Dans mon article du 25 novembre dernier sur la caractérisation de l’opération du Hamas menée le 7 octobre 2023, j’analysais celle-ci comme une provocation totalement réactionnaire par ses conséquences, de très grande ampleur, et je résumais ainsi ces conséquences : « Contre-révolutionnaire sur toute la ligne, alignée à 100% sur l’impérialisme multipolaire, elle a placé la nation palestinienne dans la pire situation de toute son histoire, fait surgir des profondeurs une vague antisémite, affaibli la résistance ukrainienne, rapproché le risque de guerre mondiale tout en intensifiant la collaboration de toutes les puissances impérialistes du « Nord » comme du « Sud ». »
La situation ukrainienne.
L’Ukraine manque de munitions. Les aides étrangères supplémentaires ont décru des neuf dixièmes entre août et octobre 2023 (rapport de l’Institut Kiel du 7 décembre). Le Sénat américain a bloqué, mercredi 6 décembre, l’octroi de l’enveloppe annoncée par Joe Biden qui comportait 60 milliards pour l’Ukraine. Le fait que Biden ait couplé cette aide avec l’ « aide » à Israël a fourni aux Démocrates de gauche le prétexte pour voter avec les Républicains contre l’aide à l’Ukraine. Juste auparavant, Poutine a signé un décret engageant 170 000 soldats mobilisables de plus (169 392 exactement), portant les effectifs de « soldats contractuels » à plus de 620 000, et attribuait 112 milliards en équivalents-dollars à l’ « opération militaire spéciale ». Le budget russe est totalement militarisé et les dépenses sociales et scolaires sont en chute libre. L’aide à l’Ukraine représente 0,33 % du PIB nord-américain – pour l’instant.
On lit parfois que les États-Unis doivent réduire leur aide à l’Ukraine pour aider Israël. C’est une mauvaise plaisanterie : l’armée israélienne n’a absolument pas besoin de moyens létaux, logistiques et informatiques supplémentaires pour massacrer la population de Gaza, ni les colons et l’armée en Cisjordanie pour avancer dans la voie de l’« ethnical cleasing ». Les moyens dégagés par Washington vers le Proche-Orient visent à maintenir la possibilité relative d’influencer et d’encadrer Israël et, surtout, à intimider l’Iran et ses satellites (Hezbollah et Houtis).
Le choix politique d’orienter à la baisse l’aide militaire à l’Ukraine est antérieur au 7 octobre, qui lui a fourni son prétexte et en favorise l’aggravation. Ce choix est indépendant de la place des dépenses militaires dans l’économie US. L’Ukraine n’a jamais été la finalité de ces dépenses et cela se voit plus que jamais aujourd’hui.
Un peu plus de deux mois après le 7 octobre, la possibilité d’une défaite ukrainienne est revenue dans les divers commentaires. Quiconque s’imagine ou veut s’imaginer – comme Zelensky ! – que la cause ukrainienne et la cause israélienne sont liées mérite d’être mis le nez devant le terrible spectacle combiné de la destruction systématique de Gaza, d’une part, et de la destruction systématique des infrastructures ukrainiennes qui a repris, en pire que l’hiver dernier – à ceci près que les médias occidentaux n’en parlent pratiquement plus.
L’homme à la tronçonneuse.
Au plan mondial, la victoire électorale de Javier Milei en Argentine s’ajoute comme un élément supplémentaire non négligeable de réaction sur toute la ligne. Ce sinistre clown à la tronçonneuse est parfois présenté comme un « économiste ». Hé bien, ce n’est pas faux, mais cela nous dit tout sur ce que sont en fait les « économistes », ces sorciers du fétiche capital. Milei est un disciple du libertarien Rothbart, dont on peut dire qu’il fut au pape des « néolibéraux » de Chicago, le célèbre Milton Friedman, un peu comme Daesh est à al-Qaeda : un extrême plus extrême que l’extrême. C’est Rothbart qui a théorisé le fait que les enfants étant la propriété privée mobilière des parents, il devrait y avoir un marché (boursier, of course!) des enfants.
Certes, la victoire électorale d’un tel pitre ne signifie pas que la majorité de la population adhère à ce délire, mais elle indique clairement que cette majorité désespère et ne voit aucune perspective, ni dans le retour cyclique du péronisme et de la droite corrompus, ni dans une « gauche » dans laquelle, il nous faudra y revenir, le bilan d’impasse de long terme de la demi-douzaine d’organisations se réclamant du trotskysme dans ses moutures morénistes, néo-morénistes ou non, fait partie, lui aussi, du problème, et pas de la solution.
