Un faux péage, des entreprises de BTP attaquées et une nouvelle zad… Au « Ramdam sur le macadam », la grande mobilisation contre l’A69, les milliers de manifestants ont multiplié les cortèges pour déjouer le dispositif policier.
Saïx (Tarn), reportage
Une femme disparaît dans l’obscurité du couloir d’une imposante bâtisse. Un instant après, là voilà qui surgit à nouveau le poing dressé vers les cieux, dans l’encadrement d’une fenêtre haut-perchée. « Bienvenue à la Cremzad ! » crie-t-elle en brandissant une banderole, où ces mêmes mots ont été peinturlurés en majuscules. Deux étages plus bas, une foule de visages pétillants l’acclament.
Le 21 octobre, aux abords de Saïx, dans la campagne tarnaise, plus de 10 500 personnes — 5 000 d’après le cabinet du préfet — ont participé à la grande mobilisation « Ramdam sur le macadam ». Objectif : réclamer l’arrêt immédiat des travaux de l’A69, un projet autoroutier controversé devant relier Toulouse à Castres. Et si les gouvernants craignaient « un Sainte-Soline bis », il n’en fût rien. À la place, les militants ont orchestré la création d’une nouvelle Zone à défendre.
Pour ce faire, les opposants à l’A69 ont dû user de malice. Aux alentours de 13 h h, non pas un, ni deux, mais six cortèges distincts se sont formés sur le camp de base — un pour chaque « mensonge » de l’A69 [1]. De petits tracts avaient été distribués auparavant pour détailler les missions de chacun d’eux. Une fois dispatchés sous les étendards colorés, les participants ont quitté les lieux en empruntant différents chemins.
Pierres et graffitis
L’équipe dorée a alors pris la direction du laboratoire Pierre Fabre, principal défenseur du projet contesté. En chemin, des dizaines de personnes cagoulées ont pénétré sur le site de l’entreprise de travaux publics Bardou — « impliquée dans le chantier » d’après les militants — en abattant les barrières métalliques qui en protégeaient l’enceinte. Quelques cailloux finissent leur vol dans les vitres du bâtiment, aux murs immaculés rapidement parsemés de graffitis.
« Un comité d’accueil nous attend un peu plus loin », lance l’un des participants. Au bout de son doigt, pointé à l’horizon, se distingue un impressionnant barrage érigé par les hommes en uniforme. « Alors on se serre, et quoi qu’il arrive… No macadam ! »
Quelques minutes plus tard, face à l’ampleur du dispositif policier et la pluie de lacrymogènes, les militants tout de noir vêtus abandonnent leur objectif initial. Une personne, allongée sur une civière, est rapatriée sur le campement par les street medics.
« Les individus y ont déclenché un incendie »
Au même instant, l’équipe rouge a envahi une cimenterie de l’entreprise Carayou. « Les individus y ont déclenché un incendie, dénonce la préfecture du Tarn. Les dégâts matériels comprennent un algéco, trois véhicules toupies et un engin de travaux. » Appuyés par un hélicoptère, les 400 policiers et les 1 200 gendarmes mobilisés semblent avoir concentré une belle partie de leurs forces face à ces deux attaques éclair.
Les trois autres cortèges étaient, eux, plus tranquilles et familiaux. L’un consistait en une balade à vélo, l’autre en une marche silencieuse. Le dernier, guidé par les agriculteurs, s’est rendu sur la route actuelle, la RN126 qui doit demeurer à côté de l’autoroute.
Faisant face aux militaires, les manifestants se sont mis à scander « Nous sommes tous des écoterroristes » en tapant dans leurs main sur le rythme du slogan antifasciste « Siamo tutti antifascisti ». Les militants y ont construit un faux péage à 17 €, prix d’un futur aller-retour entre les deux villes via l’A69.
« Nous sommes tous des écoterroristes »
Pendant ce temps-là, à quelques pas du camp, une troisième opération avait lieu. Le cortège à l’étendard violet a profité de cette diversion pour accomplir sa mission dans la plus grande discrétion. Des oreilles de lapin en guise d’ornement, une femme raconte l’irruption sur le lieu-dit La Crémade, une ancienne ferme au milieu des champs : « Le promoteur de l’A69, NGE avait muré tous les accès à ces belles bâtisses. Il avait aussi déversé des tonnes de lisier pour que personne n’ait envie d’y revenir. Mais voilà, on a tout nettoyé. »
Le matin même, Étienne, d’Extinction Rebellion prévenait : « Rien n’est perdu. De très célèbres luttes, comme celle de Notre-Dame-des-Landes nous ont montré le champ des possibles. » Aussitôt appuyé par Denis, du collectif La Voie est libre : « Atosca et l’État essaient de nous faire croire qu’il est trop tard, que l’avancement des travaux ne permet plus de faire marche arrière. C’est faux ! La langue de bitume entre Toulouse et Castres est loin de voir le jour, il faut poursuivre le combat. »
Zad et skis
À la tombée de la nuit, les yeux écarquillés, des centaines de militants naviguent à présent dans le labyrinthe de couloirs de ces quelques maisons abandonnées. Quelques bibelots d’un autre temps demeure à droite à gauche. Un cadre, une télévision, quelques bouteilles d’alcool intactes et une paire de ski en bon état : « Dommage qu’il ne neige presque plus », s’amuse un visiteur.
Puis, tous s’assoient dans le jardin et un homme s’écrie, sourire aux lèvres : « Malgré la répression, nous y voilà ! On a réussi à occuper ce lieu… et on compte bien l’investir durablement. » La création d’une zad ? Certains assument déjà le mot. Une chose est sûre, ces bâtisses expropriées par le promoteur du projet sont au cœur du tracé de l’A69.
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