Comment caractériser le régime politique d’Azerbaïdjan ? Le président toujours « réélu » Aliev a succédé à son père, qui était premier secrétaire du PC d’Azerbaïdjan, dont au pouvoir, en URSS depuis 1974. En fait, le clan Aliev avait mis la main sur le pays en prenant le contrôle du KGB local sous Staline en 1944, et auparavant il tenait l’exclave azerbaïdjanaise du Nakhitchevan, située entre l’Arménie, l’Iran et la Turquie, pratiquement depuis la création de la « république soviétique » en 1920. La richesse du clan qui possède le pays provient des hydrocarbures, singulièrement aujourd’hui de la vente de gaz « azéri », mais en fait russe, à l’Europe. Une satrapie capitaliste, en quelque sorte – et depuis bien avant 1989 !
L’Arménie est ce qui reste comme territoire national au peuple arménien, victime d’un génocide en 1915-1920, mené par Enver Pacha et les Jeunes turcs. L’Artsakh (en arménien) ou le Karabagh (en azéri) est un territoire arménien alloué par Staline à l’Azerbaïdjan, qui avait conquis sa souveraineté dans les années de la fin et de l’explosion de l’URSS. Le fait que des clans mafieux se soient appuyés sur ce territoire non reconnu et aient expulsé des habitants turcs azéris minoritaire doit être condamné, mais ne modifie pas le caractère nationalement arménien, du fait de la grande majorité de sa population, de ce territoire.
Son expulsion violente est en cours. Et nul n’est dupe : Aliev et Erdogan visent ensuite à l’occupation azerbaidjanaise des territoires arméniens séparant l’Artsakh/Karabagh du Nakhitchevan, réunissant donc Azerdaidjan et Turquie (Erdogan : « une nation, deux États« ) en encerclant l’Arménie, menacée d’étouffement. Il s’agit bien d’un dynamique génocidaire, et l’on comprend pourquoi la posture outragée de l’Etat turc envers toute reconnaissance du génocide dont furent victimes au XX° siècle les Arméniens et la quasi totalité des Assyriens : le recommencer, le « terminer », n’a jamais été exclu. Tout négationnisme d’un génocide porte en lui le retour de la pulsion génocidaire …
Il est d’autant plus important de saisir ce qui est en jeu, que l’écrasement de l’Artsakh/Karabagh a eu lieu avec l’accord au moins tacite des troupes russes dites d’interposition, et donc de Poutine. Le fait que les gouvernements arméniens successifs aient cherché la fausse protection russe, et l’apparence des traités internationaux pour lesquels ce territoire est azerbaïdjanais, cautionne en Ukraine une position anti-arménienne assez répandue et qui est celle du gouvernement Zelenski. La solidarité internationaliste est indivisible : pas question de partager une telle position.
Nous reproduisons ci-dessous comme document la déclaration du 22 septembre (faite, donc, avant la liquidation totale des éléments d’autonomie arménienne au Karabagh/Artsakh), du Mouvement socialiste russe, traduite à partir de sa version anglaise. Les camarades du Sotsialnyi Rukh ukrainien et de la gauche ukrainienne dont nous avons des messages partagent, pour autant que nous sachions, une position analogue de condamnation de la menace génocidaire pesant sur les Arméniens du Karabagh/Artsakh, voire d’Arménie.
Le mardi 19 septembre au matin, l’Azerbaïdjan a lancé une agression militaire de grande envergure contre le Haut-Karabakh/Artsakh. Le régime militariste d’Aliyev bombarde les villes et les villages du Haut-Karabakh sous le slogan cynique d' »opération anti-terroriste », exige le retrait des troupes arméniennes et la dissolution des autorités du Haut-Karabakh. Selon le médiateur des Droits de l’homme de la République d’Artsakh, Gegham Stepanyan, 200 personnes ont été tuées et 400 blessées, dont des enfants, des femmes et des personnes âgées. L’agression d’Alyev contre l’Artsakh a été suivie, sans surprise, par les déclarations des médias azerbaïdjanais et russes sur l’ouverture du corridor de Lachin et d’autres corridors humanitaires pour l’évacuation des civils.