C’est aujourd’hui même, dimanche 10 décembre, que Javier Milei entre à la Casa Rosada, le palais présidentiel de Buenos Aires. Le Figaro nous annonce, à l’instar de ce qu’il raconte chaque fois que l’extrême-droite arrive au pouvoir quelque part, que « le lion libertarien a rentré ses griffes ». Envers les banques, centrales ou non, et les oligarchies capitalistes, aucun doute à cela. Mais leur cible commune, ce sont les pauvres et les prolétaires. Dans le contexte global présent, Milei est pour ainsi dire mandaté pour permettre de leur porter en Argentine les coups que Trump aux États-Unis et Bolsonaro au Brésil ne sont pas, pour l’instant, parvenus à leur porter.
Le fait que Volodomyr Zelensky se rende à l’investiture de Javier Milei n’est pas une bonne nouvelle pour l’Ukraine. Milei se tournant ouvertement vers le roi dollar et l’oncle Sam, proclame (pour l’instant) son refus de faire adhérer l’Argentine aux BRICS et dit soutenir l’Ukraine. Mais le soutien des « anarcho-capitalistes » ne signifie rien d’autre que la vente à l’encan de l’Ukraine par la dette « publique » et les « lois du marché », qui, n’en déplaise à la rhétorique anti-oligarques, fait toujours leurs affaires, et c’est bien contre cela, en même temps que contre l’invasion russe, que se mobilise de plus en plus le peuple ukrainien. Ce soutien de la corde au pendu fera et fait le jeu de Poutine – représenté indirectement à l’investiture de Milei par son ami Orban !
La COP 28, festival impérialiste, multipolaire et pétrolifère !
Le concentré de la réaction mondiale, sous forme spectaculaire-marchande, pétrolière et immobilière, somptuaire, polluante et parasitaire, mais c’est la « COP 28 », bien entendu !
Tout a déjà été dit, car on ne peut que le dire, du caractère de sinistre farce que constitue la prise en main par les rentiers du pétrole eux-mêmes, en direct et avec l’assentiment de toutes les puissances mondiales de Washington à Moscou et Beijing en passant par Paris, de la « lutte contre le réchauffement climatique », ce sordide oxymore du capitalisme pétrolifère, extractiviste, immobilier et mafieux, c’est-à-dire la forme dominante du capital mondial.
Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que cette forme dominante correspond à un système mondial désordonné qu’est la multipolarité impérialiste. La COP 28 arrivant quelques mois après le sommet des BRICS consacré à leur élargissement (à l’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats Arabes Unis, l’Iran, l’Éthiopie, et éventuellement l’Argentine), consacre l’accord de Washington et des impérialismes européens pour reconnaître leur rôle dirigeant dans la « lutte contre le réchauffement climatique », c’est-à-dire dans la rentabilisation capitaliste de la destruction des milieux de vie et des conditions d’une existence humaine sur terre. Les voies prochaines de l’accumulation capitaliste détruisant la vie sur terre sont confiées au « Sud global », alias l’impérialisme multipolaire, et Washington est OK avec ça. Voilà donc l’apogée de la réaction sur toute la ligne, l’abomination de la désolation.
Les mêmes qui nous disent que Milei rentre ses griffes attirent bien sûr notre attention sur le fait que le Président Directeur Général des Émirats Arabes Unis, lui aussi « économiste », Sultan al-Jaber, magnat du pétrole et du gaz, a le premier annoncé que l’horizon final serait la sortie des énergies fossiles. C’est que ce monsieur pense à la gestion de son capital dans le long terme. Il compte brûler la biosphère pendant plusieurs décennies encore tout en menant sa « transition » vers d’autres sources productives de calories pour son capital, qu’il dispose des ressources « chez lui » ou non, puisqu’il dispose du capital, et il espère bien avoir les félicitations du jury es « développement durable ». Au passage, Macron lui conseille de donner toute sa place au nucléaire dans la dite « transition ».
Poutine a assisté en visio au sommet des BRICS de Johannesburg cet été. Il a été admis comme un partenaire à part entière, toujours en visio, au sommet du G20 de septembre 2023. Il s’est déplacé en personne, avec une véritable flotte aérienne, aux abords de la COP 28, en Arabie saoudite et aux Émirats, franchissant une nouvelle étape dans son « retour sur la scène internationale », juste après avoir officialisé sa candidature aux présidentielles russes de 2024. La boucle est bouclée : l’impérialisme multipolaire fonctionne, et Washington est de fait d’accord, tenant juste à rester premier violon, à défaut de chef d’orchestre comme autrefois.
Deux rayons de soleil.
