Une journaliste de la chaîne i24 a fait état de la découverte, dans le kibboutz libéré par l’armée israélienne, de 40 corps de bébés, parfois mutilés. Si le massacre de civils a été d’une large ampleur, ce chiffre semble émaner d’une seule source, et n’a pas été officialisé.
Interrogée en plateau sur ce nombre et s’il concerne bien 40 bébés morts, la journaliste assure que «c’est ce qu’un commandant m’a dit» et que le nombre total de morts n’a pas encore été déterminé.
Dans un autre duplex, la journaliste se fait plus affirmative, et dit que «l’un des commandants ici présents a déclaré qu’au moins 40 bébés avaient été tués». Elle ajoute une information macabre : «Certains d’entre eux ont eu la tête coupée. Il a dit qu’il n’avait jamais vu de tels actes de brutalité.»
Ces témoignages ont immédiatement été repris. Outre, donc, le compte officiel de l’Etat israélien, ils ont été largement relayés sur les réseaux sociaux, et parfois les médias. Certaines fois au prix de confusions. Le compte du média Nexta, mêlant visiblement les différentes déclarations, affirme ainsi qu’Israël a montré la presse les corps de «40 bébés décapités» trouvés dans un kibboutz libéré.
Au-delà de cette confusion, le chiffre doit encore être pris avec prudence. CheckNews en a reconstitué le cheminement.
Tous les médias présents ont rapporté les atrocités commises par les assaillants du Hamas. A Kfar Az, comme à Nir Oz ou dans d’autres kibboutz attaqués, des massacres ont été perpétrés. Dans son reportage, l’envoyée spéciale du New York Times rapporte cette citation d’un gradé de l’armée israélienne : «Ce n’est pas une guerre ou un champ de bataille, c’est un massacre. C’est quelque chose que je n’ai jamais vu de ma vie, quelque chose qui ressemble plus à un pogrom de l’époque de nos grands-parents.»
«200 corps»
Les seuls confrères à donner une version approchante sont les collègues de Nicole Zedeck. Ainsi, le journaliste Mael Benoliel, qui travaille pour la version francophone d’I24 News. Ce dernier a rapporté sur BFM TV que «selon certaines estimations, on parle de 200 personnes [tuées] uniquement à Kfar Aza. Selon le témoignage d’un soldat avec qui j’ai pu m’entretenir sur place, un réserviste, un francophone, un médecin qui vit à Tel-Aviv, […], dès les premières heures où ils étaient sur place, ils ont dénombré pas moins de 40 enfants, qui ont été exécutés, éventrés. Parmi eux des bébés». Il est ici question d’enfants, parmi lesquels des bébés. Il est fait mention de mutilations, mais pas de décapitation.
Un autre journaliste de la chaîne, Pierre Klochendler, a évoqué ce sinistre bilan depuis Kfar Aza : «Il y a 200 corps gisant sur le sol ou brûlés. Et parmi eux, il semblerait qu’il y ait 40 nourrissons et enfants. 200 corps sur une population de 765 personnes dans ce kibboutz. C’est près d’un tiers de la population de ce kibboutz.»
Comment i24 a pu avoir une information que tous les autres journalistes présents n’ont pas eue ? Contacté par CheckNews, Mael Benoliel précise au préalable qu’il n’a pas vu lui-même «d’enfants tués ou décapités, ce sont des témoignages de soldats».
Et de lister les différents interlocuteurs auxquels ils ont été confrontés : «Nous avons ainsi rencontré un premier soldat, Michaël, médecin réserviste habitant près de Tel-Aviv, qui nous dit que dès les premières heures sur place, il dénombre 40 jeunes enfants exécutés, mais sans nous dire comment ils ont été tués. Un second soldat, David [David Ben Zion, voir tweet plus haut, ndlr], nous parle, lui, de femmes et d’enfants décapités. Un troisième soldat, enfin, qui était là mais qui évoquait des atrocités dans une autre commune, évoque des victimes découpées en morceaux.» Le chiffre de 200 victimes en tout dans ce Kibboutz proviendrait, quant à lui, du responsable de l’organisation de secours Zaka, chargée d’identifier et d’enlever les corps. Ce nombre non plus n’est pas rapporté par les autres médias. Dans une dépêche publiée mardi soir et racontant l’ « enfer » vécu à Kfar Azar, Reuters assure : « il n’y avait pas de bilan officiel des morts dans le kibboutz de Kfar Aza mardi soir, les soldats israéliens continuant de fouiller les maisons qu’ils soupçonnent d’être piégés avec des explosifs. »
Version moins affirmative
Nicole Zedeck a-t-elle mélangé différents témoignages ? CheckNews a essayé de la contacter sans succès.
Mais il est notable que face à l’ampleur de l’émoi créé, la journaliste, sur X (anciennement Twitter), a donné une version un peu moins affirmative que celle donnée à l’antenne, affirmant : «Des soldats m’ont dit qu’ils pensaient que 40 bébés /enfants avaient été tués. Le nombre exact de morts est encore inconnu alors que l’armée continue de se rendre de maison en maison pour trouver de nouvelles victimes israéliennes.»
Malgré la reprise de l’information par le compte X de l’Etat d’Israël (qui s’est donc contentée de partager la vidéo d’i24News), aucune confirmation officielle n’a été apportée. Sur CNN, un porte-parole de Tsahal a évoqué des atrocités, mais a affirmé ne pas encore «pouvoir confirmer ces décapitations dont il est beaucoup fait état».
Interrogé par le site d’information américain Business Insider, le major et porte-parole de l’armée israélienne, Nir Dinar, aurait affirmé, selon le média, «que ses soldats avaient trouvé les cadavres décapités de bébés à Kfar Aza, un kibboutz près de Gaza».
«Le porte-parole a dit à Insider que même s’il n’avait pas vu d’images ou de vidéos lui-même, ‘‘des soldats sur le terrain qui sont là me l’ont dit’’», ajoute le site.
L’agence de presse turque Anadolu assure, dans un message publié sur X dans la soirée, que «l’armée israélienne [lui] indique ne pas disposer d’informations confirmant les allégations de décapitation de bébés par le Hamas».
Enfin, le journaliste du quotidien Haaretz a publié son reportage tard dans la soirée. Il confirme qu’un massacre d’ampleur a eu lieu sur place, mais qu’il est trop tôt pour pouvoir chiffrer le nombre de victimes. En effet, « le travail de localisation et d’enlèvement des corps n’a commencé que mardi après-midi et prendra de longues heures, voire des jours, jusqu’à ce que les équipes d’inhumation du Rabbinat militaire et les forces de secours du front intérieur aient fait le tour des maisons». Un responsable de cette équipe ajoute: «C’est aussi grave, probablement pire, que le massacre du kibboutz Be’eri», où 108 corps ont été découverts la veille.
Article mis à jour mercredi 11 octobre 2023 à 00h33 ajout du témoignage du reporter du Haaretz.
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