19 octobre 2023
Des militants se sont enchaînés le 18 octobre à des engins de chantier détruisant une forêt des Alpes du Sud, pour y construire un parc photovoltaïque. Malgré la répression, la lutte se poursuit.
Cruis (Alpes-de-Haute-Provence), reportage
Quelques maigres bouquets de thym ont survécu aux roues et chenilles des engins. « C’est le bordel, y en a quatre [militants] qui sont entrés cette nuit et se sont attachés aux machines », alerte par téléphone un vigile à destination de ses collègues. Les militants d’Extinction Rebellion (XR) se sont enchaînés le 18 octobre à deux énormes perforeuses de sol avec la technique de l’« arm lock ». Ils ont passé leurs bras dans d’épais morceaux de tuyaux, qu’il faudrait découper pour les délier. De quoi obliger les machines à cesser tout travail.
« Stop au photovoltaïque dans nos forêts », proclamait une banderole déployée tôt le matin par d’autres militants sur cette partie du chantier de la montagne de Lure, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Une vingtaine de personnes ont participé à cette action coorganisée par les groupes XR de Marseille, d’Aix-en-Provence et des Hautes-Alpes avec le collectif Elzeard, Lure en résistance.
Ailleurs sur le chantier, les ouvriers s’affairaient déjà avec des pelleteuses et des camions pour ériger un parc photovoltaïque de 17 hectares, sur deux parcelles vendues par la commune de Cruis à l’industriel canadien Boralex. Le parc aux 20 000 panneaux permettrait une production électrique équivalente à la consommation de 19 000 personnes, selon l’entreprise. Si la forêt est déjà détruite, les militants tentent de protéger les habitats d’espèces protégées, notamment du lézard ocellé, menacés par l’installation des panneaux solaires.
Deux militantes déjà poursuivies
Après quinze jours de suspension, les actions militantes ont ainsi repris le 18 octobre. La mise en examen de deux activistes début octobre avait calmé les ardeurs. Âgées de 60 et 72 ans, elles s’étaient allongées devant un camion, avant d’être interpellées et de passer vingt-huit heures en garde à vue. Le 5 octobre, elles ont été présentées devant le tribunal de Digne-les-Bains en vue d’une comparution immédiate.
À l’audience, sur demande de la défense, le procès a été reporté au 14 novembre prochain. Elles sont désormais sous contrôle judiciaire avec interdiction d’apparaître à Cruis, ainsi que sur deux communes voisines.
De leur côté, les bloqueurs du 18 octobre ne sont actuellement pas inquiétés. Deux gendarmes de la brigade locale ont relevé les identités de toutes les personnes présentent sur la propriété privée de Boralex, promettant une convocation aux activistes enchaînés aux machines.
« Nous ne sommes pas contre le photovoltaïque en soi. Tout dépend de l’endroit où il est installé. Ce n’est pas possible de prétendre faire de l’énergie verte en rasant des forêts », explique Jérôme [*], 21 ans, militant de XR Marseille. « C’est tellement aberrant. On a plein de centres commerciaux qui ont déjà bétonné des terres. Ce ne serait pas compliqué de mettre des panneaux solaires sur leurs toits », abonde Caroline [*], accrochée avec Jérôme à une machine.
Une loi qui favorise le photovoltaïque sur la forêt
Depuis un an, les blocages se répètent sur ce site. S’ils n’ont pas réussi à empêcher l’abatage des conifères qui peuplaient la pente calcaire, ils freinent régulièrement les travaux. Les opposants dénoncent en outre tout un ensemble de projets photovoltaïques qui pourraient « miter la montagne de Lure », affirme Everest [*].
Autour de la montagne emblématique de Haute-Provence, plus de 1 000 hectares de forêts pourraient laisser place à des parcs photovoltaïques au nom de la transition énergétique, selon un décompte récent de Basta !. D’après le recensement de Reporterre à l’échelle de la France, ce sont au moins 3 400 hectares qui pourraient être ainsi déforestés.
Et ce n’est qu’un début : adoptée en mars, la loi sur l’accélération de la production des énergies renouvelables (Aper) favorise les dérogations d’aménagements sur des espaces naturels ou agricoles s’ils « sont réputés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur ». Selon le mécanisme prévu par la loi, la préfecture des Alpes-de-Haute-Provence a envoyé un courrier aux maires pour leur demander de recenser les endroits qui seraient susceptibles d’accueillir des panneaux solaires.
Deux plaintes pour atteinte à l’environnement
Non loin des machines bloquées, un travailleur empêché confie sa lassitude. « On a lu les arguments des opposants, on les comprend. Mais ce n’est pas Boralex qu’ils emmerdent, c’est nous. Pourquoi ils ne vont pas en justice pour s’attaquer aux responsables », interroge celui qui défend sa nécessité de « bosser pour nourrir [sa] famille ». Les opposants se sont effectivement déjà tournés vers la justice.
Deux plaintes formulées par une dizaine d’associations environnementales et transmises au parquet de Digne-les-Bains en juillet et en octobre dénoncent plusieurs atteintes au Code de l’environnement. Elles dénoncent des faits de « dégradation, altération et destruction d’habitat d’espèces protégées », « perturbation intentionnelle d’espèce protégée » et de « défrichement réalisé sans autorisation ».
« On est sur un danger critique d’extinction »
Dans la plainte la plus récente, les associations relèvent l’atteinte à l’habitat d’une cinquantaine d’espèces menacées, dont trente-huit espèces d’oiseaux « considérées comme nicheuses sur le site ». Or Boralex détient une dérogation de la préfecture lui permettant de détruire les habitats de seulement une dizaine d’espèces menacées.
Pour certaines, « l’enjeu est colossal », affirme Pierrot Pantel, de l’Association nationale pour la biodiversité (ANB). Comme pour un petit oiseau, le traquet oreillard, observé « en halte migratoire » sur le site, qui pourrait présenter des « habitats favorables en période de nidification », précise la plainte. « C’est un passereau dont on dénombre seulement neuf couples dans la région. On est sur un danger critique d’extinction », dit Pierrot Pantel.
L’associatif dénonce l’insuffisance des études d’impact de Boralex. À sa demande, le Conservatoire des espaces naturels de Provence-Alpes-Côte d’Azur est venu faire des relevés au sujet des habitats des papillons. Il a constaté la forte présence d’une plante hôte du papillon alexanor, une espèce faisant l’objet d’un plan national d’action en vue de sa protection. « Plus d’une quinzaine de pieds de ptychotis saxifraga [une plante] ont rapidement été trouvés dans un secteur où sa présence n’était pas mentionnée » dans les études de Boralex. Les militants comptent donc poursuivre leurs actions.
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