Dans ce triste et menaçant tableau, le rayon de soleil est constitué par la vague de grèves pour les salaires, mais dont tout le monde devrait comprendre la grande portée morale et politique, que connaissent les États-Unis, avec l’irruption dans l’AFL-CIO du « caucus » combatif autour de la tendance Unite all Workers for Democracy qui a pris la direction de l’UAW. Nous avons publié à ce sujet deux articles, l’un de la journaliste sociale indépendante Kim Kelly, avec une présentation de la rédaction, l’autre de notre ami Jacques Chastaing.
Un autre développement important en Amérique du Nord a fait irruption : à partir de la grève des enseignants, les directions syndicales au Québec, constituées en « Front commun », doivent menacer le gouvernement de la province d’une grève générale, qui a déjà gagné les secteurs de la santé et des aides sociales, contre ses plans de « flexibilité ». La question de la grève générale est donc posée aussi au niveau du Québec (à différencier du niveau canadien en raison de la question nationale québécoise, mais avec bien sûr des répercussions aussi à l’échelle fédérale).
La marée est nécessaire et elle est là, mais elle ne suffit pas.
Un lecteur et commentateur régulier de nos publications, Rehan, remarque dans un message sous l’article de J. Chastaing que celui-ci, tout en fournissant un précieux travail d’information, donne l’impression que « l’insurrection mondiale » est toujours à nos portes. Je suis d’accord avec cette critique et nous en avons déjà discuté ici même. Oui, les poussées grévistes sont très importantes et constituent la chair vivante du combat nécessaire, mais ce combat a besoin de médiations vers, disons-le, la prise du pouvoir : conscience et organisation. La matière n’existe pas sans la forme, ni l’inverse. Le mouvement des prolétaires ne peut se lire seulement comme une marée montante ou de la vapeur rentrant dans le piston. Cette dimension est nécessaire et trop couramment occultée ou censurée, mais toute seule elle reste unilatérale et n’aboutit qu’à la représentation d’une tempête permanente qui n’aboutit pas.
C’est pour cela qu’en présentant l’important article de Kim Kelly, nous avons souligné tant la portée considérable de l’existence même d’un débat sur la grève générale dans le syndicalisme étatsunien que la limite constituée par un calendrier de la nouvelle aile syndicale combative orienté vers 2028, alors que la question politique immédiate et centrale est bien celle des présidentielles de 2024 et du risque d’un épisode « Trump II ».
La question Trump, épisode II.
Les États-Unis tiennent toujours, bien entendu, une place centrale. Deux tendances importantes s’y dégagent à la base ces derniers mois. Cette vague gréviste et syndicale dont il vient d’être question, et l’indignation de larges secteurs de la jeunesse, qui avait contribué de manière décisive à la défaite de Trump en 2020, contre Biden, désigné comme « Genocide Joe », qui permet, soutien et prolonge le martyrologue de Gaza et des Palestiniens.
Mais, en l’absence de cristallisation politique à l’échelle nationale sur un axe social, et internationaliste, Biden, qui, dans un même mouvement, met son veto au Conseil de Sécurité de l’ONU contre un cessez-le-feu à Gaza, reprend de plus en plus la politique anti-migrants de Trump, politique qui n’a jamais vraiment pris fin, et annonce que, malgré son grand âge perceptible, il est candidat pour 2024 parce que Trump l’est. Biden créé ainsi les conditions d’une victoire de Trump !
Trump s’apprête à triompher dans les primaires républicaines. Au plan judiciaire, il est mal engagé, du fait du tribunal d’Atlanta plus que des procédures fédérales. Il est en soi frappant que l’inspirateur d’une tentative ouverte de falsification des élections présidentielles et d’un coup d’État avec invasion du Congrès, imité ensuite au Brésil, et par ailleurs corrompu notoire des services russes depuis des décennies, ne soit pas plus « coincé » par les fameuses institutions de la « démocratie américaine » décidément bien grippées. Mais toute tentative d’invalidation lorsqu’il gagnera une primaire républicaine après l’autre ne pourra que produire des processus incontrôlables désormais.
Interrogé sur ses ambitions de dictature, il a déclaré qu’il lui faudrait bien exercer « la dictature » au moins dans un premier temps. La « démocratie américaine » s’avérant impuissante à conjurer la mécanique hors contrôle née de sa propre crise, ce sont bien – comme ce fut déjà le cas en 2020, mais cette fois-ci à un niveau supérieur – les forces « d’en bas » qui devront le battre. Dire que cela se pose à un niveau supérieur à celui de 2020 signifie justement que la question la plus importante est celle d’une cristallisation politique nationale représentant les vrais mouvements d’en bas.
Washington dans la multipolarité impérialiste.
