveau mécanisme d’action du glyphosate sur le microbiome intestinal que nous décrivons dans l’étude présentée ici pourrait être pertinent dans le débat sur la capacité du glyphosate à agir en tant que cancérogène », écrivait ainsi Robin Mesnage et ses coauteurs en 2021.

4 – Des effets neurotoxiques  ?

Une étude publiée le 6 septembre 2023 montre une corrélation entre glyphosate et dommages neurotoxiques. Plus précisément, les chercheurs taïwanais ont mesuré chez 597 adultes, représentatifs de la population des États-Unis, deux choses : la quantité de glyphosate dans les urines, et la présence d’une protéine indicatrice de lésions neurologiques dans le sang.

« Nous avons trouvé une association positive (…) indiquant que des niveaux plus élevés d’exposition au glyphosate peuvent être liés à des niveaux plus élevés de dommages neuroaxonaux », écrivent-ils. Si le lien de causalité était démontré, cette étude devrait soulever « des inquiétudes quant aux effets potentiels de l’exposition au glyphosate sur la santé neurologique des adultes américains », observent-ils.

5 – Les interactions avec le système immunitaire à l’étude

Enfin, des recherches concernant les effets sur le système immunitaire sont en cours. Le glyphosate « provoque des inflammations et affecte (…) les interactions entre les microorganismes et le système immunitaire », constatait en 2020 une revue de la littérature scientifique sur le sujet. Coauteur, Martin Pelletier, spécialiste de l’immunité et professeur à l’université Laval, au Québec, a poursuivi les recherches.

Il a observé les réactions des neutrophiles, des globules blancs importants dans le système immunitaire, à des faibles doses de glyphosate. « On retrouve du glyphosate chez à peu près tout le monde. Dans le sang, nos neutrophiles sont constamment exposés », explique-t-il à Reporterre. Il a ainsi observé que « certaines fonctions des neutrophiles sont atténuées, par exemple, avec une moindre réponse en cas d’infection. Mais ils peuvent aussi faire une réponse trop forte, ce qui dans le temps peut contribuer à des maladies de type polyarthrite rhumatoïde, par exemple, des maladies de l’immunité », décrit-il.

Ces travaux devraient être prochainement publiés. Le docteur les estime en tout cas cohérents avec les effets constatés par d’autres scientifiques. « Dans la grande majorité des études, on observe vraiment une augmentation de l’inflammation et de la réponse immunitaire. L’exposition au glyphosate pourrait donc contribuer à accentuer ou à créer une maladie inflammatoire », indique-t-il.

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Génotoxicité, stress oxydatif, perturbation des hormones et du microbiote, conséquences sur l’immunité… « C’est la somme des différents effets du glyphosate qui créent le caractère toxique », résume le chercheur Robin Mesnage. « Mais il n’y a pas que le glyphosate, c’est tout notre style de vie, la nutrition, les produits présents dans l’environnement, qui font que l’on va vers une explosion des maladies inflammatoires », précise Martin Pelletier. Les herbicides à base de glyphosate, les plus utilisés dans le monde, viennent s’ajouter au cocktail de produits chimiques dans lequel nous vivons désormais.

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