Jean-Marie Le Pen lors d’une réunion privée du FN au début des années soixante-dix. (Le Pen, Éditions Objectif France, 2001).Publié le 6 avril 2016
Partager :
L’enquête publiée par Le Monde en partenariat avec le Consortium international de journalistes d’investigation révèle « les comptes offshore des proches de Marine Le Pen ». « Panama papers » : sur la piste du trésor de Jean-Marie Le Pen » met au jour l’« existence d’une société cachée aux îles Vierges britanniques, un compte secret à Guernesey et, à la clé, 2,2 millions d’euros en billets de banque, lingots et pièces d’or sonnantes et trébuchantes ». Il y a quelques mois, les journalistes de Mediapart Marine Turchi et Karl Laske évoquaient l’existence d’un compte caché chez HSBC, puis à la Compagnie bancaire helvétique (CBH), à travers un trust placé sous la responsabilité légale du majordome de Jean-Marie Le Pen. Plus de deux millions d’euros auraient été déposés sur le compte de ce trust, dont 1,7 million sous forme de lingots et de pièces d’or.
L’ancien président du FN détiendrait donc une petite fortune. Si nous remontons le cours de l’histoire, un nom s’impose : celui de Lambert. L’héritage éponyme constitue le premier épisode d’un film, à multiples rebondissements et toujours en cours. Une fois héritier d’Hubert Lambert, Jean-Marie Le Pen sera l’objet de diverses vérifications fiscales.
L’histoire commence au début des années 1970… lors de l’émergence du groupuscule d’extrême droite qu’est alors le Front national. Il traite d’une thématique inhérente à la marque Le Pen : l’argent.
« Sans Lambert, pas de FN. Sans Le Pen, pas de Lambert »
Ce sont quelques mots prononcés par Lorrain de Saint Affrique, conseiller en communication de Jean-Marie Le Pen pendant dix ans (1984-1994) et, depuis octobre 2015, collaborateur de l’ancien président du FN au Parlement européen. Qui est Hubert Lambert dit Saint Julien… ou, plutôt, qui était-il ? Un riche industriel français, actionnaire de la société Lambert Frères et Cie, décédé le 27 septembre 1976… et un grand admirateur des présidents des formations d’extrême droite.
Dans son dernier testament, ce quadragénaire fragile physiquement et psychologiquement a fait de Jean-Marie Le Pen son exécuteur testamentaire et son unique héritier. Les commentaires, les polémiques et sous-entendus consécutifs à cet héritage ne changent rien. À l’automne 1976, Jean-Marie Le Pen devient un homme riche, très riche. De plus, l’héritage Lambert lui donne les outils et les moyens structurels pour relancer son histoire, intimement liée à celle de son parti.
Hubert Lambert avec sa mère (Le Pen, éditions Objectif France, 2011, p. 67.)Hubert Lambert avec sa mère (Le Pen, éditions Objectif France, 2011, p. 67.)
Au FN, on apprécie cet homme discret, « très gentil ». On évoque également sa faiblesse de caractère. On sait également qu’il est fortuné… pour preuve : la Rolls avec chauffeur qui le dépose rue de Surène, lorsqu’il se rend au siège du FN. Cependant, on ignore sa filiation avec les ciments Lambert et, donc, sa fortune colossale.
Le Président du FN, lui, fait la connaissance d’Hubert Lambert au début des années soixante-dix. En 1973, il convie Jean-Marie Le Pen à un dîner. Hubert Lambert arrive avec une serviette en cuir. Selon Roger Mauge, l’un des hagiographes de Jean-Marie Le Pen, les deux hommes auraient tenu le dialogue suivant, en rapport avec les premières élections législatives auxquelles le FN participe (mars 1973) :
« – Il faut absolument que tu te présentes aux prochaines élections, Jean-Marie […]. Je t’ai apporté 300 000 francs pour ta campagne électorale. Ils sont là […].
– Tu es très généreux, Hubert. […] Permets-moi de me servir de cet argent pour saupoudrer partout où nous présenterons une candidature. (…)
Hubert plaisante :
– Aucune importance ! Prends, et rends-moi la serviette. Elle pourra encore servir ! »
Après ce déjeuner, rapporte Roger Mauge, Jean-Marie Le Pen et Hubert Lambert se « voient plus souvent et d’une certaine manière deviennent amis » ! Car les Le Pen se montrent particulièrement attentifs à cet homme, notamment en lui rendant visite régulièrement. Jean-Marie Le Pen lui attribue des fonctions officielles au FN. Membre du Comité central et conseiller national du parti pour les questions militaires, Hubert Lambert affiche régulièrement sa présence aux réunions du parti. Il participe au comité de rédaction du journal du FN, Le National. Il y signe même quelques articles.