La question Trump nous ramène à toute la situation mondiale et à l’appréciation du « moment de réaction sur toute la ligne » ouvert depuis les pogroms du 7 octobre. Car la ligne de Trump au plan international n’a rien de marginal par rapport aux intérêts généraux et aux choix auxquels est confronté l’impérialisme nord-américain. L’éditorial du Monde du 7 décembre avait pour titre : « Vladimir Poutine et Benyamin Netanyahou comptent sur la victoire de leur poulain : Donald Trump. » Il s’agit pour l’impérialisme US de réussir sa « transition » vers la multipolarité impérialiste en se réconciliant avec l’impérialisme russe.
Dans l’immédiat, cela veut dire sacrifier l’Ukraine, ses régions occupées, voire tout le pays. Et cela veut dire sacrifier les Palestiniens, vider Gaza et aussi la Cisjordanie, parrainer un État ethnique mafieux sous l’égide de la bande à Netanyahou. Le tout, en évitant une confrontation entre cet État et le régime iranien, simultanément armé par Moscou contre des frappes israéliennes et menacé par Washington contre ses propres excursions, et instaurant donc une soi-disant « dissuasion » nucléaire entre Israël et Iran (donc une prolifération).
A moyen terme, le nouveau rapprochement avec la Russie correspond à un « grand jeu » diplomatique, où entre aussi l’Inde, visant la Chine, et ouvrant la possibilité de la guerre inter-impérialiste Washington/Beijing. Sans le dire, ils y pensent tous, et commandent des productions d’armements en conséquences.
Toutes ces combinaisons possibles d’alliances et de parties de pokers menteurs entre grands chefs et services secrets sont donc porteuses de guerre. Et celui qui l’indique le mieux est encore Poutine. Juste après avoir annoncé qu’il sera réélu en 2024 (car c’est cela que veut dire sa « candidature », sans préjuger des luttes et combinaisons de sommet lui substituant Dmytri Patrushev, tout à fait indépendantes des « élections »), il a dénoncé le fait que, selon lui, les russes résidant en Lettonie seraient traités comme « des porcs » et qu’en conséquence, les Lettons doivent s’attendre à être traités de même, par la Russie. C’est une menace explicite d’invasion des pays baltes – membres de l’OTAN. Pas forcément juste pour demain matin, mais le principe en est posé …
Enjeu ukrainien, enjeu mondial pour la lutte des classes.
A ce point de notre tour d’horizon, nous pouvons donc dire précisément où se joue principalement la nature durable ou non du moment de régression et de réaction ouvert par le 7 octobre : en Ukraine.
Tout de suite, l’Ukraine n’a plus de munitions, et l’armée russe espère au moins prendre Avdiivka dans le Donbass et Kupiansk dans la région de Kharkiv, ce qui aurait une portée symbolique et politique car Kupiansk avait été l’épicentre de l’effondrement d’une armée russe fin 2022, le tout avant les pseudos-présidentielles russes des 15-17 mars 2024.
Au delà, le risque d’une percée russe combinée peut-être à une crise au sommet en Ukraine, est réel, même si la résistance populaire et la volonté de prendre les affaires communes en main s’affirme dans le peuple ukrainien.
L’enjeu global est le suivant : le principal obstacle à la réaction capitaliste pétrolifère et mafieuse depuis 2022, dans le monde, a été la résistance ukrainienne, qui a battu l’offensive initiale de Poutine en février-mars 2022, ce qui n’avait été prévu ni à Washington, ni à Paris, ni ailleurs parmi les grands de ce monde (rappelons quand même modestement que sur ce site, nous l’avions annoncé depuis un an …). La période de recul ouverte par le 7 octobre serait consolidée et scellée si et seulement si l’onde de choc de cette auto-organisation, de cette résistance démocratique et populaire, porteuse d’émancipation, était battue. C’est là, sans nul complot, l’intérêt objectif, que ses faisant fonction en aient plus ou moins conscience ou non, du capital pétrolifère, extractiviste, immobilier, militaire et mafieux, du monde entier.
L’axe nécessaire.
Voilà qui dessine ce pour quoi il faut se battre immédiatement : cessez-le feu total et immédiat à Gaza et des armes pour l’Ukraine, pour battre les Trump, les Poutine et les Milei du monde entier et pouvoir enfin s’occuper sérieusement, contre les intérêts du capital, des intérêts de notre monde terrestre vivant !
VP, le 10/12/23.
Vous n’avez pas l’impression que c’est vous la marionnette du grand Capital ?
Ce qu’a fait le Hamas c’est que maintenant le monde entier voit ce que fait Israël depuis 75 ans. Ça n’a rien de « contre revolutionaire »!
Ce que vous dites sur l’Ukraine est ahurissant ! C’est un pays corrompu dominé par des neonazis qui massacre les populations du Dombass depuis 2014.