Cisjordanie : les violences des colons se multiplient, vers une explosion sociale ?

Depuis l’attaque du 7 octobre les colons israéliens multiplient les actes violents en Cisjordanie et tentent de conquérir de nouvelles terres. Face à ces attaques et le massacre en cours à Gaza, la colère des Palestiniens pourrait se transformer en explosion sociale et fragiliser l’Autorité Palestinienne alors que Biden et l’UE en font un acteur clé pour régler le conflit à Gaza.

Hugo Simon

20 novembre

Photo de bâtiments détruits à Tulkarm en Cisjordanie

Si depuis le 7 octobre les regards sont rivés vers la Bande de Gaza, la situation en Cisjordanie est chaque jour plus préoccupante. D’après Orient XXI plus de 220 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie et à Jérusalem tandis qu’au moins 1 110 palestiniens ont été déplacés de force selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies et que 2 500 arrestations ont eu lieu, rapporte Le Monde

220 morts, 1 110 déplacés, 2500 arrestations : la colonisation progresse en Cisjordanie avec l’appui de Tsahal

Main dans la main, les colons et l’armée israélienne s’adonnent en effet au harcèlement des Palestiniens de Cisjordanie, et procèdent aussi bien à des bombardements et attaques directes qu’à des intimidations répétées, avec par exemple des irruptions successives de l’armée dans des domiciles ou des humiliations lors de contrôles aux checkpoints. Ainsi, l’appareil israélien est particulièrement offensif depuis le 7 octobre dernier avec des crimes recensés aux quatre coins du territoire occupé, à Jénine au nord de la Cisjordanie, Naplouse au centre du territoire, à Tulkarem, à l’ouest près de la frontière, à Bethléem, Hébron au sud et dans les environs de Ramallah où siège l’Autorité Palestinienne.

Ces agressions ultra-violentes surviennent alors que les affrontements ont été particulièrement virulents ces derniers mois en Cisjordanie, avec 208 palestiniens tués entre le 1er janvier et le 7 octobre 2023 et des attaques de camps de réfugiés rencontrant une forte résistance. Dans un contexte de nouvelle radicalisation de l’extrême-droite sioniste, cette dernière tente de profiter de la situation à Gaza pour renforcer la colonisation.

Les colons mènent en effet d’importantes offensives en zone C, c’est-à-dire dans les parties de Cisjordanie sous total contrôle sécuritaire et administratif israélien. Ils s’appuient pour ce faire sur des « avant-postes », des fermes à partir desquels des colons armés harcèlent les Palestiniens. Depuis le 7 octobre, les menaces et violences incessantes ont contraint les Palestiniens à fuir, faisant disparaître seize communautés palestiniennes. Les sionistes civils poursuivent en outre leur offensive vers Naplouse, la vallée du Jourdain ou le sud de la Cisjordanie occupée, comme le rapporte un reportage d’Orient XXI. En parallèle, l’armée d’occupation a multiplié les incursions en zone A, sous contrôle sécuritaire palestinien, et dans des villes comme Tulkarem, Bethléem, ou encore dans les environs de Ramallah.

Une offensive combinée qui donne à voir la collaboration entre Tsahal et les colons, renforcée depuis le 7 octobre et la décision du ministre d’extrême-droite et suprématiste Ben Gvir de distribuer 25 000 armes, selon le journal israélien Haaretz. Pour encadrer cet armement des civils, l’Etat israélien à procédé au renforcement des cellules d’autodéfense populaires, appelées « kitot konenuten » en hébreu. Ces « cellules », qui existent depuis le début du sionisme et ont joué un rôle important dans la Nakba, sont restées actives en Cisjordanie.

Depuis le 7 octobre elles concentrent désormais « plus de volontaires, plus d’armes, et plus de renseignement » comme l’explique Tomer Lotan, ancien directeur général du ministère de la sécurité publique et sont maintenant dirigées par un « chef de la sécurité » en lien avec la police, qui entraîne et encadre ces milices ultra-radicales. Elles ont en outre été relancées dans des villes frontalières, souvent sous l’impulsion des pouvoirs publics, comme à Kfar Saba où le maire de la commune explique au Monde pouvoir procéder à des « réponses rapides » grâce à cette milice citoyenne. Signe de la progression de l’extrême-droite sioniste et des suprémacistes juifs, des médias israéliens estiment que plus de 600 unités de ce type auraient été créées depuis l’attaque du Hamas.

