Un jeune homme, qui participait à la marche des militants d’extrême droite après la mort de Thomas, a été transporté à l’hôpital. D’après nos informations, il serait un membre actif des sphères identitaires en Mayenne.
par Emma Donada, Anaïs Condomines et avec Maxime Macé et Pierre Plottu
Samedi 25 novembre, dans le quartier de la Monnaie à Romans-sur-Isère, une descente de membres de groupuscules d’extrême droite était organisée après la mort de Thomas, un adolescent poignardé dans un bal à Crépol, dans la Drôme, à vingt kilomètres de là.
L’expédition punitive – selon Fran
ce Info, la liste des suspects du meurtre de Thomas, pour certains originaires de Romans, figurait dans le téléphone d’au moins un individu ayant fait le déplacement – a abouti au passage à tabac de l’un deux : un militant d’extrême droite de 20 ans, originaire de Mayenne. En croisant rapport de police, témoignages et vidéos, CheckNews retrace les faits.
Très rapidement, le groupe repart en cortège dans la direction opposée, vers la gare. Il défile «avec fumigènes et déploiement d’une banderole “Justice pour Thomas”». Là encore, le rapport de police indique que certains participants sont «armés de bâtons». Des vidéos du défilé, diffusées sur les réseaux sociaux, montrent que les membres de ce groupe scandent aussi des slogans islamophobes et nationalistes.
«Ses jours ne sont pas en danger»
Dans ce même laps de temps, les forces de l’ordre indiquent essuyer plusieurs tirs de mortiers d’artifice. Vers 18h15, le cortège se disperse et plusieurs interpellations ont lieu à travers les rues de Romans. Pour l’une d’entre elles, il est indiqué que l’individu porte une arme de catégorie D.
Une agression confirmée au lendemain des incidents par le préfet de la Drôme, Thierry Devimeux, qui indique «qu’après la fin» de la «tentative de pénétration dans le quartier de la Monnaie, un jeune a été retrouvé tabassé». Il ajoute : «Il s’avère que ce jeune de l’utradroite venant de Mayenne a été sorti de sa voiture de force, sa voiture a été brûlée, et il a été fortement contusionné, envoyé à l’hôpital. Ses jours ne sont pas en danger.»
Si des zones d’ombre persistent autour de cette prise à partie, plusieurs éléments publiés dans la presse ainsi que des vidéos tournées à la Monnaie et diffusées dans la soirée semblent retracer, au moins partiellement, le déroulé des évènements.
D’abord, le Dauphiné libéré mentionne un quartier situé un peu plus au nord, à quinze minutes à pied environ de la Monnaie, où le jeune homme d’extrême droite aurait été trouvé par des habitants. On lit ainsi que «dans le quartier des Trois-Croix, des Romanais se sont emparés du véhicule des manifestants, une Renault Trafic, et ont emmené un des manifestants jusqu’au quartier de la Monnaie» où il aurait été tabassé et mis à nu. L’article est accompagné d’une photo du véhicule brûlé.
Totalement nu, entouré d’un groupe d’hommes
CheckNews n’est pas en mesure de confirmer le lieu où a débuté l’altercation. Mais une vidéo, diffusée par le groupe «antifa squad» lundi soir, montre le visage d’un militant actif dans un groupuscule d’extrême droite. Ce dernier est alors pris à partie et bousculé devant un véhicule pouvant correspondre à un Renault Trafic 9 places, le modèle du véhicule incendié qui sera photographié par le Dauphiné. A ce moment-là, le jeune homme est encore vêtu de ses habits et de son bonnet.
D’autres vidéos, diffusées dans la soirée de samedi et la journée de dimanche, montrent ensuite une violente agression dans le quartier. On voit notamment, près de l’entrée de la résidence, un homme tenter d’asséner des coups avec un club de golf à une personne au sol, avant d’être retenu dans son geste par un autre.
Sur d’autres images, le jeune homme, torse nu et le visage en sang, est projeté au sol. Il apparaît aussi recroquevillé par terre, sur un cliché diffusé sur Internet. Une vidéo, tournée depuis un bâtiment, le montre totalement nu, entouré d’un groupe d’hommes. Enfin, sur deux dernières vidéos, on le voit agenouillé, emmené par deux personnes, vers le fond de la cité. Puis, allongé, pieds nus mais portant son pantalon, dans le hall d’un immeuble.
