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À plusieurs reprises, Clément Beaune, le ministre des Transports, a justifié la poursuite du projet de construction de l’autoroute A69 par le rejet de tous les recours suspensifs. Mais de nombreux avocats spécialisés dans le droit de l’environnement estiment que l’État pourrait très bien attendre la décision sur le fond que le tribunal administratif de Toulouse doit rendre prochainement. Et dénoncent la précipitation gouvernementale que rien ne justifie.
Depuis le début de l’année, quand il est interrogé sur l’avenir du projet d’autoroute A69, Clément Beaune, le ministre des Transports, a du mal à cacher son embarras. Lundi 24 avril, au lendemain du premier grand rassemblement des opposants à ce projet qui doit relier Castres à Toulouse, le ministre, interviewé dans la matinale de France Info, laissait entendre qu’il pourrait être abandonné, tout en tentant, mollement, de le défendre.
« On doit évidemment revoir un certain nombre de projets routiers […] Il est hors de question de faire comme avant […] J’ai déjà annoncé que pour des projets autoroutiers qui paraissaient totalement déconnectés […], ces projets je les ai suspendus, voire supprimés […] J’ai lancé, dès le mois de janvier, une revue de tous les projets autoroutiers », déclarait-il. Avant d’entamer un pas de deux embarrassé à propos de l’A69 : « l’A69 est examiné dans ce cadre […] Ce projet est spécifique, parce que ce projet est le projet autoroutier le plus avancé. Il y a des travaux qui ont commencé […] On va regarder ce projet, et les choses ne sont d’ailleurs pas blanches ou noires. »
Cinq mois plus tard, le 26 septembre 2023, oublié le réexamen du projet A69, Clément Beaune confirmait l’inflexibilité du gouvernement au micro de la matinale de France Inter. « Ce projet a fait l’objet de très nombreuses décisions politiques et judiciaires. On est dans un État de droit, on doit le respecter […] Quand on est face à des projets, quels qu’ils soient, que des élus locaux ont confirmé, que l’État l’a confirmé, qu’il y a eu plus de dix recours déjà, que tous les recours suspensifs ont été purgés devant le juge, eh bien on doit avancer. »
Alors que la contestation reprenait de la vigueur dans les semaines suivantes et que les opposants appelaient à un nouveau rassemblement durant le week-end du 21 et 22 octobre, le ministre des Transports publiait, le 16 octobre, un communiqué de presse pour rappeler la ligne gouvernementale. Après avoir rappelé la médiation organisée par le préfet de Région Occitanie le vendredi précédent, et la très large majorité des élus en faveur de l’A69, le ministre soulignait que : « La règle de droit a été strictement respectée à chaque étape de la procédure. Le juge a écarté jusqu’ici tous les contentieux intentés contre le projet et, récemment encore, une demande de suspension des travaux. Tous les recours suspensifs ont été jugés et rejetés. »
Un argument juridique loin de faire l’unanimité chez les avocats spécialisés en droit de l’environnement. Côté pour, dans un billet de blog très macronien, tentant de concilier le soutien et la critique, l’avocat Arnaud Gossement justifiait la position gouvernementale, en rappelant que « les décisions publiques prises pour la réalisation de cette liaison autoroutière ont d’ores et déjà fait l’objet de plusieurs recours et décisions de justice. » Mais il rappelait également que « plusieurs recours en annulation sont encore en cours d’instruction devant les juridictions administratives. »
D’autres spécialistes dénoncent eux la précipitation avec laquelle l’État veut imposer cette infrastructure qu’ils jugent, comme 200 scientifiques, « climaticide ». C’est le cas de l’avocat Sébastien Mabile. Rappelant qu’« il n’y a pas de consensus chez élus locaux, un tiers des conseils municipaux ayant voté contre le projet », il souligne que les référés suspension, qui ont été rejetés, ont été examinés, dans des délais de quelques semaines, par un juge unique « qui devait vérifier deux conditions : l’urgence et le doute sérieux ». Et d’ajouter qu’en matière d’environnement, les référés suspensions sont systématiquement rejetés en raison de conditions trop restrictives.
Un constat que faisait déjà la mission « flash » sur le référé environnemental de la commission des lois de l’Assemblée nationale. Dans une communication publiée en mars 2023, deux députées, Naïma Moutchou (alors élue sous l’étiquette LREM) et Cécile Untermaier (parti socialiste), titraient une partie de leur présentation : « Des procédures de référé multiples dont l’efficacité est aujourd’hui limitée pour les litiges touchant à l’environnement. »
De plus, Sébastien Mabile rappelle que le rejet des référés suspension ne vaut pas blanc-seing pour les pouvoirs publics. Et de nombreux cas existent d’infrastructures routières construites avant qu’un tribunal administratif examine sur le fond le dossier et décide l’annulation des autorisations. En la matière l’un des cas les plus scandaleux est celui du contournement de Beynac (Dordogne) en partie construit avant que la cour administrative de Bordeaux annule, en décembre 2019, les autorisations et ordonne la destruction de l’infrastructure. « 20 millions d’euros d’argent public dépensés pour rien, auxquels il faut ajouter 12 millions pour la remise en état », souligne maitre Mabile. Pour éviter d’aboutir à ce type d’aberration, qui guette le chantier de l’A69 dont le recours sur le fond n’a pas encore été examiné par le tribunal administratif de Toulouse, l’avocat plaide pour que les procédures sur le fond soient également suspensives.
Une analyse que pourrait reprendre à son compte maître Sébastien Le Briéro. Mais l’avocat, qui vient de gagner, début octobre, devant le Tribunal de Poitiers l’annulation de neuf projets de bassines prévues sur l’Aume et la Couture (Charente et Deux-Sèvres), dénonce surtout le jusqu’auboutisme de l’État. « Si en droit, l’État a les autorisations, rien ne l’oblige à lancer les travaux immédiatement et il peut attendre le jugement sur le fond. » Et de rappeler que dans le cadre des neuf bassines annulées, l’exploitant, qui avait pourtant toutes les autorisations également, avait préférer attendre la décision du TA de Poitiers sans lancer de travaux. Soulignant la similarité de ce projet d’autoroute avec celui de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, il rappelle que la sortie de crise avait été rendue possible par une véritable médiation réunissant toutes les parties.
« La reprise des travaux ne dépend que la volonté de l’État qui n’y est pas obligé », confirme Benjamin Huglo, docteur en droit et collaborateur au cabinet d’avocats Huglo-Lepage. Lui aussi dénonce l’aberration de ce projet autoroutier, qui rejoint la longue liste des projets inutiles, couteux financièrement et destructeurs de l’environnement, comme le projet d’A412 entre Annemasse et Thonon-les-Bains.
Mais avec un président de la République qui idolâtre « la bagnole », l’État a mis les gaz. Et pas question de faire un stop. Quitte à se crasher quand le tribunal administratif de Toulouse rendra sa décision .A moins que la proximité entre le « fou du volant » élyséen et des actionnaires de la société concessionnaire de l’A69, comme l’a révélé le site d’information Off Investigation, n’explique l’excès de vitesse du gouvernement.
Crédits photo/illustration en haut de page :
Morgane Sabouret
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