Dès lors, les liens entre colons et forces militaires semblent plus intriqués que jamais, comme l’explique Dror Sadot, porte-parole de l’organisation de défense des droits humains B’Tselem : « Les Palestiniens nous disent parfois ne pas savoir par qui ils ont été attaqués, des militaires ou des colons […] La ligne devient très fine entre les deux. Et cela montre la façon dont Israël agit avec les colons : il les soutient complètement. ». Une situation confirmée par des diplomates occidentaux, rapporte le Financial Times

La violence des colons va-t-elle déclencher une explosion sociale des Palestiniens ?

De l’avis de nombreux observateurs, cette situation d’extrême-tension pourrait bien faire exploser la Cisjordanie. Le harcèlement constant dont sont victimes les Palestiniens, rappelle à certains les situations à l’œuvre avant le déclenchement des dernières intifadas. C’est en tout ce qu’affirme Mati Steinberg, ancien responsable des organes de sécurité israélien et conseiller de quatre chefs différents des services de renseignement intérieur. Interrogé par Le Monde il explique que la situation pourrait entraîner une explosion d’ampleur : « Il ne faut pas s’imaginer qu’une insurrection sera décidée, de façon centralisée, mais plutôt qu’un mouvement pourra démarrer brutalement en raison des tensions extrêmes ».

Une éruption d’autant plus envisageable que les Palestiniens de Cisjordanie ont adressé une forte résistance aux forces d’occupations ces derniers mois, avec un retour y compris de la lutte armée dans plusieurs villes du territoire. Aussi, comme l’explique l’historienne Stéphanie Latte Abdallah, ces dernières années ont aussi été marquées par l’émergence de groupes armés autonomes, notamment au Nord de la Cisjordanie, ainsi que par des tendances aux affrontements entre Palestiniens et colons qui atteignent parfois une intensité équivalente à la dernière « intifada ».

A Jénine et Naplouse notamment, de nouvelles organisations ont émergé, composées d’une nouvelle génération de militants qui se regroupent dans des organes comme « les Brigades de Jénine ». Composées d’anciens membre du Jihad islamique, d’autres groupes de résistance ou bien du Fatah, ces forces armées se veulent inter-factionnelles. A Naplouse également des groupes comme la « Tanière des Lions » ont vu le jour depuis le début de l’année 2022, comme l’explique l’Association France Palestine Solidarité dans un article de novembre dernier. Une recomposition politique qui semble se faire dans la continuité du mouvement de Sheikh Jarrah en 2021 et qui souligne le potentiel éruptif de la situation en Cisjordanie.

Pour ce qui est du Hamas, si de nombreux diplomates ou éditorialistes occidentaux s’inquiètent qu’il capitalise sur la situation en Cisjordanie, le soutien au groupe islamiste est difficile à mesurer, tant l’expression politique ou électorale est muselée par les forces d’occupation ou par l’autoritarisme de l’Autorité palestinienne qui empêche la tenue de nouvelles élections. Sans pouvoir juger du niveau d’adhésion au projet du Hamas dans la population, plusieurs signes indiquent cependant que la résistance qu’il oppose à Gaza semble rencontrer un écho important en Cisjordanie. C’est ce que relate Le Monde, citant une jeune femme palestinienne : « Ce qui se passe à Gaza est un génocide. Il n’y a pas d’autre mot. Et on ne peut rien faire. Que le Hamas frappe Israël ? C’est très bien. On a le droit de se défendre. » ou bien un homme vivant dans le camp de Jénine : « Je suis contre les idées du Hamas, je ne partage pas leurs opinions. Mais nous avons un terrain d’entente possible, nous voulons la fin de l’occupation. Après la guerre, quand nous serons libérés, il sera temps de régler nos différends. A cette heure, beaucoup de gens rejoignent la résistance, voilà notre actualité, ici. ».

Un soutien qui exprime surtout en creux l’hostilité à l’encontre du Fatah et de l’Autorité palestinienne, qui administre la Cisjordanie en acceptant la subordination à l’Etat israélien.