Des images qui viennent corroborer le témoignage d’un habitant du quartier, âgé de 58 ans, interrogé par France Bleu. Il indique : «Ceux qui ont fait la manifestation à Romans se sont sauvés, mais des jeunes du quartier ont réussi à en choper un. Et il a pris une tannée. Les petits jeunes lui sont tombés dessus, parce qu’ils ont eu peur, ils ont cru qu’ils étaient armés.»
Un individu bien connu dans les sphères militantes
Le rapport de police consulté par CheckNews confirme cette version des faits. On peut lire que la BAC et une compagnie de CRS ont été rappelées à partir de 19h25 au quartier de la Monnaie, bien que la première opération de sécurisation soit terminée. Les forces de l’ordre constatent alors le véhicule incendié sur l’avenue du Maquis, non loin de l’entrée de la cité. Les sapeurs-pompiers, présents, éteignent l’incendie et emmènent le blessé à l’hôpital. Le calme est alors revenu dans le quartier, que la police quitte finalement vers 23h35.
Le jeune homme, visible sur la vidéo Antifa Squad en train d’être bousculé près d’une voiture, a été identifié par CheckNews. Même s’il n’est pas formellement reconnaissable sur les images le montrant ensuite au sol, nu, de nombreux éléments concordants pointent vers un individu bien connu dans les sphères militantes en Mayenne, où il réside. Il est en effet l’un des porte-parole d’un modeste collectif de sauvegarde du patrimoine local. En février 2023, l’une de leurs actions contre la destruction d’une église – mal perçue par les habitants, note auprès de CheckNews une bénévole pour une autre association de protection du patrimoine – bénéficie du soutien de plusieurs groupuscules identitaires locaux. On y remarque par exemple la présence d’anciens membres de l’Alvarium, une organisation angevine désormais dissoute en raison de ses incitations «à la discrimination ou à la violence envers des personnes en raison de leur origine ou de leur religion».
En soutien également, une antenne locale de Reconquête ! Car le jeune militant est surtout un soutien affiché d’Eric Zemmour. En octobre 2021, il est filmé par une télévision locale nantaise au meeting du candidat d’extrême droite. Il assure alors : «Je suis venu soutenir Eric Zemmour qui porte tout haut ce que les Français pensent tout bas.» Et d’ajouter qu’il «milite en Mayenne depuis environ deux mois».
D’ailleurs, sur le réseau X, dès lundi 27 novembre, plusieurs responsables ou anciens membres de Reconquête prenaient la défense du jeune homme. A commencer par l’ancien délégué départemental Reconquête ! en Mayenne, Pierre d’Herbais, qui décrit un «garçon tranquille et le cœur sur la main» et dont il assure qu’il «s’occupe d’ados le week-end, organise des maraudes pour les SDF».
Un compte antifasciste local, dans la journée, a assuré que le jeune homme en question faisait partie du groupuscule identitaire de Mayenne, Meduana Noctua, qui revendique effectivement d’organiser des maraudes auprès de SDF français, avec ce slogan «les nôtres avant les autres». Il est apparu début 2023 après plusieurs scissions au sein de sections locales des royalistes de l’Action française et se revendique à la fois du royalisme et du néofascisme. Certains de ses militants ont été aperçus lors des violences commises par un groupe de militants d’extrême droite en marge des manifestations antimigrants de Saint-Brévin (Loire-Atlantique). Ce groupuscule, sollicité par CheckNews, n’a pas donné suite.
«Ma mort est à vous donc politisez-la au maximum»
Un autre porte-parole local de Reconquête, Pierre Marionnet, a lui aussi assuré connaître le jeune militant, qu’il décrit comme «un garçon très attachant, passionné par tout ce qu’il fait, toujours prêt à aider».
L’examen des comptes sur les réseaux sociaux de ce jeune militant permet de confirmer son engagement auprès du parti de l’ancien candidat d’extrême droite à la présidentielle. Son ancien compte Twitter comporte ainsi dès septembre 2021 des tweets de soutien à Eric Zemmour. Le mois suivant, il revendique une opération de collage de nuit pour le parti. Une photo atteste également de sa présence, le 27 mars 2022, au meeting d’Eric Zemmour au Trocadéro, à Paris, avec ce commentaire : «Je pourrai dire que j’y fus.»
