Reporterre
30 novembre 2023
Une vingtaine de soutiens accompagnaient les scientifiques lors de leur procès à Paris. – © Nnoman Cadoret / Reporterre
Huit scientifiques et activistes ont été jugés le 30 novembre à Paris pour avoir occupé le Muséum national d’histoire naturelle en 2022. L’affaire a été mise en délibéré et le jugement sera rendu le 15 janvier.
Porte de Clichy, XVIIe arrondissement (Paris), reportage
C’était un hasard du calendrier. Le jeudi 30 novembre, jour de l’ouverture de la COP28 sur le climat à Dubaï, huit scientifiques et activistes étaient jugés au tribunal judiciaire de Paris. Leur tort : avoir alerté sur la crise écologique lors d’une conférence organisée sans autorisation en occupant le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) en avril 2022. L’issue de ce procès sera connue le 15 janvier, l’affaire ayant été mise en délibéré, tandis que le procureur a requis la relaxe.
« La coïncidence entre ces deux événements met en lumière le caractère révoltant de la situation actuelle, estime Kévin Jean, membre du collectif Scientifiques en rébellion. Alors que la COP est présidée par le dirigeant de l’une des principales compagnies pétrolières au monde et que l’État français a été condamné pour inaction climatique, ce sont les lanceurs et lanceuses d’alerte qui sont poursuivis. »
« Il n’y a pas eu d’effraction », observe la présidente
Les scientifiques étaient convoqués à 9 heures. Ils sont arrivés peu avant sur le parvis, accompagnés d’une vingtaine de soutiens. Le MNHN, qui avait déposé plainte, était lui absent : l’établissement de recherche et de diffusion de la culture scientifique naturaliste ne s’est pas constitué partie civile. D’après nos informations, l’affaire avait provoqué un malaise en son sein, plusieurs personnes travaillant sous sa tutelle ayant participé à l’action ou la soutenant.
Les faits poursuivis, exposés par la présidente, se sont déroulés le soir du 9 avril 2022. En pleine campagne pour l’élection présidentielle, une trentaine de scientifiques et d’activistes membres d’Extinction rébellion étaient entrés dans la galerie de paléontologie et d’anatomie comparée du MNHN. « Il n’y a pas eu d’effraction, vous avez payé l’entrée, observe posément la magistrate. Vous êtes ensuite restés après la fermeture, a priori dans le calme, puisque nous n’avons pas établi de lien entre votre présence et d’éventuelles dégradations. »
Dix-huit activistes ont reçu une amende de 300 euros
Dans le musée, les occupants se sont installés au pied d’un squelette de mammouth, allégorie des risques existentiels qui pèsent sur l’espèce humaine et sur le vivant. Ils ont réalisé une douzaine de présentations sur la crise écologique. Il s’agissait de la première action organisée en France par le collectif Scientifiques en rébellion, issu de l’appel de 1 000 scientifiques à la désobéissance civile publié dans le journal Le Monde en février 2020.
« Ce soir-là, est-ce que vous aviez bien compris qu’on vous demandait de sortir ? » a demandé la présidente. « Non, personne ne nous a formellement demandé de sortir. Ni les vigiles, ni les policiers, ni le personnel du musée », a répondu David Nacass, un activiste, tandis que ses camarades choisissaient de garder le silence. Les occupants étaient ensuite partis de leur plein gré vers 20 h 30. Ils avaient néanmoins reçu, pour dix-huit d’entre eux, une amende de 300 euros.
Ce procès était l’occasion, pour les huit « rebelles » qui contestaient cette amende, de défendre la légitimité de leur action au regard de l’urgence climatique et de la perspective de la sixième extinction de masse.
Elles et ils ont invoqué l’état de nécessité [1] dans une déclaration commune, lue à trois voix : « Il est temps que la justice française reconnaisse que des dangers actuels et imminents, démontrés par les travaux des scientifiques, pèsent sur l’habitabilité de notre planète. […] Nous, scientifiques, avons pris notre part en faisant cette action », a notamment déclaré Isabelle Krebs, activiste à Extinction Rebellion. « Face aux dangers imminents posés par l’extinction des espèces et le réchauffement du climat, cette action était tout à fait nécessaire et proportionnée pour toucher un public différent », a appuyé l’avocat de ces derniers, Thomas Brédillard.
« Quand on est scientifique, c’est notre devoir d’envoyer des signaux d’alerte pour arrêter cette folie »
Quelques instants plus tôt, trois personnalités scientifiques s’étaient présentées en qualité de témoins. Christophe Bonneuil, historien des sciences, Fabrice Flipo, philosophe, mais aussi le biologiste Pierre-Henri Gouyon, professeur émérite au MNHN. Ce dernier a fait remarquer qu’il « témoignait contre [sa] propre institution ». « Actuellement, le monde vivant s’effondre à une vitesse faramineuse », a-t-il déploré, en pointant la responsabilité de l’agrochimie « qui empoisonne la Terre entière ». « Quand on est scientifique, a-t-il poursuivi, c’est notre devoir d’envoyer des signaux d’alerte pour arrêter cette folie. Les personnes que vous jugez aujourd’hui rendent un grand service à notre société. »
Mais la présidente et le procureur ne semblaient pas convaincus par le mode d’action employé. « Pourquoi utiliser des moyens à la limite de la légalité ? » a plusieurs fois demandé la présidente. Mais aussi : « Pourquoi ne pas faire autre chose, comme envahir le siège de médias ? » La question a été accueillie par des rires gênés et des regards inquiets dans les rangs de la presse. « Pourquoi ne pas sensibiliser les parlementaires ? » a embrayé le parquet. « Nous avons déjà tout essayé et nous continuons de tout essayer », a répondu le chercheur Tanguy Fardet. Également invité à se positionner, le philosophe Fabrice Flipo a estimé que « la réponse actuelle n’est pas à la hauteur, alors il faut aussi des actions qui créent l’évènement, qui fassent électrochoc ».
Le jugement rendu le 15 janvier
Malgré ces échanges, dans ses réquisitions, le procureur n’a pas retenu la notion d’état de nécessité. « Peu importe l’intention », a-t-il tranché. Il a toutefois requis la relaxe des prévenus, car il estime que l’infraction n’est « pas constituée » : « Je ne peux pas vous apporter la preuve que ces personnes avaient connaissance des horaires de fermeture de ce musée au public, a-t-il dit. À aucun moment elles n’auraient vu un panneau à l’entrée leur signalant les horaires et personne n’est venu leur signaler, alors le doute doit leur profiter. »
Un dénouement surprenant, accueilli par des murmures d’étonnement. L’affaire a été mise en délibéré au 15 janvier. Après l’audience, vers 11h15, les chercheurs ont déployé des banderoles sur lesquelles était inscrit : « Scientists on trial to say the truth » (scientifiques en procès pour dire la vérité) et « Réponse de l’État à l’urgence climatique : mettre les scientifiques en procès ! ».
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