La gestion lepéniste de l’héritage Lambert
En 1977, Jean-Marie Le Pen hérite non seulement d’un capital (difficile à évaluer) estimé à 30 millions de francs (plus de 4,5 millions d’euros) sous forme « d’avoirs financiers et bancaires » et de biens immobiliers dont une partie d’un hôtel particulier à Saint-Cloud, dans les Hauts-de-Seine, et d’une maison où la mère d’Hubert Lambert a été élevée.
Le président du FN fait immédiatement comprendre à son entourage politique que cet héritage est personnel et non politique. Au sein du FN, l’incompréhension domine. Les hommes du Front national sont persuadés qu’au moins une partie de la somme d’argent serait utilisée pour combler les dettes et le trou financier du parti. L’héritage Lambert est même considéré comme un gage de survie. Le FN se trouve alors dans une très mauvaise posture financière. Les loyers de la Rue de Surène sont impayés. Le téléphone est coupé. Les réunions et Bureaux politiques, faute de paiement des factures d’électricité, se tiennent à la bougie. Rien ne change. Jean-Marie Le Pen va jusqu’à partir en vacances, sur son bateau, au début de l’été 79, laissant son parti dans une situation « catastrophique ». Beaucoup considèrent alors que le FN vit ces derniers moments.
En interne, la gestion lepéniste de l’héritage Lambert suscite de l’incompréhension et de nombreuses critiques. Lui explique avoir mis une partie de cet argent au « service » du FN, par exemple pour financer un « certain nombre de choses », dont la campagne électorale de 1981 qu’il aurait assumée seul, puisqu’il n’existe aucune subvention de l’État à cette date. Ses propos semblent difficilement acceptables pour les hommes du FN. L’héritage Lambert est un sujet difficile à aborder, voire tabou. L’ancien Président du FN se montre peu disert à son sujet. Dans l’Album des 20 ans, un ouvrage interne au parti, un encadré sur ce sujet a été réécrit par Jean-Marie Le Pen ; les rédacteurs ayant rédigé une première mouture contrevenant à la version officielle. Jean-Marie Le Pen insiste sur son intimité avec l’industriel. Il en parle comme d’un « ami de jeunesse » et met en avant une « parenté par le cœur ».
L’héritage Lambert change considérablement la vie de Jean-Marie Le Pen sur les plans politique et personnel. Il lui permet de faire – comme il l’entend – de la politique. L’ancien président du FN devient propriétaire du domaine de Montretout. Cette demeure n’a pas seulement été le lieu d’habitation de la famille Le Pen et le quartier général du FN pendant de nombreuses années. C’est aussi un symbole pour l’ancien président du FN qui désire laisser son nom dans l’Histoire. Montretout est un lieu singulier : le premier propriétaire, Napoléon III, l’avait offert à son chef de cabinet, Jean-François Mocquard. Hubert Lambert le lègue à Jean-Marie Le Pen en 1976.
Le dossier du Monde constitue donc, en quelque sorte, la suite de la longue et tumultueuse histoire du FN sur cette thématique : l’argent. En attendant la suite.
Related Posts:
1973 : La première affiche sur l’immigration
Un duel inédit dans l’histoire du FN
Carl Lang, ancien du FN, donne son interprétation sur la crise des Le Pen
FN contre FN ?
Après avoir été proche de Pierre Sidos (dès 1951), Pierre Poujade ou Pierre Boutang2, il rencontre Jean-Marie Le Pen, qui le nomme membre du comité central du Front national (FN), et son conseiller pour les questions militaires5. Il écrit en outre dans l’organe du parti, Le National3, et dans plusieurs revues nationalistes, comme Le Faisceau, L’Heure française ou Jeune Nation2. Il signe en 1976, aux côtés de Pierre Boutang ou Gustave Thibon, une « déclaration en faveur du maintien de la souveraineté française », contre l’élection du Parlement européen au suffrage universel6.
« Fragile physiquement et psychologiquement », qualifié même d’« éthylique désœuvré » et « proche de la débilité », il passe ses journées enfermé chez lui avec sa mère, en pyjama, à boire et fumer ; il est soigné par Jean-Maurice Demarquet5.
En 1972, Demarquet est l’un des fondateurs du Front national. Il fut le médecin de Jean-Marie Le Pen. Mais il se brouillera avec lui : en , il l’accuse publiquement dans Le Monde d’avoir pratiqué la torture pendant la guerre d’Algérie et d’avoir assassiné Hubert Lambert. Il fut condamné en 1989 par la Cour de cassation pour diffamation.
Demarquet ne dira par contre rien sur les subterfuges mis en œuvre par Le Pen pout circonvenir son riche et très seul ami.
Mort et querelles testamentaires
Il meurt le 7, à l’âge de 42 ans3, des suites d’une cirrhose1, dans son domicile de Montretout5. Il lègue sa fortune d’environ 30 millions de francs8,9 à Jean-Marie Le Pen3, ce qui provoque la contestation du testament par son cousin Philippe Lambert ; le litige est finalement tranché à l’amiable5.
Poster un Commentaire