Sur son compte X actuel figurait (avant sa suppression ce mardi) un dernier post partagé et liké. Celui d’un autre internaute militant, qui annonçait : «Si un jour je tombe, récupérez-moi svp, ma mort est à vous donc politisez-la au maximum.»
Une enquête a été ouverte sur les conditions de l’agression du jeune homme. En parallèle, une première salve de condamnations a déjà eu lieu concernant les participants à la marche punitive interpellés en train de prendre la fuite. Lundi soir, le procureur a annoncé le passage en comparution immédiate de six hommes, poursuivis, pour cinq d’entre eux, pour des faits de violences volontaires sur fonctionnaires de police aggravées par l’usage ou la menace d’une arme et l’action en réunion, ainsi que pour une participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences ou dégradations. Tous ont été condamnés à des peines allant de six à dix mois de prison ferme, avec mandat de dépôt. Sept autres sont convoqués le 6 février devant le tribunal correctionnel de Valence. A ce stade, on ignore si le militant agressé est lui aussi concerné par une enquête pour participation à un groupement en vue de commettre des violences.
Expédition de l’ultradroite à Romans-sur-Isère : certains membres disposaient d’une liste détaillée des suspects du meurtre de Thomas
Certains membres des groupuscules d’extrême droite qui ont mené une expédition punitive xénophobe à Romans-sur-Isère (Drôme) le week-end dernier disposaient d’une liste détaillée des suspects dans l’enquête sur la mort de Thomas, poignardé à la fin d’un bal le 19 novembre à Crépol, dévoilent mardi 28 novembre franceinfo et France Bleu Drôme Ardèche. Une semaine après la mort de cet adolescent de 16 ans, des dizaines de militants d’ultradroite se sont retrouvés à Romans-sur-Isère, dans le quartier de la Monnaie dont sont originaires une partie des suspects.
Les journalistes de franceinfo et de France Bleu Drôme Ardèche ont pu consulter le portable d’un des militants d’extrême droite, qui avait été subtilisé samedi dernier par des jeunes du quartier de la Monnaie. franceinfo et France Bleu ont ensuite pu authentifier le propriétaire du téléphone : il s’agit d’un militant rouennais de la Division Martel, un groupuscule néonazi. Sur l’un des fils de conversation de ce portable, se trouve une liste partagée par au moins 31 personnes. Y figurent les noms complets des principaux suspects du meurtre de Thomas, leurs adresses, leurs numéros de téléphone, ainsi que les prénoms et noms des membres de leur famille habitant le quartier de la Monnaie. L’existence de cette liste accrédite donc l’idée d’une expédition punitive menée par les militants d’extrême droite. La police exploite plusieurs téléphones portables des personnes interpellées le week-end dernier.
Lundi, six personnes étaient par ailleurs jugées en comparution immédiate au tribunal de Valence pour avoir participé à la manifestation d’ultradroite à Romans-sur-Isère. Ces hommes de 18 à 25 ans, qui ne se réclament d’aucun groupe en particulier, ont été condamnés à des peines de 6 à 10 mois de prison ferme. Lors des perquisitions menées à leur domicile, les enquêteurs ont retrouvé des armes blanches, des poings américains, des armes à air comprimé, des symboles de groupuscules comme le GUD, de la littérature sur le IIIe Reich, dont un exemplaire de Mein Kampf.
À la barre lundi, ils ont expliqué avoir vu sur des chaînes privées de propagande TikTok ou Telegram des vidéos et des posts appelant à rejoindre le quartier de la Monnaie. Ils ont aussi décrit la façon dont ils ont convergé de toute la France vers Romans-sur-Isère, avec des convois organisés le week-end dernier. Des directives sur l’usage ou non des téléphones, l’inventaire des armes à apporter étaient alors transmises à des « chefs de section » qui ont eu pour mission de ne rien laisser fuiter. Le président du tribunal a qualifié cette organisation de « quasi-militaire ».
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