Le régime militariste d’Alyev a ouvertement attisé l’hystérie nationaliste et s’est préparé à une nouvelle guerre visant au nettoyage ethnique. Depuis décembre 2022, le régime d’Alyev a bloqué le corridor de Lachin reliant l’Artsakh à l’Arménie et a suspendu l’approvisionnement en gaz, ce qui a conduit la région au bord de la catastrophe humanitaire. Une nouvelle vague d’agression militaire azerbaïdjanaise contre le Haut-Karabakh est devenue possible parce que les événements récents, notamment l’invasion russe de l’Ukraine, ont démontré à Alyev que les agresseurs peuvent facilement s’en tirer en commettant des crimes de guerre.
La rhétorique agressive du régime d’Alyev à l’égard de l’Arménie implique que cette guerre pourrait se prolonger au-delà du Haut-Karabagh. Depuis l’invasion russe de l’Ukraine, nous avons compris que le discours de « démilitarisation » ignore les frontières internationalement reconnues.
Outre Alyev, Poutine et Erdogan sont les bénéficiaires évidents de la guerre. La politique étrangère russe prouve que Poutine ne tolère pas la subjectivité politique des pays qu’il considère comme étant à jamais dans la sphère d’influence russe. Le fait qu’une série de conflits militaires, dont certains se sont déroulés dans la zone de responsabilité des forces de maintien de la paix russes, ait suivi l’élection de Nikol Pashinyan au poste de Premier ministre de l’Arménie montre que ces événements sont liés entre eux. Le gouvernement russe a fait porter la responsabilité de la détérioration de la situation au gouvernement arménien alors qu’il reconnaissait l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan (plutôt qu’à Alyev ou aux forces de maintien de la paix russes). Les propagandistes de Poutine et Dmitri Medvedev ont fait allusion à la nécessité de remplacer le gouvernement arménien par un régime plus pro-russe sans équivoque. Pour Poutine, un éventuel coup d’État constitutionnel en Arménie pourrait être l’un des résultats escomptés de la guerre actuelle lancée par Aliyev.
Erdogan a ouvertement soutenu l’offensive de l’Azerbaïdjan et affirmé que l’objectif de la guerre n’était pas seulement d’obtenir le contrôle du Haut-Karabakh, mais aussi de forcer l’Arménie à ouvrir le corridor de Syunik, ce que l’Azerbaïdjan et la Russie obligent également le gouvernement de Pashinyan à faire.
Le Mouvement socialiste russe s’oppose à l’agression militaire de l’Azerbaïdjan contre le Haut-Karabakh, dont les véritables objectifs sont la préservation du régime dictatorial d’Aliyev et le maintien des intérêts impérialistes de Poutine et d’Erdogan.
1) Nous exigeons un cessez-le-feu immédiat et des négociations avec le Haut-Karabakh sans aucune condition préalable de la part de l’Azerbaïdjan.
2) Nous exigeons de la communauté internationale des actes concrets au lieu de déclarations d’inquiétude non contraignantes, tels que a) l’imposition de sanctions au gouvernement azerbaïdjanais afin de contraindre Aliyev à mettre fin à l’opération militaire ; b) la garantie de la sécurité de la population de l’Artsakh, qui a été prise en otage par les jeux politiques complexes des dirigeants de l’Azerbaïdjan, de la Turquie, de la Russie, de l’Arménie et de la République du Nagorno-Karabakh.
Le régime d’Alyev ne reconnaît pas le droit du peuple d’Artsakh à l’autodétermination. En outre, les gardes-frontières azerbaïdjanais qui ont pris le contrôle du corridor de Lachin ont à plusieurs reprises kidnappé des hommes qui tentaient de quitter le Nagorny-Karabakh au cours de l’été et les ont accusés d’être membres de groupes militaires illégaux. Les plans d’intégration de la population arménienne du Haut-Karabakh annoncés par le régime d’Alyev ne semblent pas moins sinistres.
Sans une interférence internationale réelle, et non virtuelle, le génocide de la population arménienne de l’Artsakh est plus que possible. Nous demandons instamment à la gauche d’exiger de leurs gouvernements qu’ils prennent des mesures actives pour empêcher le nettoyage ethnique dans le Haut-Karabakh.
Nous exprimons notre solidarité avec le peuple du Haut-Karabakh/Artsakh.
Paix aux chaumières, guerre aux palais et aux dictateurs !
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