Une explosion sociale en Cisjordanie fragiliserait l’Autorité Palestinienne et le Fatah, mais aussi les Etats-Unis et l’Union européenne

Dans ce contexte, la violence des colons en Cisjordanie et le génocide en cours à Gaza met particulièrement sous pression l’Autorité Palestinienne et le parti qui la dirige, le Fatah. Poussés par leur base, plusieurs représentants de cette organisation, largement rejetée par la population en raison de sa compromission avec l’occupant israélien, poussent vers un changement de ligne. Le représentant de l’organisation dans la province de Jénine est par exemple emprisonné par Israël depuis le 1er novembre pour s’être affiché avec deux responsables locaux du Hamas et du Jihad islamique, dans une déclaration unitaire.

Dans le même sens, Abbas Zaki, veux militant du Fatah et membre de son comité central revendique que l’offensive du Hamas ait interrompu le processus de normalisation entre Israel et les Etats arabes. Ce dernier estime que « des membres du Fatah à Gaza combattent aujourd’hui aux côtés du Hamas ». Une volonté de rapprochement qui acquiert une force inédite depuis 2007, et qui est reprise jusque dans le gouvernement de l’Autorité palestinienne, par le ministre Qadura Fares.

Signe de la pression qui pèse sur la direction corrompue du Fatah, le parti pourrait renouer avec des dirigeants exclus ces dernières années, comme le colonel Dahlan. Or ce dernier, né à Gaza, fait partie des noms qui circulent pour diriger la bande de Gaza en cas de victoire militaire d’Israël et d’éviction du Hamas du pouvoir.

Enfin, la crise du Fatah et de l’Autorité palestinienne qui la contraint à ne pas trop se délimiter du Hamas à Gaza, complique les plans des puissances occidentales. Pour ces dernières, après la résolution militaire du conflit en faveur d’Israël, il faudrait placer l’Autorité Palestinienne à la tête du Bande de Gaza. C’est ce qu’a déclaré le chef de la diplomatie de l’Union européenne Josep Borrell, quand Joe Biden propose que Gaza et la Cisjordanie soient réunifiés, sous la direction d’une Autorité Palestinienne « revitalisée ».

Une proposition accueillie avec hostilité par Benjamin Netanyahu, qui a déclaré dans une conférence de presse que « l’Autorité palestinienne sous sa forme actuelle n’était pas capable d’assumer la responsabilité de Gaza » et que le gouvernement israélien ne peut « pas avoir une autorité civile à Gaza qui soutient le terrorisme, encourage le terrorisme, finance le terrorisme et enseigne le terrorisme ». Or, si, contraint par la colère de la population en Cisjordanie et l’horreur de la situation à Gaza, le Fatah venait à radicaliser ses postions, la solution proposée par les puissances impérialistes pourrait être rejetée en bloc dans une société israélienne particulièrement droitisée. Dans le cas contraire, où le Fatah accepterait la main tendue par les Etats-Unis et maintiendrait une position modérée, l’hostilité à son égard des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie pourrait se renforcer, rendant la situation incontrôlable.

La réaction des Palestiniens de Cisjordanie enfin pourrait inquiéter en premier lieu Israël, qui a encore en mémoire les phénomènes de résistance intenses auxquels elle avait dû s’opposer, comme à Sheikh Jarrah ou avec la grève générale qui avait traversé la Palestine en 2021. Une perspective qui pourrait s’avérer d’autant plus dangereuse pour l’Etat sioniste, qu’une mobilisation d’ampleur en Cisjordanie, dans le contexte de contestation croissante d’Israël et de solidarité massive en direction de la Palestine parmi les masses arabes, pourrait ouvrir la voie à une extension de la mobilisation. Un horizon qui suppose le dépassement des directions palestiniennes actuelles qu’elles soient du Hamas ou du Fatah qui mènent toutes deux, bien que de façon différente, la cause palestinienne dans une impasse.

Quoi qu’il en soit, en Cisjordanie, la situation pourrait rapidement se faire explosive et ouvrir de nouvelles perspectives, à condition qu’émerge une position en faveur de l’unité la plus profonde entre les travailleurs, la jeunesse exploitée et opprimée, les paysans et les classes populaires de Palestine et de l’ensemble du mouvement ouvrier du Proche et Moyen-Orient, mais aussi avec les travailleurs d’Israël disposés à rompre avec le sionisme dont ils sont, eux aussi, les victimes, en dernière instance, ce qui constituerait un pas en avant pour mettre fin à cette idéologie réactionnaire. Une perspective qui s’oppose plus que jamais aux trahisons du Fatah, mais aussi au programme réactionnaire du Hamas.

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